Bericht von Prof. Jean Graven über die Situation in Äthiopien und die Entwicklungsmöglichkeiten für die Schweiz. Graven kündigt die Europareise des Kaisers an und schlägt vor, dass die Schweiz den Kaiser zu einem Besuch einlädt. Dieser Vorschlag wird in Bern positiv aufgenommen. Dies führt schliesslich zum Besuch des Negus in der Schweiz.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 19, doc. 91
volume linkZürich/Locarno/Genève 2003
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E#1969/121#2212* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)1969/121 89 | |
Dossier title | Schweizer und Schweiz. Interessen (Rechtsschutz) in Aethiopien (1947–1954) | |
File reference archive | B.31.0 • Additional component: Aethiopien |
dodis.ch/9265
A la fin du mois de novembre dernier, en vue de mon prochain départ pour l’Ethiopie, je vous avais écrit pour vous dire que je me mettais volontiers à la disposition de notre pays si je pouvais lui rendre service par ma présence et ma situation à Addis Abeba2.
Vous m’avez répondu3 aimablement en prenant acte de cette offre et en me disant que vous vous en souviendriez et l’utiliseriez au besoin, si l’occasion devait s’en présenter, en dehors de la mission officielle incombant à notre Ministre au Caire et à notre Agent consulaire à Addis Abeba, auxquels vous avez eu la bienveillance de me recommander4.
Je les ai vus tous deux en effet, et n’ai eu qu’à m’en féliciter. M. le Ministre de Fischer, que j’ai vu lors d’un détour d’Alexandrie à Port-Saïd, m’a accueilli avec beaucoup de courtoisie, dans sa demeure où sa classe et son goût font vraiment honneur à notre pays. Il a pu me préparer à mon séjour à Addis Abeba, me donner des renseignements qui m’ont été précieux, me mettre au courant de certains problèmes intéressant notre pays et la colonie suisse ou la situation de certains ressortissants suisses en Ethiopie, problèmes dont il me serait peut-être donné de trouver les éléments d’une solution juridique opportune. Après cette entrevue, je désirais vivement revoir M. de Fischer lors de sa venue espérée à Addis Abeba, ce printemps, avant son départ du Caire pour son nouveau poste.
Ici, après mon arrivée, j’ai rencontré plusieurs fois notre agent M. Nicod, et j’ai eu avec lui des conversations approfondies, tout à fait libres et confiantes, sur la situation de notre pays et des Suisses en Ethiopie. J’ai pu me rendre compte que M. Nicod connaît à fond le pays, ses mœurs et ses problèmes, qu’il a beaucoup observé et réfléchi, qu’il est plein de bon sens, de patriotisme et de dévouement, et qu’on peut placer en lui toute la confiance dont M. le Ministre de Fischer m’avait prévenu qu’il était digne.
Ainsi préparé et instruit, j’ai observé et écouté moi-même, depuis le début du mois de février où je suis arrivé à Addis Abeba. J’ai eu le privilège aussi d’être reçu en audience privée, assez longuement, tour à tour par S. M. l’Empereur5 et par S. E. le Ministre de la Plume (Chancelier impérial) et Ministre de la Justice. Tous deux m’ont parlé avec beaucoup de confiance, et avec beaucoup d’intérêt, d’estime et de sympathie pour la Suisse, et pour l’œuvre de progrès qu’un nouveau Suisse (après Ilg6) venait accomplir en Ethiopie.
S. M. l’Empereur aussi bien que S. E. le Ministre de la Plume ont bien voulu me faire part de leur désir de voir se développer toujours plus les relations amicales entre nos deux pays. J’ai la conviction qu’un courant nouveau de relations et d’échanges, à l’avantage de nos deux pays, est non seulement possible et très désirable, mais urgent. Je crois savoir que notre Agent consulaire, M. Nicod, s’est prononcé plus d’une fois dans le même sens, et que M. le Ministre de Fischer était arrivé à la même conviction.
J’espérais pouvoir m’entretenir ouvertement avec ce dernier à ce sujet, lors de son prochain voyage d’adieu, à l’intention de son rapport au Conseil fédéral, et lui ai fait part de mon intention. Mais je viens d’apprendre, ces jours derniers, de M. Nicod, que M. de Fischer allait bientôt quitter son poste et ne pourrait sans doute venir à Addis Abeba. On n’a pas su me dire si son successeur était déjà désigné, ou quand il le serait.
Ce sont les raisons pour lesquelles, M. le Conseiller fédéral, je me permets de vous écrire en me référant à notre correspondance de novembre, convaincu que ma démarche est opportune et nécessaire, et peut être utile à mon pays.
