Langue: français
3.7.1930 (jeudi)
CONSEIL FÉDÉRAL Procès-verbal de la séance du 3.7.1930
Procès-verbal secret du Conseil fédéral (PVCF-S)
Le Conseil fédéral examine le premier mémoire suisse à remettre à la Cour internationale de La Haye. Ce mémoire contient notamment un projet de règlement du futur régime des zones franches.

Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
11. France
11.5. Affaire des zones
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Imprimé dans

Jean-Claude Favez et al. (ed.)

Documents Diplomatiques Suisses, vol. 10, doc. 27

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Bern 1982

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Emplacement

dodis.ch/45569
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 3 juillet 19301

Secret. Approbation du premier Mémoire suisse2 dans la deuxième phase judiciaire de l’affaire des zones

Au cours des délibérations, il est fait diverses remarques et diverses propositions de modification portant en partie sur le texte du mémoire, en partie sur celui du projet de règlement.

M. Schulthess exprime tout d’abord plusieurs considérations d’ordre général ayant principalement pour objet les avantages économiques que nous sommes en train d’offrir en compensation du maintien de l’ancien cordon douanier d’avantguerre. Il fait remarquer que le système de contingentement, tel qu’il est prévu, augmentera dans une forte mesure l’importation de produits des zones en Suisse. Actuellement cette importation est limitée aux produits agricoles et à quelques produits industriels fabriqués avec des matières premières provenant des zones. D’après le projet de règlement, cette réserve tombera.

Il est également à noter que, sous l’ancien régime, les marchandises d’autres pays étrangers que le Suisse pouvaient elles-aussi entrer dans les zones en franchise de douane. En sera-t-il encore ainsi à l’avenir au cas où nous gagnerions le procès et où l’ancien cordon douanier serait rétabli? Si tel ne devait pas être le cas, comment la France pourra-t-elle empêcher l’entrée en franchise de ces marchandises dans le territoire des zones sans établir un contrôle douanier à la frontière politique? Et alors, tout en ayant obtenu gain de cause en principe, le cordon douanier, en pratique, resterait où il est actuellement, quoique peut-être réduit. Ainsi, nous aurions accordé à la France des avantages et renoncé à des droits importants, c’est-à-dire prêté la main à un marché dont les suites pour notre économie nationale pourraient être extrêmement fâcheuses, sans avoir, en compensation, reçu vraiment ce que nous désirions obtenir par nos sacrifices. L’orateur estime dès lors que notre offre contenue dans le «projet de règlement» va beaucoup trop loin. Elle prévoit, d’ailleurs, des prestations ou des renonciations à des droits de notre part qui, à son avis, ne peuvent que faire l’objet d’un traité soumis à la votation populaire en vertu de la constitution fédérale3. La question se pose donc de savoir si le Conseil fédéral est légitimé et compétent pour liquider, au cours du présent procès et sans que le peuple ait son mot à dire, certaines questions qui, normalement, ne peuvent trouver leur solution que dans un traité soumis au referendum facultatif.

Cette affaire des zones a pris une tournure inquiétante. Il est à craindre que la cour de La Haye, malgré son premier arrêt4 et tout en prenant acte des offres faites par la Suisse dans son «projet de règlement» et en déclarant la Suisse liée par ses offres, n’arrive à la conclusion définitive qu’un certain contrôle douanier par la France à la frontière genevoise est indispensable pour sauvegarder ses intérêts légitimes et en particulier ceux de la zone. Or, il va sans dire que les avantages que nous consentons et que les sacrifices que nous nous imposons en faveur des zones en vertu du «projet de règlement» dépendent de la façon la plus absolue de la suppression complète du cordon douanier français à la frontière politique. Si cela n’est pas clairement statué dans le mémoire que nous discutons en ce moment, il y aurait lieu de compléter encore cette pièce en ce sens. Car nos offres tombent ipso facto pour le cas où un contrôle douanier français quelconque, même dans sa forme la plus réduite, serait maintenu à la frontière genevoise. Il faut que les juges de La Haye sachent cela de façon indubitable, afin de ne pas se tromper sur le véritable caractère et la condition sine qua non des compensations offertes par la Suisse.

