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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 20, doc. 83
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#354* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 174 | |
Dossier title | Kairo, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 11 (1956–1956) |
dodis.ch/12877
Ainsi que je vous en ai informé télégraphiquement2, le Président Abdel Nasser m’a reçu ce matin pour la présentation de mes lettres de créance.
Le Président, qui paraît quelque dix ans de plus que son âge – il a trentehuit ans – était entouré du Vice-ministre des Affaires étrangères en l’absence du Ministre3 malade et de son Aide de camp. Après lui avoir remis mes lettres avec deux ou trois phrases d’usage, aucun discours n’étant prévu, j’ai présenté mes collaborateurs et l’audience privée commença aussitôt après. Elle dura vingt-cinq minutes en la seule présence du Vice-ministre des Affaires étrangères. La seule langue étrangère du Président est l’anglais qu’il parle couramment.
Après un préambule faisant allusion à la nouvelle mentalité du peuple égyptien «auquel nous avons maintenant donné la conscience de son entité et de sa dignité nationale», le Président aborda sans tarder le sujet de la position du franc suisse et de l’intention de l’Egypte d’effectuer dorénavant ses transactions financières internationales par l’entremise de la Suisse et d’y placer des réserves «étant donné», précisait-il, «que des entraves ou des mesures de blocage ne seraient jamais à craindre de la part de la Suisse neutre». Ce que vous aviez bien voulu me dire à ce sujet et la conversation que j’avais eue à la Banque nationale (M. Hay)4 le matin même de mon départ m’engagea à signaler au Président que certaines mesures de prudence pourraient éventuellement s’imposer parfois à notre politique monétaire et que s’agissant là de problèmes délicats de technique financière, il serait souhaitable que les spécialistes des deux pays puissent s’entretenir directement afin d’éviter tout possible malentendu. Comme j’ajoutais que la Direction générale de notre Banque nationale recevrait volontiers tout délégué qui serait envoyé pour l’éclaircissement de telle ou telle question qui pourrait se poser, le Président se tourna vers le Vice-ministre en le priant de retenir cette suggestion qui lui paraissait opportune. Dans le cadre de cette question, le Président ne m’a pas paru être déjà au courant de la réponse négative qui a été adressée à la Banque nationale d’Egypte au sujet de la conversion en dollars du prêt consenti à l’Egypte par l’ArabieSaoudite.
Ce premier sujet quelque peu glissant ainsi traversé sans encombre le Président déclara avec un sourire presque jovial «et maintenant je voudrais vous parler de la question du Canal». Je résumerai succinctement cet exposé d’environ un quart d’heure qui, ne vous apprenant rien de nouveau, n’a d’autre intérêt que celui de sortir de la bouche du responsable même de la tempête déchaînée.
Après avoir déploré l’attitude de la presse étrangère «qui puise ses renseignements à de mauvaises sources ou sert délibérément les intérêts impérialistes», le Président précisa «La Compagnie universelle du Canal maritime de Suez est une société concessionnaire d’un service public égyptien… Sa nationalisation est d’une légalité incontestable. Le traité de Constantinople ne saurait conférer à la Compagnie un caractère international qu’elle n’a jamais eu. J’ai toujours déclaré que je suis prêt à donner les garanties nécessaires pour le libre passage à travers le Canal mais je n’admettrai jamais, et la nation égyptienne avec moi, une internationalisation, sous quelque forme que ce soit, de cette voie d’eau strictement égyptienne… Le Comité Menzies5 est venu me présenter une solution sans que la question ait été étudiée et discutée avec l’Egypte… Une étude approfondie et préalable du problème est indispensable mais il est d’avance exclu que celle-ci aboutisse à une internationalisation ou à une ‹isolation› du Canal». Et de continuer sur le thème de la question de prestige qui, pour les Occidentaux, affirme le Président, fausse tout le problème…
Puis, revenant sur l’opinion publique internationale, le Président déclara qu’il avait été satisfait de constater que la presse suisse «dont j’ai pris connaissance il y a quatre ou cinq jours» paraissait montrer une compréhension relativement objective du problème. Cette dernière déclaration a contrasté heureusement avec l’opinion que m’a exprimée à ce sujet le Chargé d’Affaires d’Egypte à Berne lors de la visite que je lui ai faite la veille de mon départ.
