Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATIONS BILATERALES ET LA VIE DES ETATS
II.4. Autriche
II.4.3. Le traité d’arbitrage
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 346
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E1004.1#1000/9#11975* | |
Dossier title | Beschlussprotokoll(-e) 07.08.-07.08.1924 (1924–1924) |
dodis.ch/44988 CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 7 août 19241 1752. Conclusion d’un traité de conciliation et d’arbitrage avec l’Autriche
Procès-verbal de la séance du 7 août 19241
Conformément à la décision prise par le Conseil fédéral le 29 janvier dernier2, le Département politique avait chargé la Légation de Suisse à Vienne3 de demander, à titre officieux, au Gouvernement autrichien s’il serait disposé à conclure avec la Suisse un traité de conciliation analogue au projet de traité soumis au Gouvernement portugais.
Le Gouvernement autrichien fit savoir qu’il était tout disposé à entamer des négociations à cet effet. Il se vit toutefois amené, pour des motifs d’opportunité politique et pour des raisons d’économie, à proposer quelques modifications au système à la base du projet qui lui était soumis.
Il formula, d’abord, des objections contre le principe suivant lequel la procédure de conciliation s’ouvrirait obligatoirement, dès l’échec des négociations diplomatiques et préalablement à toute autre procédure, pour tous les litiges de quelque nature qu’ils soient. Dans la crainte de créer un précédent dont pourraient s’autoriser certaines grandes Puissances vis-à-vis de l’Autriche, il demanda que la conciliation préalable ne s’appliquât pas obligatoirement aux litiges d’ordre juridique spécifiés à l’article 36 du Statut de la Cour de Justice internationale et que les deux Etats pouvaient déférer directement, par voie de simple requête, à cette Cour. Il se déclara disposé, en revanche, à insérer dans le traité une disposition aux termes de laquelle les Parties contractantes pourraient convenir, dans chaque cas particulier, que tel litige tombant sous le coup de l’article 36 du Statut de la Cour de Justice fût soumis préalablement à une procédure de conciliation.
Le système préconisé par le Gouvernement autrichien est le système même qui a été introduit dans les traités de conciliation avec la Suède et le Danemark, signés les 24 et 6 juin5 dernier. Comme il n’existe pas de raisons pour refuser à l’Autriche ce que nous avons été amenés à accorder aux deux pays du Nord, la proposition du Gouvernement autrichien pourrait être acceptée.
En ce qui concerne le Conseil permanent de conciliation, le Gouvernement autrichien désirerait que le nombre de ses membres fût réduit de cinq à trois. Chaque Partie désignerait un membre à son gré et le troisième membre, qui serait le président du Conseil de conciliation, serait désigné d’un commun accord.
Ici encore, il n’y a pas de raisons majeures pour rejeter la proposition autrichienne, qui s’inspire du souci de faire du Conseil permanent de conciliation un organisme aussi peu coûteux que possible. Certes, un conseil de conciliation qui ne comprend plus qu’un seul membre «neutre» pourrait ne pas avoir la même autorité qu’une commission qui eût été constituée suivant le système proposé par la Suisse. Comme le Conseil fédéral a déjà eu souvent l’occasion de le faire observer, il est à craindre, en effet, que, précisément dans les cas les plus délicats à soumettre à la conciliation et où les opinions des deux Parties seront nettement opposées, les avis du Conseil de conciliation n’émaneront plus, en fait, que de son président, les deux autres membres ayant tendance à épouser la cause de leurs Gouvernements. Mais ces objections ne sont quand même pas de nature à faire échouer les négociations dont le Département politique a lui-même pris l’initiative. Aussi, pour tenir compte du désir légitime de l’Autriche de concilier les intérêts de la cause de la conciliation avec sa politique de compression des dépenses, serait-il indiqué de se ralier à sa proposition, malgré les critiques auxquelles elle peut donner lieu. C’est dans le même esprit que le Conseil fédéral avait fait droit à différentes demandes du Gouvernement hongrois lors des négociations en vue de la conclusion d’un traité de conciliation et d’arbitrage.
