Classement thématique série 1848–1945:
VI. BONS OFFICES
2. Désignation d’un Gouverneur de la Crète
Également: A la suite de la remise de la note collective des six puissances invitant la Grèce à retirer ses troupes de la Crète, Lardy examine la situation du concert européen face à l’affaire crétoise et à la question d’Orient. Annexe de 4.3.1897
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 242
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001A#1000/45#658* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(A)1000/45 77 | |
Dossier title | Nr. 633. Aufstand auf Kreta, griechisch-türkischer Krieg (1897–1899) | |
File reference archive | B.261 |
dodis.ch/42652
Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Président de la Confédération et Chef du Département politique, A. Deucher1
Samedi les réponses des divers gouvernements aux propositions françaises relatives à la Crètesont arrivées et ont toutes été favorables. S’agissant alors de la personne du gouverneur, M. Hanotaux m’a fait savoir dimanche matin qu’il avait aussi consulté les autres gouvernements sur l’opportunité de désigner un Suisse, et qu’il les avait entretenus, entre autres, de M. l’ancien conseiller fédéral Droz; que toutes les réponses ayant été sympathiques à cette désignation, il me demandait de consentir à faire part de la situation, à titre rigoureusement personnel et secret, à M. Droz, en le priant d’examiner s’il pouvait venir à Paris le plus tôt possible.
Il y a déjà plusieurs mois, l’Ambassadeur d’Angleterre et M. Hanotaux m’avaient fait des allusions à la possibilité de l’appel d’un Suisse ou d’un Belge; les noms de MM. Brialmont, Droz, etc. avaient été mis en avant suivant qu’on désirait un civil ou un militaire. Il y a quelques jours, j’avais compris, lorsque M. Hanotaux m’annonça qu’il avait fait prévaloir l’idée d’un gouverneur civil appartenant à un Etat neutre, que cette idée impliquait la proposition d’un Suisse. Les Ambassadeurs d’Italie et d’Angleterre m’avaient parlé de M. Droz. La chose était manifestement dans l’air.
Comme il importait de ne pas ébruiter la chose trop officiellement, M. Hanotaux m’a demandé de traiter sa demande comme une affaire purement personnelle; en cas de refus de M. Droz, le Ministre voulait, je pense, ne pas augmenter les difficultés de l’appel à une autre personnalité.
M. Droz est arrivé à Paris ce matin et a vu M. Hanotaux cet après-midi de 5 à 7 heures. Il est immédiatement venu me rendre compte de cet entretien. En substance, M. Droz a déclaré au Ministre que les obstacles qui s’étaient opposés à ce qu’il restât membre du Conseil fédéral, obstacles tenant à sa situation de famille, subsistaient encore et s’étaient même plutôt aggravés, en sorte qu’il était extrêmement probable qu’il ne lui serait pas possible d’accepter un mandat de ce genre. Il a ajouté que, si, contre son attente, ces obstacles pouvaient être levés, il ne pourrait s’agir en tout cas que d’une mission absolument temporaire ayant pour seul but l’examen de la situation politique de la Crète, et l’élaboration d’un plan de constitution administrative et de fonctionnement du régime d’autonomie de l’île, tant à l’intérieur qu’en vue de l’abolition des capitulations et des relations de l’île avec les puissances et avec le suzerain; enfin, que si, toujours contre ses prévisions, il pouvait se charger de cette mission temporaire, il ne le ferait qu’après être rentré en Suisse et en avoir conféré avec ses amis et notamment avec Vous.
Après cet entretien, j’ai rencontré ce soir M. Hanotaux chez un ambassadeur qui donnait une soirée. Le Ministre m’a dit qu’il avait trouvé M. Droz froid, très froid, mais qu’en raison de l’accueil particulièrement favorable, absolument aimable et gracieux fait par tous les gouvernements sans exception à la candidature d’un Suisse et au nom de M. Droz, il considérait comme son devoir d’insister auprès de lui et de faire tout son possible pour l’amener à consentir à une mission provisoire et temporaire en vue de guider les puissances, de préparer la réorganisation administrative de l’île et d’élaborer une constitution.
M. Droz va rentrer à Berne; il doit revoir M. Hanotaux vers 5 heures demain et, s’ il le peut, repartira immédiatement, sinon arrivera à Berne jeudi matin. Il m’a dit que dans cette seconde entrevue, il maintiendrait absolument sa réponse d’aujourd’hui.
J’avoue que, pour ma part, je regrette bien vivement que la santé de M. et Mme Droz soit un obstacle à peu près insurmontable. J’avais vaguement rêvé dans cette mission le commencement d’une ère fort honorable pour notre pays; quand je me rappelle le premier arbitrage où un Suisse a pris part à côté d’autres arbitres et que je constate combien le rôle de notre pays comme arbitre international est devenu considérable et presque professionnel, je m’étais demandé si nous ne pourrions pas rendre au monde et à la cause de la paix le service de fournir aux grandes puissances des hommes pour occuper les postes qui, sans être dangereux et compromettants, ne doivent être dans les mains d’aucune grande puissance; j’entrevoyais déjà, dans un certain avenir, la Crète, Constantinople, Panama, Suez, Gibraltar, confiés à des Suisses au nom du Droit international et dans l’intérêt de la paix générale. Pour la première fois depuis des générations, on a vu les grandes puissances redouter tellement d’engager les peuples dans la guerre qu’elles ont passé par-dessus leurs rivalités et ont agi de concert, lentement, péniblement, mais en sachant rester d’accord. Nous pourrions servir à la réalisation, sur certains points, de cet accord pacifique; nous n’avions rien à y perdre, puisque nous aurions eu l’occasion de fournir des fonctionnaires, des administrateurs divers, quelques officiers qui auraient renforcé nos cadres de militaires de carrière sans rien nous coûter, en même temps que d’acquérir des débouchés commerciaux sans avoir la responsabilité de ces embryons de colonies. J’avoue qu’il m’en coûte beaucoup de voir que ce rêve n’est guère en train de se réaliser et je trouve que, de la part de M. Droz, la responsabilité de refuser son concours à une perspective de ce genre, de priver notre pays de la possibilité de réaliser tout ou partie de ce programme, est très grande devant la Suisse, devant l’Europe et devant l’histoire. Il le sent et c’est ce qui le fait encore hésiter à dire catégoriquement non. M. Hanotaux m’a dit qu’il venait de télégraphier pour demander que le nom de M. Droz fut tenu absolument secret en présence de son refus probable (afin de ne pas entraver des pourparlers ultérieurs avec d’autres personnalités). J’aimerais avoir dix ans de plus pour savoir si mon rêve commence à se réaliser! L’opinion publique suisse ne pourrait-elle pas comprendre qu’il y a là pour notre pays une occasion à ne pas laisser échapper?2
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