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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 222
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1522#1* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(B)1000/1522 1 | |
Dossier title | Aussenpolitische und militärische Berichte von Bern an schweizerische Vertretungen im Ausland (Auszüge aus politischen Berichten) (1918–1920) | |
File reference archive | D.1 |
dodis.ch/43967La Division des Affaires étrangères du Département politique aux Légations de Suisse1
La situation en Allemagne est si inquiétante que nous avons, samedi, d’accord avec la Délégation des Affaires étrangères, fait venir les représentants des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Italie pour leur en parler; en même temps, nous chargions nos représentants à Washington, à Paris, à Londres et à Rome de faire une démarche analogue.2 La Suisse ne demande rien et ne suggère rien. C’est parce que nous sommes le pays le plus directement menacé que nous avons cru nécessaire d’appeler l’attention des Puissances sur la gravité de la situation.
Nous avons en effet recueilli des informations, de sources très autorisées et aussi opposées que possible à l’ancien régime, que nous allons vous répéter, en les divisant, selon nos informateurs, en deux catégories:
1°. Il règne à Munich une anarchie absolue et la situation y est désespérée si l’on cherche le remède à l’intérieur. Seule l’Entente pourrait amener une amélioration si elle faisait parvenir des vivres aux centres organisés qui existent encore, c’est-à-dire aux gouvernements Ebert-Scheidemann et à ceux de Wurtemberg et de Bade: on montrerait ainsi aux parties désorganisées de l’Empire que leur révolution anarchiste les condamne à mourir de faim, mais ce serait le tout dernier moment pour agir.
C'est en Bavière que la situation est la plus mauvaise, bien qu’en Saxe les choses ne marchent pas non plus. Les paysans bavarois, toujours très radicaux, se sont ralliés aux anarchistes surtout, croit-on, pour recevoir des armes. Qu’en feront-ils? Les bourgeois sont absolument apathiques, ne résistent pas et ne songent pas à établir une contre-organisation. Ce qui dans toute l’Allemagne décourage les modérés, est le sentiment que l’Entente ne remue pas un doigt pour les aider à lutter contre les révolutionnaires.
D’autre part, les anarchistes ont énormément d’argent qu’ils reçoivent de Russie; on mentionne 600 millions de roubles par jour, sans parler des marks qui arrivent aussi.
Les bolcheviks n’agissent pas seulement par leur argent mais aussi par leur armée en Prusse orientale.
2°. Notre second informateur est plus découragé encore: en Allemagne, c’est le triomphe du mensonge après la défaite: le peuple a mal voté en envoyant au pouvoir le gouvernement actuel, mais l’Entente a tort de l’en châtier, le peuple est réduit au désespoir. Il ne se rend pas compte de sa responsabilité, il ne sait pas se défendre, il ne sait pas organiser des gardes civiques. Les hommes qui luttent contre les majoritaires deviennent des Spartaciens, des fous et s’écrient: «Partout ce sont les gouvernements qui veulent la ruine des peuples! tout est mensonge! prenez le drapeau rouge, brandissez-le et toute l’Europe suivra».
Ils tolèrent les ordres d’un Lénine3 qui déclare ouvertement se moquer de l’Allemagne et ne travailler que pour la révolution russe.
Le peuple est fatigué, il ne réagit pas, pas plus que le peuple français fatigué lui aussi ne réagit contre son gouvernement. Il n’y a que le gouvernement de Weimar qui s’occupe de l’armistice et de la paix. Ni le peuple, ni les anarchistes n’y prennent le moindre intérêt: qu’ils viennent, dit-on, qu’ils occupent, que nous importe! Wilson même n’excite plus en Allemagne ni sympathie ni opposition; on ne s’intéresse plus à rien, à rien du tout!
Personne n’a plus de troupes sûres en Allemagne, sauf peut-être Noske. Les troupes françaises ne paraissent pas vouloir maintenir l’ordre en Allemagne, elles sont indifférentes à ce qui s’y passe et l’on dit qu’elles ne veulent plus marcher dans le Palatinat.
Sur les événements de Munich, qui sont les plus typiques, notre interlocuteur nous donne les renseignements suivants: Eisner, qui avait des mérites, manquait de clarté: c’était un bolchevik qui ne voulait pas verser de sang, un démolisseur doux. Il a fait la révolution avec 7 hommes et 380 soldats, mais n’a pas pris une position franche et honnête. Par son compromis avec les majoritaires, il a provoqué un mauvais vote de la population. Lui-même acceptait les majoritaires, mais ne travaillait pas avec eux. Ayant perdu toute popularité, il décida de réunir les conseils d’ouvriers et de soldats, qui étaient presque oubliés. Les matelots se sont laissé guider par les anarchistes, qui ont été plus loin qu’Eisner ne l’aurait voulu: désormais, personne n’était plus en sûreté à Munich. Eisner se rendit au Landtag sous une forte protection; il projetait une brusque et soudaine intervention armée à la Bonaparte; tout était combiné lorsqu’il fut assassiné. Ses hommes coururent alors au Landtag pour y tuer les ministres majoritaires: Joffe et Unterleitner étaient en sûreté; Joffe est un homme sans convictions qui fait tout ce qu’on veut en souriant, Unterleitner ne sait pas lire ou à peine. Pendant que le Landtag s’échappait en sautant dans la rue pas les fenêtres, les anarchistes excitaient la population et formaient un conseil d’anarchistes, de communistes et d’indépendants, qui proclama le Soviet sans nominations de Ministres. Mardi 25 février ont commencé les meetings du pays, qui doivent confirmer ce Soviet. Il était très difficile de se faufiler dans ces réunions, où des anarchistes seuls ont parlé. Personne en Bavière n’a plus le droit d’exprimer son opinion ni de porter des armes, sauf le prolétariat. Les soldats démobilisés sont de vrais sauvages. Le régime des cuisines uniques et des distributions a été introduit. La dette de guerre et l’administration de la Justice sont supprimées.