Pour donner à ses propositions une forme concrète, le Gouvernement autrichien a élaboré un contre-projet6 de traité qui, sauf sur les deux points examinés plus haut, est calqué sur notre projet de traité avec le Portugal. Ce contre-projet pourrait donc être accepté en principe, sous réserve de certaines questions de détail ou de forme qui seraient encore examinées dans la suite avec le Gouvernement autrichien et seraient soumises, le moment venu, à l’approbation du Conseil fédéral.En remettant ce contre-projet à la Légation de Suisse à Vienne, le Gouvernement autrichien fit connaître qu’«il accepterait avec la plus vive satisfaction une clause par laquelle les deux Parties contractantes se reconnaîtraient réciproquement le droit de porter le litige, quelle que fût sa nature, par-devant la Cour de Justice internationale, dans le cas où la procédure de conciliation n’aurait pas abouti à un règlement à l’amiable». La note autrichienne ajoute que, «vu qu’une telle disposition apporterait, cependant, un changement de fond au projet suisse, puisqu’il ne s’agirait plus d’une convention de conciliation, mais d’un traité de conciliation et d’arbitrage, le Gouvernement autrichien ne croit pas devoir formuler dès maintenant une proposition y relative, mais se borne à inviter le Gouvernement suisse à vouloir bien lui faire connaître son point de vue à ce sujet».
La question soulevée par la proposition du Gouvernement autrichien touche à l’un des principes essentiels de la politique suisse en matière d’arbitrage. Elle a déjà été examinée par le Conseil fédéral lors de l’élaboration du rapport qu’il adressa aux Chambres fédérales, le 11 décembre 19197, au sujet des traités internationaux d’arbitrage. Il s’agissait de savoir si la Suisse pourrait désormais accepter de se lier avec l’étranger par des traités reposant sur le principe de l’arbitrage inconditionnel. On pouvait avoir, au lendemain de la grande guerre, de sérieuses raisons de se montrer optimiste à l’égard du développement des moyens de résoudre pacifiquement les conflits internationaux. Après les désastres causés par la conflagration mondiale, il n’y avait rien de téméraire à supposer que les Etats et surtout les grandes Puissances ne négligeraient aucune possibilité de faire de l’arbitrage à effets étendus une des meilleures garanties de la paix.
Le Conseil fédéral ne pouvait pas vouer à cet important problème tout l’intérêt qu’il mérite. Aussi arrêta-t-il, dans son rapport de 1919, les grandes lignes de la politique que la Suisse se devait de suivre dans un domaine aussi étroitement lié au maintien de la paix générale. Il modifia l’attitude réservée dans laquelle il s’était confiné jusqu’alors à l’égard de l’arbitrage obligatoire et manifesta son intention de chercher à rendre plus effectives, par voie de traité, les obligations découlant des stipulations sur l’arbitrage contenues dans le Pacte de la Société des Nations (article XIII). Il n’eut pas de peine à montrer que, pour faire de l’arbitrage international une institution d’un rendement satisfaisant, il importait de laisser au tribunal arbitral lui-même, et non plus à chacune des Parties, le soin de statuer sur la légitimité des exceptions d’incompétence tirées de l’honneur, de l’indépendance et des intérêts vitaux des Etats contractants. Il alla plus loin encore en déclarant que, si des Etats en exprimaient le désir, il ne ferait pas de difficulté à soumettre obligatoirement à l’arbitrage tous les différends, de quelque nature qu’ils soient. Il se prononçait ainsi nettement en faveur de l’arbitrage obligatoire inconditionnel.
A l’époque où le rapport de 1919 a été élaboré, cette décision, comme on l’a vue, se justifiait. Depuis lors, la situation s’est modifiée. Des tentatives ont été faites pour parer à ce que l’article XIII du Pacte a d’insuffisant et ces tentatives ont abouti. Elles ont abouti en ce sens qu’un article 36 a pu être introduit dans le Statut de la Cour permanente de Justice internationale, article aux termes duquel chaque Etat membre de la Société peut reconnaître la juridiction obligatoire de la Cour de Justice pour les quatre grandes catégories de litiges d’ordre juridique spécifiées à l’article XIII du Pacte.
