Reise des Schweizer Gesandten in Paris nach Marokko. Bericht über die Situation der Schweizer Kolonie, die Lage im französischen und spanischen Teil Marokkos, den Besuch auf einer amerikanischen Luftwaffenbasis und die französische Politik und ihre Schwäche.
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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 19, doc. 100
volume linkZürich/Locarno/Genève 2003
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#793* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 351 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 108 (1954–1954) |
dodis.ch/9401 VOYAGE AU MAROC
I. Colonie suisse du Maroc.
Conformément aux instructions que vous m’aviez données, j’ai effectué un voyage au Maroc du 20 avril au 7 mai2 pour rendre visite aux colonies suisses du Protectorat et notamment pour inaugurer la maison des Suisses à Casablanca. Ce circuit a été retardé jusqu’après Pâques, l’immeuble de Casablanca n’ayant pas pu être achevé plus tôt comme on l’avait prévu.
C’est ainsi que l’inauguration dont il s’agit a eu lieu à la fin de mon séjour et après le bref voyage que j’ai fait à Rabat, Meknès, Fez et Marrakech pour y rencontrer nos compatriotes qui, comme vous le savez, avaient été visités en 1948 par mon prédécesseur, M. le Ministre Burckhardt3, et en 1950 par le Général Guisan4. Jusqu’aux récents événements politiques du Maroc, notre colonie de ce protectorat français était en progression et j’y ai rencontré encore un assez grand nombre de jeunes compatriotes qui venaient d’y arriver et qui y avaient trouvé un gagne-pain. Dans tout le Maroc, la composition de nos colonies est très diverse; beaucoup de colons, dont le plus important est certainement M. Koechlin, fils de l’ancien président du conseil de la Banque Commerciale de Bâle, qui exploite une très grande propriété près de Meknès avec des moyens des plus modernes, beaucoup de représentants des professions libérales et des artisans, comme partout des pâtissiers qui sont parmi les premiers du pays, comme la maison Angst à Casablanca et la maison Altenburger à Meknès.
Au début de ma tournée, une conférence au consulat à Rabat a réuni les porte-paroles des principales colonies, sauf celle de Marrakech. On percevait une certaine inquiétude au sujet de la situation politique, qui bien entendu a déjà eu des répercussions assez graves sur la situation économique, notamment sur le marché immobilier, où la demande a cédé la place à des offres très importantes de gens qui préfèrent quitter le Maroc. Nos compatriotes ont demandé ce que ferait la Confédération en cas de troubles ou d’expulsions de ressortissants suisses par les autorités marocaines devenues indépendantes, mais bien entendu, je n’ai pas pu leur donner des apaisements à ce sujet devant une situation dont le développement est encore imprévisible aujourd’hui. Du point de vue financier, la possibilité existe encore de procéder à des exportations de capitaux, ce qui est quand même un avantage par rapport aux pays de derrière le rideau de fer. Le Résident général5, dans l’entretien qu’il a bien voulu m’accorder, a souligné que tous les Blancs ou roumis (chrétiens) étaient solidaires, ce qui est exact en ce qui concerne l’attitude des indigènes en cas d’émeute ou d’insurrection, alors qu’il n’est pas exclu qu’un Etat marocain indépendant pourrait accorder un traitement spécial aux étrangers que l’on ne peut pas assimiler pleinement aux ressortissants français. Le consul d’Angleterre à Rabat qui, lui aussi, a plusieurs milliers d’administrés, notamment des ressortissants de Gibraltar et de Malte, m’a dit qu’aucune mesure n’était prévue pour leur évacuation en cas de guerre civile ou d’insurrection.
Il est certain que cette question préoccupe nos compatriotes, et plus encore à la fin de mon séjour, après les nombreux attentats terroristes qui ont eu lieu notamment à Casablanca et dans d’autres villes du protectorat.
J’ai trouvé dans notre colonie du Maroc un très grand patriotisme, même auprès de ceux qui y sont établis depuis bientôt trente ou quarante ans. Beaucoup de nos compatriotes y sont venus sans un sou et y ont fait carrière et fortune. Bien qu’attachés au Maroc, les liens avec la mère patrie, pour des raisons évidentes, sont restés beaucoup plus intenses qu’en France.
