Langue: français
12.3.1923 (lundi)
Le Département fédéral de Justice et Police aux Gouvernements cantonaux et aux Légations de Suisse
Circulaire (Circ)
Mesures à observer dans les cas de rapatriement et de refoulement des étrangers. Le traitement est différencié selon les pays avec lesquels la Suisse a ou n’a pas de convention d’établissement.

Classement thématique série 1848–1945:
XI. LA QUESTION DE LA POLICE DES ÉTRANGERS ET DES VISAS
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Imprimé dans

Antoine Fleury, Gabriel Imboden (ed.)

Documents Diplomatiques Suisses, vol. 8, doc. 262

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Bern 1988

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Le Département fédéral de Justice et Police aux Gouvernements cantonaux et aux Légations de Suisse1

Des expériences récentes nous ont convaincus qu’on n’est pas suffisamment au clair, ici et là, sur la manière de procéder dans les cas de rapatriement et de simple refoulement des étrangers. Afin d’aider les autorités cantonales, nous nous permettons de leur faire parvenir les directives générales suivantes:

Le rapatriement, considéré dans son ensemble (simple refoulement et rapatriement proprement dit) repose en partie sur les traités d’établissement et les accords de prévoyance sociale conclus avec les Etats étrangers, en partie, quand il n’existe pas de réglementation par les traités, sur des principes consacrés par la pratique internationale, sous condition de réciprocité.

Comme nous l’avons donné à entendre, il faut distinguer entre le simple refoulement et le rapatriement.a) Le simple refoulement consiste en ce que l’étranger renvoyé du pays peut être éloigné sans que l’on ait besoin d’obtenir au préalable l’assentiment de l’Etat d’origine. Ou bien la personne renvoyée est mise en demeure de quitter le pays dans un délai déterminé, ou bien elle est refoulée sans autre, c’est-à-dire conduite à la frontière par la police. Dans la règle, les autorités suisses n’ont pas à se préocuper de son sort, après qu’elle a franchi la frontière. Si elle n’appartient pas à un Etat limitrophe, en particulier quand elle est dénuée de moyens, il y a lieu de l’amener d’abord à son Consulat, afin que celui-ci pourvoie à ses frais de route jusqu’au lieu d’origine. Les autorités suisses ont à répondre des frais du renvoi, quand il s’agit d’indigents, jusqu’à la frontière suisse (règlement des transports de police), si le Consulat étranger ne s’en charge pas librement. Il sera procédé ainsi envers tous les ressortissants des Etats étrangers, sans exception et sans égard à leur nationalité. Les traités n’ont pas le pouvoir d’y rien changer.

b) Dans la catégorie des étrangers à refouler sommairement rentrent les expulsés adultes en santé et capables de travail et qui n’ont pas besoin d’être aidés, s’ils ne quittent pas le pays volontairement, par leurs propres moyens; puis aussi les personnes qui ont dû être, pendant un temps, soignées aux frais de l’assistance publique, mais dont la santé est suffisamment rétablie pour que de nouveaux soins et des précautions ne paraissent pas nécessaires. Dans la règle, des femmes seules avec enfants (non compris l’Allemagne art. 12, al. 2, du traité d’établissement) et des familles entières peuvent être refoulées sommairement, si les père et mère jouissent d’une bonne santé et sont capables de travail. Dans ce dernier cas, lorsque des circonstances spéciales paraîtront l’indiquer, on usera de ménagements, qu’il s’agisse soit d’un rapatriement proprement dit soit d’une autre solution (entente avec le Consulat étranger). Nous prêterons volontiers en tout temps notre entremise. Si la personne renvoyée, tout en étant sans ressources, est aussi dépourvue de papiers, on parviendra peut-être, assez souvent, à remédier au cas en éclaircissant la question de sa nationalité ou en provoquant sa réintégration dans la nationalité perdue, si elle est sans patrie. Lorsqu’une intervention dans ce sens ne paraît pas réalisable, nous pouvons procurer à l’intéressé la possibilité d’entreprendre un voyage régulier hors de Suisse, en lui faisant tenir, suivant les circonstances un passeport d’étrangers2 ou, s’il est Russe, un certificat Nansen. Les cas de ce genre devront nous être soumis.

c) Les motifs qui peuvent être invoqués pour le renvoi des étrangers n’ont pas besoin d’être énumérés ici, les autorités cantonales les connaissant déjà. Toutefois, nous attirons encore spécialement l’attention sur la circulaire du Conseil fédéral du 19 avril 1920 concernant la «révision des étrangers.