Cette disposition du Statut de la Cour est d’une portée pratique considérable. Non seulement elle élimine complètement du domaine de l’arbitrage (le mot «arbitrage» pris, ici dans un sens large et comprenant aussi le «règlement judiciaire») la réserve usuelle de l’honneur, de l’indépendance et des intérêts vitaux, mais elle étend encore la juridiction obligatoire de la Cour de Justice à quatre catégories de litiges qui embrassent pour ainsi dire tous les différends d’ordre juridique pouvant s’élever entre Etats. Elle comporte, cependant, une innovation si profonde dans les relations internationales que 14 Etats seulement, sur les 45 que compte actuellement la Société des Nations, ont pu se résoudre à signer et ratifier le protocole de Genève portant reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour de Justice internationale. Encore ces 14 Etats ne comptent-ils parmi eux aucune grande Puissance. L’abstention des grands Etats fait ressortir mieux que de longs développements ce qu’il y a de radical dans le progrès réalisé par l’article 36 du Statut de la Cour. Le jour où tous les Etats membres de la Société auront assumé des engagements analogues, soit en signant le protocole de Genève concernant la juridiction obligatoire de la Cour de Justice, soit en concluant des traités particuliers, la question de l’arbitrage international sera près d’être résolue dans une mesure que les esprits les plus optimistes n’auraient pas osé escompter il y a quelques années seulement.
L’arbitrage obligatoire inconditionnel appliqué aux seuls litiges d’ordre juridique est encore si loin de se généraliser que l’on peut se demander s’il serait indiqué, à l’heure actuelle, de dépasser même une limite que la grande majorité des Etats juge déjà trop reculée et de soumettre obligatoirement à l’arbitrage des différends n’ayant aucun caractère juridique ou dont le caractère juridique n’est qu’accessoire. Pour des litiges de ce genre, il serait préférable, semble-t-il, que la Suisse réservât encore sa liberté d’action ou plutôt, pour ne pas remettre en question des principes déjà consacrés par des traités conclus par elle, qu’elle n’admît, en dehors des différends d’ordre juridique, le principe de l’arbitrage obligatoire que sous réserve de la clause de l’indépendance et de la souveraineté des Etats contractants, étant entendu qu’il appartiendrait au tribunal lui-même de juger, en cas de contestation, si tel litige d’ordre non juridique met véritablement en jeu l’indépendance ou la souveraineté de l’une des parties.
Il est à relever qu’en soumettant les litiges d’ordre non juridique à cette restriction, on n’affaiblirait pas pratiquement la portée de l’arbitrage obligatoire dans une mesure bien considérable. L’expérience montre, en effet, que les litiges dépourvus de toute base juridique (litiges de nature exclusivement politique, par exemple) sont des plus rares. Presque toujours, les différends s’élevant entre Etats présentent un caractère juridique plus ou moins prononcé, qu’ils soient en corrélation avec l’application ou l’interprétation d’un traité en vigueur ou qu’ils mettent en cause un principe reconnu par le droit des gens. C’est bien ce que constatait le Conseil fédéral dans son Message sur la Cour permanente de Justice internationale, du 1er mars 19218, lorsqu’il déclarait que les quatre catégories de litiges d’ordre juridique spécifiées à l’article 36 du Statut de la Cour embrassent quasiment tous les litiges pouvant normalement surgir entre Etats.
Si peu fréquents soient-ils, les différends qui échappent à toute appréciation juridique et qui ne pourraient guère être tranchés, dès lors, que sur la base de l’équité risquent néanmoins de porter sur des questions que, dans l’état actuel du droit international, un Etat aurait intérêt, pour des raisons tirées de sa souveraineté intérieure ou extérieure, à soustraire à une sentence arbitrale ou judiciaire.
Lorsque le litige qui n’est pas susceptible d’être résolu selon des normes juridiques ne met pas en cause la souveraineté ou l’indépendance de l’Etat, il n’y aurait évidemment aucune raison sérieuse de ne pas le soumettre, au besoin, à l’appréciation d’un arbitre ou d’un juge. Dans le cas contraire, il importe de se montrer plus prudent, étant donné que l’arbitre ou le juge, à défaut de base juridique précise, sera amené à se laisser guider, pour la décision à rendre, par des considérations de pure opportunité politique qui peuvent ne pas offrir toutes les garanties désirables. Comme il ne s’agit pas de dire droit, mais de trancher dans un sens ou dans l’autre une question de pure politique, le tribunal pourrait facilement être entraîné à empiéter sur un domaine réservé d’ordinaire à la compétence exclusive de l’Etat. Or c’est là un risque qu’il convient autant que possible de conjurer.