La plus nombreuse colonie se trouve à Casablanca où, comme vous le savez, une société immobilière suisse a conçu et réalisé avec ses propres moyens, sans subside de la Confédération, la Maison des Suisses, où tout un étage est réservé à un club suisse qui sera géré par la femme d’un directeur d’hôtel suisse de Casablanca et où nos compatriotes pourront prendre leurs repas et se réunir. C’est une belle œuvre de solidarité, notamment envers les jeunes qui fraîchement débarqués de la Suisse, y trouveront un lieu de ralliement et pourront s’y faire les relations nécessaires s’ils se trouvent un peu dépaysés. La location de bureaux et de magasins devrait suffire pour maintenir le restaurant pour les Suisses, et pour le moment tout au moins sont établis à Casablanca des Suisses fortunés qui certainement seront disposés à aider financièrement en cas de nécessité. La réussite de cette entreprise dépendra en quelque sorte de la question de savoir si le Maroc, dans les prochaines années, pourra ou non offrir des possibilités de travail à des compatriotes venus de Suisse.
J’ai pu constater dans tout le Maroc que M. le consul général de Tschudi est très aimé et estimé par ses administrés. Né lui-même en Egypte et parlant tant soit peu l’arabe, il est spécialement bien outillé pour comprendre le pays et ses problèmes et a su se faire une situation très remarquable, tant auprès de ses compatriotes qu’auprès des autorités du protectorat et marocaines. Il en est de même de notre agent consulaire à Marrakech, M. Wachsmuth, qui défend avec beaucoup de sollicitude et de dévouement les intérêts de nos compatriotes dans la contrée de Marrakech.
II. Situation politique du Maroc.
Il n’est pas dans mon intention d’émettre après un voyage d’à peine quinze jours un avis sur la situation marocaine. J’avais dit à M. de Tschudi que l’objet principal de ma visite au Maroc était de prendre des contacts avec les colonies. Je l’avais prié de réduire à un minimum les visites de courtoisie auprès des autorités du protectorat, voulant éviter dans la mesure du possible que l’on puisse attribuer mon voyage à des raisons politiques. A la Résidence générale à Rabat, on semble avoir été au début un peu embarrassé de mon arrivée, qui coïncidait avec celle de l’Ambassadeur Hausenstein, chef de la représentation diplomatique allemande à Paris, qui, aux environs de Pâques, avait fait un bref voyage d’agrément au Maroc, accompagné d’un conseiller de légation. Il semble que ce dernier ait à tout prix voulu arracher de la Résidence générale une audience auprès du Sultan6, ce que, pour des raisons qui se comprennent fort bien, la Résidence générale ne voulait pas accorder. Aussi n’était-ce que quelques jours plus tard et en dérogation à mon programme que la Résidence générale me demanda de me rendre en audience auprès du Sultan, audience qui, aux dires des participants français, s’est fort bien passée, le Sultan ayant eu des mots très aimables pour la Suisse, alors que deux jours avant il avait assez froidement reçu le Ministre français du Commerce, M. Louvel.
Le Général Guillaume, Résident général, avait, comme vous le savez, fait une chute de mulet à une chasse au sanglier quelques jours avant – la selle ayant été mal sanglée et s’étant retournée avec lui, ce qu’il faut ajouter pour sauver l’honneur de cavalier du Général –. Il avait été assez sérieusement blessé à l’épine dorsale et les médecins lui imposaient, en vain d’ailleurs, un repos total. Il m’a reçu avec M. de Tschudi couché dans un fauteuil et a parlé assez ouvertement de la situation politique du Maroc. Certainement plus conciliant que le Maréchal Juin, il cherche des solutions pour assainir la situation. A son avis, tout le mal vient des déracinés nombreux qui, quittant, comme s’il s’est exprimé, le douar ou l’agglomération de tentes ou de huttes, se rendent dans les villes pour y chercher du travail et qui s’y trouvent déracinés et sans moyens. Son projet était d’augmenter les contacts entre l’administration et cette population flottante. C’est ainsi qu’il prévoyait qu’à la place de cinq arrondissements pour une population de 600’000 habitants à Casablanca, il fallait en constituer quinze, dont chacun aurait donc à peu près 40’000 personnes à surveiller. Le principe est sans doute juste, mais une réforme de ce genre nécessite, pour devenir efficace, un délai de plusieurs années, alors que la situation exige d’urgence des décisions. Le Général Guillaume estimait que le Maroc était surpeuplé et a fait une allusion aux moyens pharmaceutiques modernes qui ne laissent plus à la nature le moyen de veiller ellemême à régler cette question de population. Il n’a pas caché que beaucoup de mécontents sortaient des écoles françaises et qu’on n’avait pas su dans le passé suivre les élèves qui, après leur éducation, étaient trop laissés à eux-mêmes dans la lutte pour leur existence.