L’argumentation du Président pourrait appeler divers commentaires. Je m’abstiendrai toutefois de m’y livrer dans ce rapport pour ne relever que l’impression très nette que le Bikbachi est non seulement prêt mais vivement désireux de négocier au sujet des garanties que peuvent souhaiter les usagers du Canal, ces garanties devant toutefois, dans son esprit, rester de la seule responsabilité et compétence de l’Egypte à l’exclusion de toute ingérence d’un organisme international de gestion ou de surveillance.
Parlant sur un ton posé, en l’espèce nettement didactique, sans aucune passion apparente, le Président ne s’est départi à aucun instant du plus grand calme. Il donne l’impression – à laquelle on ne s’attend guère si l’on en juge notamment par ses discours au peuple – d’un homme très maître de lui et réfléchi. L’orgueil que l’on convient généralement de lui attribuer n’est pas apparent ou, tout au moins, n’est pas apparu dans ces vingt-cinq minutes d’entretien. A part de fugitifs durcissements de sa physionomie de temps à autre, l’expression du Président est généralement souriante et le contact personnel s’avère aisé. Il ne manque pas d’un certain charme et l’on peut mieux comprendre dès lors l’impression favorable que M. Pineau rapporta, il y a six mois, de ses entretiens avec lui6. On sait également que l’Ambassadeur américain Byroade, qui vient de partir sur un échec manifeste de sa mission de presque deux ans, fut immédiatement conquis par le charme du Président et le considéra jusqu’au bout comme un ami personnel. Il n’en fut pas moins joué, lui aussi, lorsque Abdel Nasser s’adressa du jour au lendemain à l’Est pour son réarmement7.
L’entretien se termina par les assurances que je pouvais compter sur son appui personnel et sur celui de son gouvernement et la constatation réitérée par le Président qu’il n’existe heureusement pas de difficultés dans les rapports entre la Suisse et l’Egypte.
J’ai été reçu à 11 h. et le Président a accueilli, également ce matin, les nouveaux Ambassadeurs des Etats-Unis8 et d’Irak respectivement à midi et 13 h. L’Ambassadeur des Etats-Unis était arrivé au Caire le même jour que moi. J’eus la surprise de constater que le strict protocole qui réglait les détails de la cérémonie n’a pas varié d’un iota de celui que j’ai connu, il y a onze ans lorsque j’accompagnai M. le Ministre Brunner pour la présentation de ses lettres au Roi Farouk9. Premier chambellan, maître des cérémonies, grand chambellan, compagnie d’honneur et fanfare, lanciers de la Garde, tout était exactement semblable qu’alors, jusqu’aux trois révérences qui m’avaient été prescrites pour entrer dans la salle d’audience et la marche à reculons pour en sortir. Seuls les vestons de ville remplaçant uniformes et fracs et les sirènes hurlantes du peloton de motocyclistes entourant les limousines tenant lieu d’escadron d’escorte et de carrosses rappelaient à la vue qu’une révolution s’était effectuée entre-temps.
- 1
- E 2300(-)-/9001/174.↩
- 2
- Cf. le télégramme No 79 de la Légation de Suisse au Caire au DPF, E 2500(-)1990/6/127.↩
- 4
- Cf. No 77 dans le présent volume.↩
- 5
- Il s’agit du Comité de Suez ou Comité des Cinq, dit Comité Menzies du nom de son président, R. G. Menzies, Premier Ministre australien. Il est chargé de remettre un aide-mémoire au colonel Nasser et d’entamer des pourparlers avec lui sur la base du plan arrêté à la Conférence de Londres, qui a eu lieu du 16 au 23 août 1956, dans le but de constituer un organisme international de gestion du Canal. Sur l’appréciation des travaux de ce Comité, cf. la lettre de A. Rappard à A. Zehnder du 8 septembre 1956, E 2300(-)-/9001/36 (dodis.ch/12913).↩
- 7
- Cf. le rapport politique No 17 d’A. Boissier à M. Petitpierre du 30 septembre 1955, E 2300(-)-/9001/173 (dodis.ch/12455).↩
- 8
- Il s’agit de R. A. Hare.↩
- 9
- En poste au Caire depuis 1937 comme Chargé d’Affaires, A. Brunner a été nommé Ministre le 1er juin 1945, cf. PVCF No 1188 du 1er juin 1945, E 1004.1(-)-/1/458.Voir aussi E 2200.39(-)-/1/1.↩
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Egypt (General) Suez Crisis (1956) Credential Letters