d) Les personnes formellement expulsées (par voie judiciaire ou administrative) peuvent, si elles ne quittent pas volontairement le pays, être éloignées de même par simple refoulement, lorsque leur santé le permet et qu’elles sont en même temps dénuées de ressources. Si elles ont besoin d’être aidées, elles sont soumises aux prescriptions sur le rapatriement.a) On entend en général par rapatriement, le transport, le plus souvent accompagné, d’une personne à la frontière de l’Etat d’origine, transport qui ne doit avoir lieu qu’après qu’une procédure de remise a été accomplie et que les autorités du pays d’origine se sont déclarées prêtes à recevoir cette personne et ont fait le nécessaire pour la reprendre. Les autorités de l’Etat de résidence prêteront leur assistance à l’intéressé jusqu’au moment du rapatriement.

b) A la catégorie des personnes à rapatrier après une telle procédure, appartiennent en général et en tout cas, selon la pratique habituelle de la Suisse, les malades, y compris les aliénés et les faibles d’esprit, et les enfants abandonnés ou seuls; puis, les infirmes et les vieillards; bref, les étrangers qui, par suite d’une maladie physique ou mentale, à laquelle s’ajoute l’absence de ressources, tombent définitivement ou pour un temps indéterminé, à la charge de l’assistance publique dans l’Etat de résidence.

c) D’après ce qui précède, les motifs du rapatriement sont constitués, dans la règle, par la nécessité de soigner les intéressés, jointe à celle d’une intervention de l’assistance publique. A côté de ceux-là, viennent aussi se placer parfois, naturellement, ceux du renvoi, comme dans le simple refoulement. Quand se présentera la menace d’un recours à l’assistance, on décidera dans chaque cas en particulier.a) L’obligation d’assister des étrangers n’existe que pour autant que les traités la prévoient. Tout le reste est affaire de bon vouloir et sous condition de réciprocité. Malheureusement, comme vous le savez, la réciprocité est souvent en soi une chose très problématique. Maintes fois, elle n’est pas pleinement exercée à l’égard de la Suisse, alors même qu’elle est prévue par les traités. Malgré cela, les autorités suisses ont considéré jusqu’ici (d’une manière louable, du point de vue humanitaire) comme leur devoir d’accorder une aide aussi étendue qu’on peut la désirer aux étrangers indigents et dénués de ressources, sans égard à leur nationalité. Elles ne se sont pas demandé au préalable si et dans quelle mesure il existait à ce sujet des prescriptions de prévoyance sociale et si, dans les cas inverses, la réciprocité serait exercée. Tous les ressortissants étrangers sont en effet traités en Suisse sur le même pied, quand ils ont besoin d’être soignés et sont sans ressources. Toutefois, les cantons sont libres de persévérer dans cette voie généreuse, ou de réduire graduellement leur assistance volontaire, pour se placer sur le terrain des traités et de la réciprocité effective. Quant aux obligations découlant des traités, on continuera de les remplir loyalement. Lorsqu’il s’agit de ressortissants des Etats avec lesquels des dispositions relatives à l’assistance n’ont pas été arrêtées, ou lorsqu’il est question d’une assistance non prévue par les traités, elle peut être accordée au besoin, mais chaque cas de quelque importance devrait être annoncé à la représentation étrangère compétente (Légation ou Consulat), qui aurait à répondre des frais, éventuellement jusqu’au moment du rapatriement. Les autorités cantonales peuvent s’adresser d’abord au Consulat ou bien, mais en s’y prenant dès le début, à la Légation, par notre entremise. Le traitement ultérieur de l’intéressé dépendra de l’attitude du représentant de son pays d’origine en Suisse. Si ces autorités remboursent la dépense, rien ne s’oppose à ce que l’assistance soit continuée; si elles ne la remboursent pas, il est laissé aux soins des autorités cantonales de la suspendre. Lorsque cette mesure sera envisagée, par suite du non payement par les autorités de l’Etat d’origine (et l’on doit appuyer sur ce dernier point), nous voudrions recommander aux autorités cantonales de prendre contact avec la Division de police. A l’objection éventuelle de l’Etat étranger, qu’une telle attitude est contraire à la pratique internationale, on pourra opposer le manque de réciprocité.