En ce qui concerne l’Espagne, le Général Guillaume a fait valoir que celleci n’avait d’aucune façon développé la zone espagnole du Maroc et que de ce fait on n’y constatait ni surpopulation, ni discordance entre la situation des indigènes et un développement à outrance de la vie moderne dans des villes comme Casablanca. Les mêmes contrastes n’y existent donc pas et le Général estimait que dans ces circonstances, l’administration espagnole avait beau jeu pour dire que tout était au mieux dans le meilleur des mondes dans sa zone du protectorat.
Tout cela est probablement vrai, mais n’apporte pas un remède à la situation actuelle. La grande majorité des personnes que j’ai rencontrées, Français et Suisses, estiment que c’est seulement avec la manière forte qu’on arrivera à lutter contre le terrorisme qui s’est fait jour au Maroc depuis l’hiver, d’ailleurs dans des formes encore assez inoffensives puisque, jusqu’à maintenant, on a pu constater qu’il s’agissait d’engins explosifs très rudimentaires et qui ne provenaient certainement pas de l’étranger. De l’avis de beaucoup de personnes, nombre de ces attentats seraient en fait des règlements de comptes personnels.
J’ai rencontré un seul Suisse qui défendait la thèse que le moment pour la méthode forte était passé et qu’il fallait faire des concessions aux indigènes. Les avis étaient divisés sur les effets de la destitution de l’ancien Sultan7. Les uns prétendent que son remplacement était devenu nécessaire, du moment qu’il refusait de signer les réformes que lui proposait le gouvernement du protectorat, mais il ne semble pas faire de doute que les indigènes ont très mal pris cette destitution, provoquée et mise en scène par les autorités du protectorat, alors qu’ils conçoivent fort bien qu’eux-mêmes pourraient procéder s’il y a lieu à un changement de sultan. Pour beaucoup d’indigènes, le nouveau Sultan est considéré comme un Quisling. Il semble établi que le Gouvernement français aurait préféré ne pas arriver à cette mesure, qui était préconisée par un ou deux Français de la Résidence générale (on m’a cité les noms d’un préfet, Boniface, atteint depuis lors par la limite d’âge, et du conseiller diplomatique Jacques de Blesson, devenu entre-temps directeur d’Amérique au Quai d’Orsay), mais qu’il s’est laissé dépasser par les événements et par l’initiative prise dans cette affaire par le pacha de Marrakech, le glaoui8. Maintenant encore, ce dernier est le chaud partisan de mesures énergiques et spectaculaires pour réprimer la révolte, alors que dans son propre entourage on estime que les mesures qu’il préconise sont trop brutales.
Le flottement de la politique française est manifeste. L’on a bien obtenu de l’ancien Sultan une déclaration selon laquelle il s’abstiendrait de toute activité ou ingérence politique, sans abdiquer toutefois, comme on l’espérait. La politique du moment est à présent à la répression énergique du terrorisme, mais à longue vue, cela ne semble pas être une solution. Beaucoup dépendra de l’influence de l’étranger et l’on paraît admettre que du côté des Etats-Unis d’Amérique on était revenu à des opinions plus saines sur le problème. La seule solution semble être d’accorder progressivement des réformes et de préparer le terrain pour donner au Maroc son indépendance. Mais c’est un travail de longue haleine et il n’est pas certain que dans les circonstances actuelles on dispose encore du temps nécessaire pour une émancipation saine et raisonnable. Même si en raison des événements d’Indochine, les problèmes d’Afriquedu Nord semblent avoir passé à l’arrièreplan, leur importance pour la France est infiniment plus grande que celle d’Extrême-Orient, et les autorités françaises devront, qu’elles le veuillent ou non, dans un assez proche avenir se pencher sur ces problèmes et se décider pour une politique déterminée. Ce n’est pas en changeant par à-coups les résidents généraux, en passant d’une grande dureté à une grande compréhension, que l’on arrivera à trouver une solution aux questions.
