dodis.ch/44616 Le Chef du Département de l’économie publique, E. Schulthess, au Directeur du Bureau International du Travail, A. Thomas1
Personnelle
Berne, 23 septembre 19201920-09-23
J’ai bien reçu votre lettre du 21 septembre2. Je vous avoue que son contenu m’a quelque peu surpris. Jamais je n’ai fait mystère de mon attitude vis-à-vis des conventions de Washington. C’est ainsi que, dès le début, j’ai déclaré aux représentants des socialistes suisses qu’à mon vif regret la première convention rencontrerait difficilement l’approbation de la Suisse, pour les motifs que je vous ai déjà exposés. Les efforts tentés en vue d’arriver à un examen du projet en seconde lecture, examen à l’occasion duquel on aurait pu éliminer certaines aspérités donnant particulièrement lieu à des difficultés, ont échoué. La possibilité de modifications futures auxquelles vous faites allusion ne sera pas de nature à dissiper les craintes qui se manifestent au Conseil fédéral, au Parlement et dans le peuple suisse.
Ainsi que j’ai eu l’occasion de vous le déclarer après la conférence tenue à Zurich les 13 et 14 septembre avec les représentants des associations patronales et ouvrières, je proposerai au Conseil fédéral l’adhésion à tous les projets de convention discutés lors de cette réunion, à l’exception de celui concernant l’emploi des femmes avant et après l’accouchement. Sans pouvoir, en ce moment, accepter tel quel le texte de ce projet, nous nous efforcerons d’en réaliser l’idée générale. La conférence de Zurich a fait l’objet d’une brève communication aux journaux; je vous en adresse une copie sous ce pli.
Lorsqu’au cours de l’entretien avec M. Millerand3, l’on vint à parler de la législation internationale du travail, je considérai comme un devoir de politesse de lui signaler, attendu qu’il a joué un rôle si éminent dans ce domaine et que j’ai eu l’occasion de collaborer avec lui4, les grandes difficultés auxquelles se heurte la Suisse pour ériger en loi nationale le projet de convention, tel qu’il a été adopté, relatif à la journée de huit heures et à la semaine de quarante-huit heures. Je n’ai nullement sollicité l’appui moral de M. Millerand, mais la conversation s’étant portée sur le droit international du travail, il n’eût pas été compréhensible que mes collègues et moi passassions complètement sous silence l’attitude de la Suisse.
Je n’ai relaté à aucun journaliste cette partie de la conversation. Aucune note officielle, ni officieuse, n’a paru à ce sujet. Les renseignements relatifs à l’entretien dont il s’agit ont été donnés par un article de journal, qui repose sur des indiscrétions; vous savez qu’il n’est pas facile de les empêcher.
Vous pouvez être certain que, comme par le passé, je ferai tout ce qui dépend de moi pour promouvoir la législation sociale sur le terrain national et international, malgré les sérieuses difficultés que je rencontre. Mais vous comprendrez certainement que le Gouvernement suisse, comme celui de tout autre pays, doit se ménager la faculté de faire des réserves vis-à-vis des projets qui lui sont soumis et de ne pas tenir secrète son attitude.
Comme vous, ce n’est pas sans inquiétude que je vois arriver la votation populaire du 31 octobre5. Si vous considérez que même en cas d’adoption de la loi sur la durée du travail dans les entreprises de transport, la première convention de Washington en nécessiterait immédiatement la révision dans le sens d’une aggravation, vous conviendrez que la décision de la Suisse n’est pas facile.
Je vous parle, moi aussi, à titre purement personnel et en toute franchise. Je désire sincèrement et de tout cœur pouvoir travailler avec vous en parfaite harmonie. Un entretien prochain permettra sans doute de dissiper les malentendus.
Dans cette attente, je reste, cher Monsieur, très cordialement à vous.