b) Dans les rapports avec les Etats avec lesquels nous avons des accords de prévoyance sociale, les frais d’assistance et de rapatriement jusqu’à la frontière de l’Etat d’origine, sont à la charge de l’Etat de résidence. Dans les rapports avec les autres Etats, il faudra tenter de recouvrer non seulement les frais d’assistance, mais encore les frais du rapatriement même.

c) Il existe des accords de prévoyance sociale avec l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, la Hongrie, l’Italie et le Portugal. Les dispositions à ce sujet se trouvent en partie dans les traités d’établissement, en partie dans des accords spéciaux. Le cercle des personnes auxquelles elles s’appliquent est, ici, plus restreint, là, plus étendu. A un point de vue strict, les accords avec VAllemagne ci la Belgiqueont seuls une portée assez grande pour embrasser dans l’assistance toutes les catégories de personnes désignées ci-dessus, sous chiffre II, lit. b. et c. Il en résulte que les ressortissants allemands et belges en Suisse qui rentrent dans ces catégories, ne peuvent, en tout cas, être éloignés de notre pays que par la voie du rapatriement, après avoir reçu jusqu’à ce moment les soins nécessaires. Les accords avec l’Autriche, la Hongrie(accord avec l’ancienne monarchie danubienne), l’Italieet le Portugal, ne prévoient l’assistance (jusqu’au rapatriement) que des malades (maladies physiques ou mentales); le traité d’établissement avec l’Autriche et la Hongrie la stipule aussi en faveur des victimes d’accidents. En revanche, l’assistance des enfants, des vieillards, des infirmes, par exemple, n’est pas prévue par le traité, de sorte que les autorités suisses seraient en tout cas fondées à présenter le compte des dépenses occasionnées par l’assistance publique des personnes rentrant dans ces catégories. Il y aura toutefois lieu, pour les cantons, de prendre en considération les conditions du change.

Les rapports avec la Franceont quelque chose d’un peu spécial. A teneur de la déclaration du 27 septembre 1882, il n’existe un droit réciproque à l’assistance jusqu’au rapatriement que pour les aliénés et les enfants abandonnés. Jusqu’en 1905, seules les personnes de ces deux catégories pouvaient être rapatriées en France. Depuis l’entrée en vigueur de la loi française du 14 juillet 1905, le rapatriement est aussi devenu possible quand il s’agit de vieillards âgés de plus de 70 ans, puis d’invalides et d’incurables. Les conditions sous lesquelles le rapatriement peut avoir lieu, figurent dans la circulaire du Département du 24 février 1908. Quoique les possibilités de rapatriement soient restreintes, tous les Français tombés jusqu’ici dans la catégorie mentionnée ci-dessus sous chiffre II, lit.b, ont été soignés gratuitement en Suisse. La France a aussi, de son côté, sans doute en considération des grands efforts déployés par la Suisse dans le domaine de l’assistance, soigné gratuitement des Suisses, sur la base de ses lois des 7 août 1851 et 15 juillet 1893, relatives à l’assistance médicale gratuite, quoique la seconde ne prévoie l’assistance médicale gratuite que pour les étrangers avec l’Etat d’origine desquels elle a conclu des accords de réciprocité (on sait qu’il n’en a pas été conclu avec la Suisse). Ainsi la Suisse a accompli jusqu’ici en faveur de la France une assistance étendue, cependant que la France a moins fait pour nous, quoiqu’elle ait toujours été au delà des obligations que lui imposait l’accord du 27 septembre 1882. Des cas récents semblent toutefois indiquer qu’elle tend à se replacer sur le terrain de l’accord et n’exercera plus l’assistance qu’envers les aliénés et les enfants abandonnés, ou alors, présente le compte des frais, si elle va plus loin. Cela nous engage à rendre les autorités cantonales attentives au fait qu’elles peuvent présenter la note des frais pour les cas d’assistance volontaire de ressortissants français (cas non prévus par le traité).

Il y a lieu aussi de mentionner spécialement les rapports avec la Lithuanie. Le Conseil fédéral s’est entendu provisoirement avec cet Etat pour que les ressortissants nécessiteux de l’autre Etat qui ont besoin d’être assistés reçoivent gratuitement dans l’Etat de résidence les soins que réclame leur santé. Toutefois, les cas d’assistance doivent être annoncés immédiatement à l’autorité consulaire compétente de l’assisté dans l’Etat de résidence, laquelle prend dès ce moment les nouveaux frais à sa charge et exécute de son chef le rapatriement, aux frais de l’Etat d’origine, s’il est exigé. Nous recommandons aux cantons d’échanger par l’entremise de notre Division de police, avec le représentant de la Lithuanie, les rapports résultant de cet arrangement.