Bien qu’il repose sur le principe de l’arbitrage obligatoire, le traité conclu avec le Brésil9 ne fait pas de discrimination entre ce qui est litige d’ordre juridique et ce qui ne l’est pas. Il ne contient pas moins une importante réserve en faveur des différends qui portent sur des questions affectant des principes de la constitution de chacun des Etats contractants. Il serait difficile d’établir une commune mesure entre cette réserve des principes constitutionnels et la réserve de la souveraineté de l’indépendance appliquée aux litiges d’ordre non juridique. On peut dire, toutefois, que la première va plus loin que la seconde, puisque, suivant le traité avec le Brésil, elle peut s’étendre à tout différend quel qu’il soit. Il suffit pour cela que le litige porte, de l’avis d’une des parties, sur un principe constitutionnel. Grâce à l’élasticité relative dont elle est susceptible, l’exception tirée des principes constitutionnels permettrait donc presque toujours à un Etat de s’opposer au règlement arbitral ou judiciaire de questions où se trouverait engagée la souveraineté ou l’indépendance de l’Etat.
En d’autres termes, s’ils contiennent, ou la réserve de l’indépendance et de la souveraineté appliquée aux litiges d’ordre non juridique, ou la réserve des principes constitutionnels, les traités conclus avec l’étranger offriront toujours à la Suisse la ressource de réserver sa liberté d’action vis-à-vis des litiges qu’il serait risqué de soumettre à l’arbitrage, soit parce qu’ils ne pourraient être tranchés selon des normes juridiques, soit, si l’on sort du système instauré par l’article 36 du Statut de la Cour de Justice, parce qu’ils mettraient enjeu des questions qu’il est pour ainsi dire de règle constante pour un Etat de ne pas abandonner purement et simplement à l’appréciation d’arbitres ou de juges.
Pour un pays comme la Suisse, qui pratiquera toujours une politique de progrès en matière d’arbitrage international, une conception comme celle qui vient d’être brièvement exposée sur les limites de l’arbitrage obligatoire n’a pas nécessairement un caractère définitif. Elle est susceptible d’évolution, et elle pourra évoluer au fur et à mesure que s’amélioreront les principes qui régissent les relations internationales et même être complètement abandonnée dès le jour où, le droit des gens offrant toutes les garanties voulues, se dessinera dans le monde un courant assez fort pour faire de l’arbitrage ou du règlement judiciaire obligatoire inconditionnel un principe universellement accepté.
Pour les raisons qui viennent d’être indiquées, il serait préférable de renoncer à conclure avec l’Autriche un traité reposant sur le principe de l’arbitrage obligatoire absolument inconditionnel. On pourrait, certes, instituer, sous réserve de la clause de l’indépendance et de la souveraineté, une procédure judiciaire obligatoire pour les litiges autres que ceux prévus à l’article 36 du Statut de la Cour de Justice internationale. Mais, dans le cas particulier, une mesure de ce genre ne se justifierait guère ou, du moins, serait disproportionnée au but à atteindre. Il y a si peu de probabilité que surgissent entre la Suisse et l’Autriche des litiges dépourvus de tout caractère juridique qu’il ne vaut vraiment pas la peine de faire sortir de son cadre le traité de conciliation actuellement négocié en instituant, de toutes pièces, une procédure judiciaire d’un caractère aussi exceptionnel que celle envisagée par le Gouvernement autrichien.
En conséquence, il est décidé:
1° d’accepter, en principe, les bases proposées, par le Gouvernement autrichien, pour la conclusion d’un traité de conciliation avec la Suisse;
2° de ne pas insérer, dans le traité projeté, des dispositions spéciales sur le règlement judiciaire des litiges autres que ceux visés à l’article 36 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale.
- 1
- E 1004 1/292. Etaient absents: E. Schulthess, H. Hâberlin.↩
- 2
- Non reproduit, cf. E 1004 1/290, ri' 206.↩
- 3
- Par lettre du 6 février 1924, non reproduite, cf. E 2001 (C) 7/2.↩
- 4
- FF, 1924, vol. III, pp. 668–672.↩
- 5
- FF, 1924, vol. III, pp. 673-677.↩
- 6
- Du 7 mai 1924, non reproduit, cf. E 2001 (C) 7/2.↩
- 7
- FF, 1919, vol. V, pp. 809-826.↩
- 8
- FF, 1921, vol. I, pp. 305–341.↩
- 9
- cf. no 297.↩
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