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Le Chef du Département politique, W. Spühler, à l’Ambassadeur de Suisse à Paris, P. Dupont1

Enquête sur la politique française

La politique française est en train de modifier profondément la situation internationale. S’il s’agit d’un fait évident, on est beaucoup moins au clair sur les perspectives qu’il ouvre et sur ses conséquences pratiques proches et lointaines. Mais en tout état de cause, cette évolution aura des répercussions sur notre pays comme sur beaucoup d’autres états.

Il convient donc de faire d’abord le point de la situation, d’envisager ensuite sur quoi elle peut déboucher et d’apprécier enfin les réactions et les prévisions des principales puissances intéressées.

En conséquence, nous avons l’intention d’ouvrir une enquête2 à ce sujet auprès de nos ambassades en Europe, aux Etats-Unis, au Canada et au Japon. Mais puisqu’il s’agit de politique française, le point de départ de cette enquête ne peut être que Paris. Nous vous serions dès lors reconnaissants de bien vouloir rédiger un rapport de base3 sur ce problème, que nous communiquerons à nos missions et qui leur servira de document de travail initial.

Comme l’intégration européenne donne déjà lieu à une information exhaustive, il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails de ce sujet qu’il suffirait de situer.

Ceci dit, nous n’avons nullement l’intention de limiter le champ de votre analyse ni de vous en fixer le plan. Vous êtes mieux à même que nous de déterminer les questions cruciales. Ce n’est donc qu’à titre purement indicatif que nous énumérons ci-dessous les points qui, pour l’instant, nous préoccupent le plus.

Nous aimerions pouvoir fixer dans une vision d’ensemble la position de la France dans les domaines suivants:

militaire4 (OTAN, Alliance atlantique, défense tous azimuts)

monétaire5 (or, dollar)

économique6 (en particulier, par rapport au défi américain et à l’aide au tiers-monde)

énergétique et scientifique7 (notamment en ce qui concerne la collaboration avec la Grande-Bretagne)

diplomatique8 (USA, URSS, Allemagne, Chine, Vietnam, Moyen-Orient, ONU, tiers-monde)

linguistique9 (Québec, Afrique, Wallonie, Jura).

D’autre part, est-il possible de discerner, dans les objectifs du général de Gaulle, ceux qui lui paraissent essentiels et ceux qui ne sont que tactiques, qui ne représentent qu’une manœuvre de diversion ou une monnaie d’échange?

Enfin nous nous demandons, comme tout le monde, ce qu’il adviendra de la politique gaulliste après de Gaulle. Changera-t-elle autant qu’on l’espère à Londres et à Washington ou peut-on déjà estimer que certains de ses éléments, comme l’anti-américanisme, ont des chances d’être durables?

On pourrait peut-être réduire toutes les questions que nous nous posons à l’une ou l’autre de ces formules:

Jusqu’où ira le renversement des alliances? ou

La France n’étant pas de taille à devenir une superpuissance, faisant obstacle à l’intégration européenne qui seule pourrait donner naissance à une 3 e force, peut-elle poursuivre une politique d’indépendance sans faire le jeu de l’URSS et susciter de ce fait l’hostilité de l’Allemagne et par là l’éclatement de l’Europe des six?

Nous nous rendons compte que nous vous demandons un travail considérable. Mais son utilité est indéniable puisque notre politique devra forcément tenir compte des réalités de l’Europe de demain.