dodis.ch/59549L’ancien Conseiller fédéral Droz au Ministre de Suisse à Paris, Lardy1

[Poste comme Gouverneur provisoire de la Crète: conditions matérielles]2

11h. du matin.

Cher et très honoré Monsieur,

Je continue à étudier tranquillement les divers côtés de la question. Samedi, j’ai eu un entretien détaillé avec M. Deucher. Il m’a dit que le Conseil fédéral s’était occupé vendredi de votre rapport et de ma lettre, et sans vouloir encourager ou déconseiller l’œuvre, était disposé en principe à m’accorder un congé ainsi qu’à un officier supérieur.3 Il a été convenu que je soumettrais au Conseil fédéral un projet de lettre à M. Hanotaux dans ce sens.4 C’est ce que j’ai fait. Je pense recevoir dans la journée un avis au sujet de cette lettre, et je vous l’enverrai ensuite en vous priant de la remettre ou de la faire parvenir à M. H., suivant que vous jugerez utile ou non d’avoir un bout d’entretien personnel avec lui.

En Suisse, l’opinion se montre de plus en plus favorable à la mission, sans que j’aie fait quoi que ce soit pour influencer la presse. Vous connaissez mon principe à cet égard: ne pas violenter les événements pour pouvoir lire plus clairement les indications qu’ils apportent.

De divers côtés, on me fait des offres de m’accompagner, en particulier de la part de militaires et d’autres personnages haut placés. Je pourrai m’entourer d’hommes de toute première valeur.

Chacun me déconseille ou désapprouve une mission définitive; mais on est très généralement d’accord pour une mission temporaire.

J’ai consulté les parents de ma femme. Ils sont plutôt favorables, eux aussi, mais à la condition que j’y trouve un très sérieux avantage matériel, sous la forme d’une forte indemnité. En outre, ils estiment que si je venais à mourir au cours de la mission ou si je devenais incapable, pour un motif quelconque, de reprendre mon poste à l’Office central, il devrait être stipulé que je recevrai (ou ma veuve) une pension viagère de 20 mille francs, reversible pour la moitié sur la tête de mon fils.

Ma femme continue à ne pas donner son assentiment, surtout parce qu’elle craint que la mission ne se prolonge indéfiniment.

Pensez-vous que le moment serait venu de jeter les bases du projet de contrat éventuel que je serais appelé à signer avec M. Hanotaux ou M. Barrère? Il suffirait, pour le moment, que vous eussiez un entretien avec le premier, pour l’amener à préciser davantage les conditions financières et la durée du mandat, soit à confirmer sous ce dernier rapport la date ultime du 1er juin 1898. J’ai parlé aux miens d’une somme nette de 150 mille francs, comme minimum. Si vous ne pouviez obtenir mieux, il ne me serait pas possible d’autre part, de descendre au-dessous de ce chiffre. Naturellement que vis-à-vis de M.  Hanotaux, vous êtes censé ignorer ce chiffre minimum et je pense qu’il faudrait commencer, par parler, comme étant votre appréciation personnelle, de 200 mille francs, plus le remboursement de tous mes frais. Ce serait aux Puissances à supporter cette somme, car je ne voudrais pas aller chez les Crétois comme un affreux budgétivore.

Sitôt ce point réglé, en principe, je pourrais me mettre à l’étude du programme définitif.

Pardonnez-moi de disposer ainsi de vos bons offices. Vous m’y avez autorisé par toute votre amitié, dont je vous suis le plus grand gré.

Vous savez que je suis aussi

Votre affectueusement dévoué

Droz

5h. du soir. M. Deucher m’a fait parvenir, avec son approbation, la lettre à M. Hanotaux.5 Je vous l’envoie ci-jointe. Elle me dispense d’autre explication. H. désire la recevoir pour mardi.6