Le Soviet de Munich ne laisse plus pénétrer de nouvelles de Berlin; les Berlin ois sont ses ennemis et les hommes de Halle ses amis. La presse est... [?]... et il ne paraît que des [?].......4
On nous dit que si M. Muehlen n’a pas accepté le portefeuille des Affaires étrangères, c’est qu’on ne lui offrait pas une participation au Gouvernement: on lui ordonnait seulement de servir de porte-parole à ceux qui mènent. C’est à grand’peine qu’il a réussi à échapper pour regagner la Suisse.
Quant à une solution de l’Entente, elle serait désormais inutile pour sauver la situation. On ne peut plus que tenter d’enrayer le mal, de l’empêcher de se répandre, de diminuer la contagion.
Si l’Entente avait fait, il y a trois mois, ce qu’elle paraît prête à faire maintenant, elle aurait pu empêcher la destruction de l’Allemagne. Alors, un geste aurait suffi pour rétablir la foi dans la solidarité. Maintenant, c’est trop tard pour les contrées infectées. En Bavière, la situation est irrémédiablement perdue dans les villes. Il ne faut pas se faire d’illusions: la contagion est terrible, c’est le «finale» de la guerre. Tout ce qu’on peut essayer, c’est d’encourager les régions non contaminées, pour qu’elles deviennent un centre d’attraction. Comme ravitaillement, ce qui, psychologiquement, entre tout d’abord en ligne de compte, c’est le café, dont la pénurie absolue déprime les masses. Il faudrait aussi du drap, pour pouvoir habiller en civil les soldats démobilisés, sans quoi le chaos subsiste. Notre interlocuteur tire de la situation la morale suivante: Pour éviter qu’après la défaite de l’armée les violents ne s’emparent du pouvoir, désarmez tout le monde ou armez tout le monde. Si une classe se saisit des armes, vous êtes perdus.
La gravité du péril bolchevique nous est confimée par des renseignements privés, d’où il résulte qu’à Mannheim deux rues entières ont été pillées par les Spartaciens. Sur la place du Château, les troupes françaises auraient fusillé 20 soldats français coupables de fraternisation avec les Spartaciens. Les troupes françaises ont évacué Mannheim et n’ont laissé à Ludwigshafen que des troupes coloniales, en barrant complètement le trafic à travers le Rhin. Dans l’Allemagne du Sud, on raconte que les Spartaciens sont prêts à fournir à leurs coreligionnaires en Suisse une assistance à main armée.
Il circule un bruit d’après lequel M. Platten aurait disparu en Allemagne. On a même prétendu qu’il aurait été assassiné par les capitalistes. Nous sommes sans renseignements sur ces mouvements. On nous dit encore que ce ne sont pas les autorités badoises qui avaient proclamé l’état de siège, mais bien ces Messieurs les Spartaciens de Mannheim qui se croyaient déjà sûrs de leur affaire. Cela expliquerait la rapide suspension de cet état de siège.
On raconte à Berlin que les relations entre les Anglais et les Français dans les territoires occupés sont si tendues qu’on se tire les uns sur les autres et que l’on a dû créer une zone neutre d’un kilomètre.
Nous n’avons pas de nouvelles informations à vous donner sur la situation à Halle et en Saxe, au sujet de laquelle les journaux vous tiennent informés. Il est certain que les mouvements spartaciens s’exécutent sous une direction systématique. Dès qu’une révolte est écrasée quelque part, elle surgit ailleurs à nouveau. Les chefs de Spartacus changent souvent leur quartier général et entretiennent soigneusement l’agitation, qui gagne partout. Les élections communales de Berlin ont tourné au profit des indépendants. La bolchevisation de l’Allemagne est un péril toujours plus proche.
[...]5
- 1
- Rapport politique (Copie): E 2001 (D)c 1/1919.↩
- 2
- Cf. no 214.↩
- 3
- Correction manuscrite: Lévine.↩
- 4
- Une demi-ligne illisible.↩
- 5
- Suivent des informations générales sur la conférence de la Paix et sur le siège de la Société des Nations revendiqué par la Belgique ainsi que sur les relations belgo-hollandaises et la situation économique en Belgique.↩
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