Je suis obligé de vous dire ma conviction que celui-ci pourrait jouer un rôle important très heureux dans le développement actuel de l’Ethiopie, qui est en plein essor. Je crois qu’on ne s’en rend pas compte suffisamment en Suisse, où – restés sous l’impression d’articles tendancieux et superficiels au moment de la guerre et de l’occupation italiennes – on ne sait pas ce qu’est l’Ethiopie nouvelle, quels sont ses efforts d’équipement et de transformation modernes, l’enthousiasme de sa jeunesse intellectuelle, et les immenses possibilités d’avenir qu’offre ce grand pays riche et salubre.
D’autres le savent. A côté des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, bien présentes et qui développent à qui mieux mieux leur influence, la Suède et, tout récemment, l’Allemagne, l’Italie, le Danemark, la Yougoslavie, font un effort dont je vois l’ampleur et l’effet sous mes yeux. Légations et visites officielles, propagande politique, militaire, culturelle, touristique et économique, films, revues, etc., tout est mis en œuvre pour conquérir une place solide dans cette lutte d’influence et d’intérêts.
La visite du général Dapcevic, envoyé spécial du maréchal Tito, en Ethiopie, les manifestations récentes qui ont eu lieu à cette occasion, les déclarations officielles échangées, le personnel yougoslave resté ici, ne laissent pas de doutes sur la compréhension que les autres pays manifestent pour l’avenir de leurs intérêts en Ethiopie, et sur les sacrifices qu’ils lui consentent. Je viens d’être témoin aussi de l’influence de la Suède dans le domaine de l’équipement des communications téléphoniques du pays, où les offres suisses, faute d’appuis assez forts et tenaces, sont évincées malgré leur valeur.
Car la Suisse reste malheureusement tout à fait en dehors de ces efforts et de cette compétition officiels. Elle a des capitaux, des industries d’exportation réputées et prospères, une technique avancée, une économie agricole, viticole et forestière qui pourrait trouver ici son emploi, aussi bien que les Pays-Bas sont en train de le faire dans l’industrie sucrière. Notre travail et notre main d’œuvre ont une qualité universellement reconnue; elle pourrait, dans de nombreux domaines, trouver des débouchés d’avenir. Il faudrait organiser des échanges systématiques, envoyer ici les meilleurs de nos compatriotes désireux de s’expatrier et de trouver du travail, les aider et les appuyer efficacement: spécialistes de l’enseignement, pour lequel l’Ethiopie fait un effort magnifique, représentants de nos industries, monteurs-électriciens, mécaniciens, horlogers, chefs de coopératives agricoles, ingénieurs, etc.
C’est pourquoi, arrivé aux mêmes conclusions que notre Agent consulaire ici, et ne pouvant plus m’en ouvrir à notre Ministre au Caire, comme je me le proposais, je crois de mon devoir de vous avertir que quelque chose doit absolument être fait pour nos intérêts, de manière neuve et hardie, avant que ce soit trop tard. L’observateur qui se trouve sur place n’aurait pas de peine à faire des suggestions utiles, et je ne doute pas que notre Agent, M. Nicod, en ait déjà faites, conformément à son devoir. Il m’a paru avoir des idées, et des idées fort justes.
La presse et le public suisse devraient d’abord être plus exactement informés de la situation réelle, et abandonner leur indifférence ou leurs préjugés. L’Ethiopie moderne est un grand pays d’avenir, et non un sujet d’histoires ou de plaisanteries plus ou moins saugrenues, et peu avisées. Un bulletin régulier d’informations sûres et précises ne serait pas difficile à mettre sur pieds.
Il existe d’autre part, sur le papier, un «Institut de recherches géographiques et géologiques pour l’Afrique orientale», avec siège à Addis Abeba, et un programme intelligent de travail et d’influence. Il se propose précisément de bien faire connaître l’Ethiopie et ses ressources, et de favoriser les contacts et les échanges avec elle. Son Secrétaire général et animateur est un Suisse, M. Louis Roubaty, ancien fonctionnaire au Département de l’Economie publique à Berne, employé de banque à Fribourg, domicilié à Villars-sur-Glâne. M. Paul Rossy, membre de la Direction de la Banque nationale Suisse, à Berne, le connaît et pourrait répondre de lui. Cet effort et ce programme devraient être connus, aidés, encouragés.
Il serait sans doute heureux aussi qu’au Caire, M. le Ministre de Suisse trouvât, aussi rapidement que possible, un successeur aussi clairvoyant et qualifié que lui, qui prît sans tarder contact avec les autorités éthiopiennes, s’intéressât réellement à ce pays, à ce qui se fait de nouveau et d’important ici, à l’avenir de nos relations et de nos intérêts.
On peut même se demander, on doit se demander, devant le nombre et l’importance des ambassades et légations qui s’ouvrent ici, si notre plus que modeste Agence consulaire ne devrait pas être transformée, et bientôt, en un poste diplomatique plus important, ce qui pourrait entraîner la création d’une légation éthiopienne à Berne aussi. Notre Agent, M. Nicod, a fait et fait tout ce qu’il peut, il se dévoue sans compter. Mais c’est sur un plan supérieur qu’il faudrait maintenant agir et défendre nos intérêts. La protection serait alors plus efficace; notre influence, plus grande; le courant désirable, plus puissant et plus méthodiquement organisé.
