Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 3, doc. 413
volume linkBern 1986
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.41-02#1000/1671#198* |
Old classification | CH-BAR E 2200.41-02(-)1000/1671 0185 |
Dossier title | Savoie neutralisée: Aktenstücke Nr. 872 (65- ) (1887–1887) |
File reference archive | 1 |
dodis.ch/42392
Il devient de plus en plus évident que l’affaire Wohlgemuth n’a été qu’un prétexte de la part de l’Allemagne pour se ménager une raison, exécrable sans doute, de nous dire qu’elle n’a pas à se gêner avec nous et à respecter notre neutralité, quand il lui conviendra de nous tenir ce langage. Le moment approche sans doute, avec une rapidité plus grande qu’on ne le croyait il y a peu de jours, où nous serons mis en face de la redoutable question d’avoir à laisser utiliser notre territoire comme base d’opérations contre la France ou de devoir tenir tête aux armées allemandes et italiennes qui voudront forcer le passage.
Depuis quelque temps, cette préoccupation me hante et a grandi avec les derniers faits qui sont confirmés par les nouvelles très alarmantes de ce soir. Je ne parle que des journaux, car nous n’avons encore aucune dépêche diplomatique ni de Vienne, ni de Berlin, ni de Rome. L’année dernière, le 8 mai, j’avais préparé un rapport2 au Conseil fédéral pour l’éventualité de plus en plus probable d’une double attaque de notre territoire au nord et au sud. Je l’avais remis à M. Hertenstein, qui, avec son esprit d’économie poussée à l’excès, ne m’a pas paru vouloir tenir grand compte des propositions que je faisais au point de vue militaire. Je l’ai sorti de nouveau de mes cartons pour en faire part à M. Hauser, qui fera, je crois, le nécessaire. Pourvu que nous ne soyons pas trop en retard!
Parmi les questions dont il y a lieu de se préoccuper soit au point de vue diplomatique, soit au point de vue militaire, l’une des plus importantes est celle de la Savoie. De Berlin, on nous a donné à plusieurs reprises par M. Roth l’avis officieux que l’occupation de notre part en était «unerwünscht». En descendant de Goeschenen à Lucerne, lors du passage du roi Humbert, M. Crispi m’a dit à brûle-pourpoint: «Avez-vous fait de nouvelles négociations avec la France pour la question de Savoie?» Je lui ai répondu que nous ne nous étions pas occupés de cette question. Qu’il en ait été parlé à Berlin, c’est indubitable, et l’on peut supposer que l’Italie a l’intention d’envahir ce pays, si possible, pour marcher sur Lyon et Dijon, sans parler des autres combinaisons stratégiques qui nous touchent encore plus directement.
La question de savoir comment nous nous comporterons envers la Savoie, déjà difficile en elle-même, est compliquée par la perpléxité où nous sommes vis-à-vis des intentions de la France. La négociation qui a abouti à notre note de 18873, ne nous a pas renseignés suffisamment à ce sujet. Il serait pourtant très essentiel de connaître les dispositions du gouvernement et de l’état-major français. Aujourd’hui on ne doit certainement plus nous envisager à Paris avec les mêmes défiances que précédemment. On sait ou doit savoir que nous lutterons aussi pour notre peau, suivant toute probabilité, et que notre écrasement serait fatal pour la France. Ne croyez-vous donc pas, Monsieur le Ministre, que le moment serait venu de savoir de quel bois on se chauffe maintenant? M. Spuller, /qui/ nous veut du bien, /serait peut-être plus expansif que M. Flourens/4. Ne pourriez-vous, par exemple à propos de la question de Morgins, laisser tomber un mot en passant sur la Savoie? Il le relèvera peut-être ou même certainement, car il ne doit pas avoir l’oreille dure, en ce moment surtout, et nous en apprendrons sans doute davantage. Je le crois aussi l’homme discret dont nous avons besoin pour qu’on ne tambourine pas l’affaire au dehors.
A mon avis, la seule chose essentielle serait d’avoir quelques lignes nous disant qu’on est d’accord en principe avec notre note de 1887. Alors, nous pourrions traiter en toute liberté d’esprit la question de notre attitude éventuelle, dans un comité restreint composé de MM. Hauser et Pfyffer et de moi. Il ne s’agirait plus ensuite, le moment décisif venu, que de nantir le Conseil fédéral de nos propositions. Rien n’en transpirerait jusque-là.
Un autre point. Des observations relevées par des agents du colonel Pfyffer constatent certains préparatifs sur la frontière alsacienne. Ainsi, on mettrait les lampions dans les gares militaires, opération qui n’aurait pas de raison d’être si on ne songeait pas à les utiliser prochainement. Il y a d’autres petits faits semblables auxquels les nouvelles de ce soir dans les journaux donnent un caractère encore plus inquiétant. Ne pourrait-on savoir très-discrètement si des observations de même nature ont été faites par des agents français, qui en auraient certainement donné connaissance au Ministère de la guerre, mieux outillé pour ce service d’information que notre Département militaire et notre état-major? M. Pfyffer attacherait un grand prix à obtenir ces renseignements.
Ce sont là des missions très délicates. Mais avec votre tact et vos nombreux moyens d’action, je ne doute pas que vous n’arriviez à nous orienter sans compromettre notre situation de neutres qui veulent le rester, mais qui ont besoin de savoir ce qui se passe autour d’eux et quelles intentions on nourrit à leur égard.
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German Realm (Other)
Wohlgemuth Affair (1889)