Language: French
12.9.1924 (Friday)
CONSEIL FÉDÉRAL Procès-verbal de la séance du 12.9.1924
Secret minutes of the Federal Council (PVCF-S)
Démarche du Ministre d’Italie à Berne à la suite d’un article de La Sentinelle considéré comme injurieux envers Mussolini. Mesures préventives contre les publications injurieuses pour le gouvernement italien.
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Printed in

Antoine Fleury, Gabriel Imboden (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 353

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Bern 1988

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dodis.ch/44995
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 12 septembre 19241

Article de la «Sentinelle»

M. le Conseiller fédéral Schulthess expose qu’en sa qualité de chef-suppléant du Département politique, il a reçu lundi la visite de M. Garbasso, Ministre d’Italie, lequel lui a signalé un article publié dans la Sentinelle du 1er septembre, intitulé Dictature de Brigands.2 Cet article, injurieux pour le gouvernement italien, incitait à des manifestations hostiles pour le cas où M. Mussolini serait venu à Genève à l’occasion de l’assemblée de la Société des Nations, cela à titre de protestation contre le meurtre de Matteotti. La démarche de M. Garbasso n’avait pas un caractère de protestation, mais de représentation. M. Schulthess a assuré le Ministre d’Italie que le Conseil fédéral regretterait la publication de la Sentinelle et la désapprouverait. Depuis lors, à la réunion de la commission du Conseil national pour les assurances sociales, l’orateur a pu s’entretenir avec M. Graber, rédacteur en chef de la Sentinelle. Il a attiré son attention sur le tort que des publications de ce genre pouvaient causer à la Suisse, dans ses rapports avec l’Italie. M. Graber s’est déclaré disposé à faire cesser ces attaques contre le gouvernement italien, tout en se réservant de répliquer à un journal zurichois qui avait relevé le premier article.

Le chef du Département de justice et police ajoute que la campagne menée par la Sentinelles’est étendue à d’autres journaux, notamment au Tessin, où la Libera Stampa a reproduit l’article de la Sentinelle, et où des cartes postales injurieuses contre le gouvernement italien ont été répandues, à l’occasion de l’affaire Matteotti. Quant aux mesures à prendre pour mettre un terme à cette campagne, M. Hâberlin estime que le Conseil fédéral a le droit d’ordonner la saisie des publications injurieuses pour un gouvernement étranger; attendu qu’il aurait le droit de poursuivre pénalement les auteurs de ces publications, du moins sur plainte d’un gouvernement étranger, en tant qu’il s’agit de la presse, à plus forte raison a-t-il le droit de prendre des mesures de police préventives telles que la saisie.

Il est décidé:

1. Le Département de justice et police est chargé de se mettre en rapport avec les gouvernements cantonaux intéressés, à l’effet de prendre des mesures préventives contre les publications injurieuses pour le gouvernement italien.

2. M. le Conseiller fédéral Schulthess est autorisé à faire part à M. le Ministre d’Italie des mesures prises.

1
E 1005 2/2. Etaient absents: J. M. Musy, G. Motta.
2
Extrait de l’article de E. Graber: Si Mussolini vient à Genève, il faut que l’ombre de Matteotti l’y poursuive. Non, non! pas d’attentat, pas de casse, pas de vacarme. Mais par contre, il faut qu’il ne puisse pas faire un pas en Suisse sans que le nom ou l’image de Matteotti n’apparaisse à ses yeux. Il faut que tout le long de sa route on fasse entendre à ses oreilles le nom de sa victime. Il faudra, aussi longtemps qu’il touchera le sol suisse, aussi longtemps qu’il foulera les rues de Genève, que des milliers et des milliers de cartes postales avec l’image du héros et ses dernières paroles soient répandues à profusion. Il faudra que tous ceux à qui il aura affaire en reçoivent en quantité telle que cela hante toutes les réunions, toutes les assemblées, toutes les commissions, toutes les rencontres, tous les banquets. [...] Nos camarades de Genève n’organiseront pas d’expédition punitive genre fasciste, ils ne feront pas de démarches à l’hôtel où il descendra, tels les ligueurs de Lausanne dans l’affaire Vorowsky. Mais ils convoqueront le peuple de Genève pour lui raconter par le menu ce que fut le martyre italien, celui de Molinella, celui de Matteotti et de tant d’autres, tombés sous les coups des brigands. Ils étaleront aux yeux des masses le bilan du fascisme italien, ses méthodes et ses moyens, afin que la clameur de réprobation, de honte et de colère qui s’élèvera arrive jusqu’à Mussolini et trouble toutes ses minutes, toutes ses secondes, jusqu’à ce que, affolé, il retourne se cacher à Rome au milieu de ses bandes de sicaires. A la violence armée, nous répondrions par la puissance invincible des consciences en révolte!