Comme conclusion, l’orateur propose quelques modifications et précisions ayant pour but ou de limiter nos engagements ou de prévenir des divergences ultérieures dans l’interprétation des textes par les parties contractantes.... [...]5M. le président Musycompare brièvement l’ancien régime des zones et le nouveau régime tel qu’il résulterait de nos propositions, si la cour internationale de la Haye nous donne raison. Sous l’ancien régime, les zones constituaient un territoire entièrement franc au point de vue douanier, de telle sorte que tous les pays pouvaient y exporter librement leurs produits. Quant à l’importation en Suisse des produits zoniens, seuls les produits agricoles n’étaient point soumis à une taxe, plus, en outre, quelques rares produits industriels bien déterminés provenant du Pays de Gex. Si nous gagnons le procès, la conséquence n’en sera donc pas le maintien pur et simple de l’ancien régime, mais le remplacement de ce régime par un nouveau qui nous sera beaucoup moins favorable. Il ne sera, en effet, plus fait de distinction entre le Pays de Gex et la zone dite de la Haute-Savoie. L’entrée en franchise de douane des produits zoniens en Suisse ne sera plus limitée aux seuls produits agricoles amenés par le producteur en petites quantités et à quelques rares produits industriels provenant du Pays de Gex; mais tous les produits agricoles et industriels zoniens, y compris ceux de la zone dite de la Haute-Savoie, dans le cadre de contingents qui seront cependant très largement comptés, auront leur entrée libre en Suisse. Nous payerons très cher le maintien du cordon douanier à l’endroit où il fut placé par les traités de 1815 et 1816.

M. Motta répond aux diverses objections et propositions formulées au cours de la discussion. Il fait tout d’abord remarquer qu’il est expressément dit à plusieurs reprises dans le mémoire, que les concessions et compensations offertes par nous ne valent que pour autant que le cordon douanier français sera entièrement retiré de la frontière politique et n’y subsiste plus sous aucune forme. [...]6Le chef du département politique tient d’ailleurs à tranquilliser ses collègues, dont il ne partage pas les craintes quant à l’inondation du marché suisse par des produits zoniens. Il ne faut pas oublier que le projet de règlement prévoit un système de contingentement étudié avec soin. Dès lors, il ne pourra entrer dans notre pays que des marchandises en provenance des zones qui sont contingentées et admises par les lettres de crédit. Et les contingents seront fixés périodiquement par une commission mixte, dont les décisions devront ensuite être approuvées par la Suisse et la France. En cas de différends entre les deux pays, la cour de La Haye tranchera définitivement. Ainsi, toutes les garanties sont prévues pour sauvegarder, autant que l’équité le permet, les intérêts économiques de la Suisse7.

1
E 1005 2/3.
2
Ce mémoire doit être remis à la Cour, conformément au compromis conclu entre la France et la Suisse au sujet de l’affaire des zones, le 30 octobre 1924. Il comprend notamment un projet de règlement du futur régime des zones franches de 1815 et 1816, basé sur le projet de convention dont le Conseil fédéral avait arrêté les termes en vue des négociations de décembre 1929. (Cf. dodis.ch/45530, A.)
3
Article 89, al. 3.
4
Du 19 août 1929. (Cf. DDS vol.9, no 513, A, dodis.ch/45515)
5
L’orateur, rejoint par le Chef du Département des Postes et Chemins de fer, propose ensuite de réduire la portée des articles 7 et 8 du projet, afin de défendre les intérêts économiques de la Suisse.
6
G. Motta demande donc à ses collègues de ne pas modifier le texte des articles 7 et 8 du projet de règlement proposé par son département.
7
A quelques modifications mineures près, le Conseil fédéral approuve le projet qui lui est présenté. Le mémoire Document, projet et observations présentés au nom du Gouvernement suisse est remis le 10 juillet 1930 à la Cour (Publications de la Cour permanente de justice internationale. Série C, No 19. Documents relatifs à l’ordonnance du 6 décembre 1929. Affaire des zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex. (Deuxième phase), vol. III, pp. 120Iss.).