Les Français du protectorat sont très montés contre François Mauriac, qui a critiqué et critique encore la déposition de l’ancien Sultan. S’il a peutêtre tort d’insister toujours de nouveau sur ce point, il est certain que du point de vue religieux, cette déposition donnait un argument très puissant aux thèses des indigènes. La seule question est de savoir si cet acte d’autorité était devenu indispensable ou non. A entendre les gens au Maroc, la grande majorité l’estimait inéluctable si l’on ne voulait pas en arriver à des vêpres marocaines. Reste à savoir si avec la politique actuelle on arrivera à mieux se tirer de l’impasse.
J’ai profité du dernier jour de mon voyage pour aller visiter la base aérienne américaine de Nouasseur et la foire internationale de Casablanca, à l’insistante demande de nos compatriotes.
La base aérienne de Nouasseur se trouve à 35 km. de Casablanca dans une plaine sans arbres et comprend environ 6000 hectares et 30 km. de pourtour. Il s’agit moins d’une base d’exercice que d’un vaste camp d’approvisionnement pour toutes les bases aériennes américaines en Europe et dans le bassin méditerranéen jusque dans le Proche Orient. C’est vous dire les quantités immenses de pièces de rechange, de matériel et de provisions qui s’y trouvent. Il y a seize grands hangars, que l’on ne songe pas à pénétrer à pied, mais qu’on traverse en automobile. Le jour où j’y étais, l’on m’a montré des avions à réaction dont l’un a pour nous franchi le mur du son, puis des avions-citernes destinés à réapprovisionner en plein air les autres avions. Les Américains entretiennent à peu près 2000 hommes, auxquels s’ajoutent encore au moins autant de personnes indigènes et françaises. Il y a une école pour 540 enfants américains et un hôpital en construction qui est prévu pour 1000 personnes. Tout est à l’échelle gigantesque, comme bien on peut le penser.
Juridiquement et pour sauver les apparences, le terrain a été acheté ou exproprié par l’armée de l’air française et le chef du camp est un colonel de l’air français, qui a sous ses ordres notamment les questions de sécurité, qui jouent un grand rôle dans une agglomération aussi nombreuse d’indigènes, comprenant une assez grande proportion d’Israélites qui sont venus au Maroc. Le commandant français me disait qu’après de grandes difficultés au début, les relations entre autorités françaises et américaines étaient aussi bonnes que possible et permettaient une collaboration utile. Au nord de Rabat il y a encore une plus grande base, Sidi Slimane, servant comme base à des escadrilles d’avions, alors que Nouasseur n’a que périodiquement des avions.
Soit dit en passant que le chef de l’escadrille9 des avions à réaction a été appelé pendant ma visite au téléphone et en est revenu rayonnant pour raconter à son chef que le Grand Quartier de Wiesbaden venait de l’appeler pour le convoquer en vue de lui remettre une décoration, son escadrille ayant été déclarée la meilleure de toutes les bases européennes dans les derniers six mois. Pour un oui ou non on se rend du Maroc en Europe et en Proche Orient, sans que l’on puisse encore dire qu’il y a des distances.
Pour faire plaisir aux Suisses de Casablanca, j’ai visité la foire internationale où il y avait plusieurs stands avec des marchandises suisses. Malgré les événements, les exposants étaient contents des résultats, même si le nombre des visiteurs était minime. En effet, les badauds avaient renoncé à s’y rendre et avaient cédé la place aux clients sérieux. Cela n’a rien d’étonnant quand on a pu constater que toute la foire était encerclée par un réseau de police et de militaires avec un homme tous les 20 à 30 m., ce qui prouve combien on avait peur d’un attentat. Cela n’invite pas beaucoup à des visites, aussi peu qu’en Roumanie, en 1949, on appréciait les concerts où il fallait passer, pour arriver dans la salle, par deux cordons de militaires armés de fusils et de mitraillettes.
- 1
- Rapport politique: E 2300(-)-/9001/351.↩
- 2
- Sur ce voyage, cf. E 2200.275(A)1967/81/5.↩
- 3
- Le voyage au Maroc du Ministre J. Burckhardt se déroule du 9 au 19 mars 1948, ibid.↩
- 4
- La visite en Afrique du Nord du Général Guisan se déroule du 26 avril au 15 mai 1950, ibid.↩
- 7
- Mohammed ben Youssef.↩
- 9
- Non identifié.↩
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