Les traités d’établissement avec la Colombie, le Danemark, la république de l’Equateur, l’Espagne, les Etats-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne, laprincipauté de Liechtenstein, les Pays-Bas, la république de San Salvadoret la Serbie, ne stipulent que l’obligation de reprendre la personne refoulée, en cas de renvoi motivé. Il n’existe pas de dispositions relatives à l’assistance, de sorte que l’on peut considérer comme faisant règle les points de vue exposés plus haut sous chiffre III, lit. a. Ces mêmes principes sont applicables à tous les autres Etats avec lesquels nous n’avons aucun traité d’établissement ou convention commerciale, ni d’autres accords semblables, ou avec lesquels, quand bien même des traités d’établissement ont été conclus, il n’a été convenu ni de l’obligation de reprendre les personnes renvoyées ni de dispositions de prévoyance sociale (par exemple, le Chili, la Grèce, la Roumanie, le Japon, la Perse).Partout où les rapatriements ont lieu par voie diplomatique, ils traînent en longueur, comme vous le savez. Ils laissent précisément fort à désirer à cet égard lorsqu’il s’agit de deux Etats voisins: l’Italie et la France, où les rapatriements sont naturellement très nombreux. Il est possible, dans un petit nombre de cas, d’obtenir l’autorisation de rapatrier après un délai de 3 à 4 mois. Les cas abondent où les pourparlers durent 5 à 7 mois et plus. Nous nous efforçons de changer cette situation. Malheureusement, nous ne trouvons pas toujours dans les cantons l’appui désirable et nécessaire. A maintes reprises, ces derniers temps, ont été introduites des demandes de rapatriement qui durent être ensuite retirées, parce que d’autres solutions avaient surgi, que l’on aurait découvertes auparavant, si les cas avaient été examinés à fond. Il est pénible que l’étranger puisse faire des remarques sur des cas de ce genre, et le préjudice est grand aussi, parce qu’on en peut conclure que nos demandes de rapatriement ont été présentées à la légère. Avec de tels faits, l’étranger peut forger des armes contre nous, afin de se dérober aux obligations qui lui incombent de par les traités. Puis il arrive fréquemment que, dans tel cas concret, les circonstances s’étant modifiées, soit que la personne à rapatrier ait recouvré la santé ou qu’elle soit retournée volontairement dans son pays, soit que des parents aient pris soin d’elle, ces changements ne nous sont pas annoncés. Nous rappelons le cas à réitérées reprises à l’étranger, en insistant, pour apprendre ensuite qu’il a été liquidé il y a longtemps d’une autre manière.

C’est pourquoi nous vous prions de vouloir bien considérer les points suivants:

1. Les cas d’assistance ne devraient pas être annoncés, dans la règle, comme exigeant le rapatriement quand une autre solution est possible, soit que, selon toute prévision, l’intéressé n’aura besoin d’être assisté que pendant peu de temps, soit qu’il résulte d’un examen attentif du cas que l’assistance n’aura pas à intervenir. Dans la première alternative, le simple refoulement peut avoir lieu après guérison, s’il y a d’autres motifs de l’exécuter. Le remboursement des frais peut toujours être exigé, si l’assistance n’est pas prévue par un accord.

2. Avant que le rapatriement soit demandé, le cas doit être examiné dans tous les sens; on doit élucider notamment le point de savoir si les parents tenus à une pension alimentaire par la loi, ne sont pas en état de prendre soin de l’intéressé. Les pièces à l’appui de la demande de rapatriement (rapport sur la situation économique, papiers de légitimation, certificat médical, etc.) doivent nous être envoyées aussi complètes que possible.

3. La demande de rapatriement une fois introduite, il est nécessaire, et nous y insistons, que tout changement survenant dans la situation du cas nous soit immédiatement signalé. Lorsque nos demandes de rapatriement seront particulièrement traînées en longueur, il y aura lieu, ici et là, de transformer le rapatriement en simple refoulement, soit de ne plus attendre pour renvoyer la personne en cause que l’autorisation en ait été accordée. Mais en pareil cas, nous vous recommandons de vous concerter avec notre Division de police.

1
Circulaire: E 2200 Paris 1/1758. concernant le simple refoulement et le rapatriement des étrangers P.II.611.
2
Cf. no 187.