Des expositions suisses, de livres et de produits, des journaux suisses avec des chroniques appropriées, un peu de propagande, culturelle (pour nos hautes écoles et nos universités), touristique, économique, industrielle (pour nos industries d’exportation, des machines), serait très recommandable et pourrait avoir de très bons effets pratiques.
L’heure est favorable. La cote de la Suisse, pays pacifique, avancé dans le progrès et les institutions sociales, dont personne n’a rien à redouter mais tout à attendre, et qui ne peut être suspect de «colonialisme» et porter ombrage à la légitime susceptibilité nationale éthiopienne, – cette cote est enviable. Un développement des relations, une meilleure connaissance réciproque, sont désirés. Non seulement j’en ai reçu directement l’assurance en très haut lieu, mais j’ai pu me convaincre des possibilités existantes, et recevoir un témoignage de ce désir. On souhaite une législation, une organisation, des institutions analogues, dans la mesure du possible, à celles de notre pays. Nos universités sont estimées, et je crois avoir obtenu déjà que la prochaine promotion juridique du Collège universitaire, destinée à fournir les ministres, chefs de cabinet, juges et avocats de demain et à appliquer la nouvelle législation que nous élaborons, soit envoyée non pas à Paris ou à Montréal (comme il en était question), mais en Suisse, à Genève. Ce serait une amorce et une promesse dont le sens ne saurait tromper.
Enfin, M. le Conseiller fédéral, puis-je me permettre d’exprimer une dernière impression, qui répond à ma conviction. Le sujet est délicat, mais j’espère, à cause de son actualité et de son importance, que vous me pardonnerez d’y faire allusion.
Tout le monde parle naturellement ici du prochain voyage de S. M. l’Empereur aux Etats-Unis et en Europe. Je sais que le Ministère des Affaires étrangères le prépare activement. Et je crois savoir que, alors que S. M. Hailé Sélassié doit voir la France, la Suède, la Grèce et la Yougoslavie, s’arrêter notamment à Paris et y être reçue officiellement, il paraîtrait un peu étrange qu’aucun geste, aucune invitation de courtoisie ne vienne de Berne, et que S. M. l’Empereur traverse peut-être la Suisse (où il possédait une propriété et a vécu), sans s’y arrêter pour une brève visite officielle.
Je vous avouerai que, spontanément et sans nous être consultés, notre Agent consulaire et moi-même, au vu de l’intérêt que suscitent ici les prochains déplacements de l’Empereur, et de l’importance qu’on leur donne dans la presse, le public et les ministères, nous sommes arrivés à la même conviction, qu’un vœu exprimé dans le sens d’une visite dans notre pays aurait les plus heureux échos et ne pourrait que servir notre prestige et nos intérêts7.
Je vous demande encore la permission, M. le Conseiller fédéral, de vous parler aussi librement, sans avoir, pour le faire, d’autre qualité que mon patriotisme, mon poste d’observateur bien placé, et la situation que j’occupe ici. Je ne le fais, encore une fois, que faute d’avoir pu suivre la filière normale et m’en ouvrir à M. de Fischer comme j’espérais être en mesure de le faire prochainement, et le fais pour votre seule information sûre et directe. Vous ferez naturellement de ces observations ce que bon vous semblera. Je serais heureux qu’elles corroborent les rapports officiels de notre Agence consulaire et de notre Légation, qu’elles ne soient pas inutiles, et qu’elles appuient et facilitent les efforts et la tâche de nos hautes autorités fédérales dans le domaine de notre politique extérieure.
PS. Cette communication étant personnelle et directe et ne vous étant pas transmise par la voie officielle, je l’adresse, pour des raisons de discrétion et de sûreté naturelles, par pli fermé à mon frère, M. Fernand Graven, à Bâle, qui vous la transmettra.
- 1
- Lettre: E 2001(E)1969/121/89.↩
- 2
- Cf. la lettre de J. Graven à M. Petitpierre du 23 novembre 1953, E 2001(E)1970/217/121.Le Professeur Graven est appelé par le Gouvernement impérial d’Ethiopie comme jurisconsulte pour rédiger le Code pénal et le Code de procédure pénale.↩
- 3
- Cf. la réponse de M. Petitpierre à J. Graven du 28 novembre 1953, ibid.↩
- 4
- Cf. la lettre de M. Petitpierre à B. de Fischer du 28 novembre 1953, ibid.↩
- 5
- Empereur Hailé Sélassié 1er.↩
- 6
- Il s’agit d’AlfredIlg, ingénieur thurgovien, appelé en 1878 comme conseiller par l’Empereur Ménélik II. Cf. DDS, vol. 10, doc. 79, dodis.ch/45621.↩
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