Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 22, doc. 139
volume linkZürich/Locarno/Genève 2009
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#171* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 89 | |
Dossier title | Brüssel, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 19 (1961–1963) |
dodis.ch/30590 Entretien avec M. Spaak, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères.
Du fait des circonstances que j’ai exposées dans ma Lettre politique No 12, c’est le 7 mars seulement – soit dix jours après la présentation de mes lettres de créance au Roi Baudouin – que j’ai eu ma première entrevue avec M. Spaak.
Après s’être excusé de n’avoir pu recevoir lui-même la copie de mes lettres, M. Spaak m’exprima ses remerciements et la reconnaissance de son Gouvernement pour la protection des intérêts belges en Egypte par la Suisse3.
Il me demanda ce que je pensais quant à la solidité du régime de Nasser, ce qui nous amena à un tour d’horizon de la situation politique générale au Moyen-Orient. En ce qui concerne la reprise des relations diplomatiques entre la Belgique et la RAU, il me déclara: «Pour ma part, je fais ‹l’Oriental›, j’attends. Nous ne sommes pas pressés et il n’y a pas de raison que nous renoncions à la demande plus que raisonnable que nous avons formulée pour une reprise des relations (expression de regrets de la part de la RAU et reconnaissance par elle du principe de l’indemnisation pour l’incendie de l’Ambassade), car ce qu’elle nous a fait au Caire est grave, très grave.»
L’entretien passa alors sur les circonstances de la crise de la CEE4. Je rapporte ici, aussi textuellement que possible, des phrases qui prennent un relief particulier dans la bouche du Ministre belge des Affaires étrangères. «Le veto français à l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE a été un pavé énorme qui a provoqué des remous dont, disons-le entre nous, nous sommes loin d’être remis.» Mon interlocuteur enchaîne: «Avouons-le, c’est le grand désarroi et cela d’autant plus qu’avec le Général de Gaulle – qui s’exprime en phrases sibyllines – on en est réduit aux hypothèses quant à savoir ce qu’il veut exactement. Plusieurs hypothèses sont possibles mais il est difficile de savoir quelles peuvent être celles qui sont fondées. Que veut-il? Dans cette incertitude, nous ne savons, pour le moment, que faire (sic).»
Un bref dialogue s’échange sur les hypothèses possibles et le Ministre poursuit: «Ce n’est certes pas ce que nous avons voulu en signant le Traité de Rome. Ce n’est pas pour cette Europe des Patries, de conception nationaliste – sous forme d’une pyramide avec la France au sommet et à la base la piétaille – que nous avons abandonné une partie de notre liberté politique (sic).» C’est la façon atténuée que mon interlocuteur utilisa pour désigner ce que l’observateur appellerait plus volontiers: souveraineté ou indépendance.
Le Ministre poursuit: «la délégation française n’a pas pu nous fournir d’arguments tant soit peu clairs ou convaincants quant à l’attitude du Général. M. Couve de Murville, dans le fauteuil où vous êtes assis, m’a déclaré: si vous permettez, nous reparlerons de tout cela après l’échec de vos amis travaillistes.» Et mon interlocuteur d’enchaîner: «il n’est certes pas certain que les travail listes gagnent les élections mais il n’est pas non plus certain que, s’ils arrivent au pouvoir, ils prennent position contre l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE.»
L’heure avançait. Je fis encore allusion au passage à Bruxelles, la veille, de M. Merchant. Le Ministre résume que l’envoyé américain lui a précisé:
1. que les USA continuent à considérer que leur propre défense est intimement liée à celle de l’Europe,
2. que les USA ne peuvent admettre la dispersion du risque que comporte l’arme nucléaire.
Tout l’entretien – qui dura trente minutes – s’est déroulé dans une atmosphère que je puis qualifier d’aimable et détendue. Au moment où je prenais congé de lui, le Ministre, en réitérant ses regrets de n’avoir pu recevoir lui-même la copie de mes lettres en raison de ses occupations du moment, ajouta: «n’hésitez pas à demander à me voir personnellement chaque fois que vous l’estimerez nécessaire.» Il répéta cette phrase alors que je franchissais la porte.
La durée de cette première entrevue que j’ai estimé devoir limiter au temps indiqué plus haut – d’autres visiteurs attendaient dans l’anti-chambre –, le «désarroi» que mentionnait mon interlocuteur, l’absence de questions de sa part au sujet de la position suisse, m’ont fait juger opportun de ne pas aborder spontanément ce point au cours de ce premier contact. L’impression «agréable» que j’en retire est évidemment toute personnelle et sans point de comparaison car seuls les interlocuteurs suisses de M. Spaak au cours des mois écoulés et avant l’échec de Bruxelles pourraient juger valablement d’un éventuel changement d’atmosphère à notre égard.
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