Classement thématique série 1848–1945:
IV. POLITIQUE HUMANITAIRE
IV.5. ACTIVITÉS D’ENTRAIDE INTERNATIONALE
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 15, doc. 395
volume linkBern 1992
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2001D#1000/1553#7718* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 474 | |
Titolo dossier | Los der Kriegsgefangenen, Zivilinternierten u. Deportierten in Deutschland (1945–1945) | |
Riferimento archivio | B.52.49.6 |
dodis.ch/47999 Le Délégué du Conseil fédéral aux Œuvres d’Entraide internationale, Ed. de Haller1, au Chef du Département politique, M. Petitpierre2 AVANT-PROJET
L’attention du Conseil fédéral a déjà été attirée à plusieurs reprises sur le sort des prisonniers de guerre, internés et déportés de nationalité alliée se trouvant au pouvoir du Reich. En effet, depuis que les armées russes ont pénétré sur le sol allemand, nombre de camps de prisonniers, d’«Arbeitskommando», d’usines, de chantiers etc. qui se trouvaient dans l’est de l’Allemagne, ont été évacués et dirigés sur le centre du pays. Survenant en même temps que le repli des armées et l’exode de la population civile, ce déplacement de prisonniers et d’internés exige des Autorités du Reich un effort d’organisation et de coordination qui dépasse leurs moyens. Il faut y ajouter les perturbations apportées chaque jour par les bombardements au fonctionnement de tout l’appareil administratif, à l’économie nationale et surtout au réseau de communications.
Obéissant à une préoccupation légitime, les divers Gouvernements intéressés ' multiplient les démarches en faveur de leurs ressortissants retenus captifs en Allemagne. Ils ont avant tout cherché à leur faire parvenir des secours alimentaires. Le Comité international de la Croix-Rouge, dont c’est l’une des tâches, a tout tenté pour maintenir le système de distribution de colis individuels aux prisonniers et civils, malgré les déplacements fréquents des camps dans lesquels ils sont internés. Le Comité international espère, au moyen d’envois de colis par route et par voie ferrée, constituer des centres de ravitaillement, en partant à la fois de Lübeck et de Suisse. Une première colonne de camions, cédés à cet effet par les Américains au Comité avec le carburant nécessaire, a quitté la Suisse le 6 mars, alors que le surlendemain un train composé de wagons des Chemins de Fer fédéraux partait à son tour de Buchs.
En même temps qu’ils stimulaient le zèle du Comité international et qu’ils lui fournissaient certains moyens matériels, les alliés s’adressaient aux Puissances neutres chargées de la représentation de leurs intérêts dans le Reich. C’est ainsi que les Britanniques et surtout les Américains nous ont demandé de faire en sorte que les déplacements de leurs ressortissants prisonniers en Allemagne leur soient régulièrement signalés, afin de les soustraire dans la mesure du possible aux effets des bombardements aériens qu’ils entreprennent en Allemagne. Notre Division des Intérêts étrangers fait son possible pour que les agents de la section spéciale de la Légation de Suisse à Berlin soient en mesure de fournir ces renseignements. Mais Washington est allé plus loin encore: le Département de la Guerre nous a demandé d’envisager de doter chaque camp de prisonniers ou tout au moins chaque groupe de camps d’un agent, afin d’assurer, quoi qu’il arrive, l’observation par les autorités allemandes des usages internationaux et de contribuer à soutenir le moral des prisonniers. Jusqu’ici, on a procédé en Allemagne comme dans les autres pays belligérants où nous agissons en tant que puissance protectrice, c’est-à-dire qu’on a disposé d’un petit nombre d’inspecteurs qui, périodiquement, d’accord avec la Puissance détentrice, visitaient les différents camps de prisonniers. Nous ne vous dissimulons pas à quel point il est difficile de satisfaire cette demande du War Department. Néanmoins, nous voudrions qu’il en soit tenu compte aussi largement que possible. A cet effet, il est indispensable de faire un effort afin de trouver des Suisses qualifiés pour renforcer notre équipe d’inspecteurs en Allemagne. Il est nécessaire que ces hommes sachent l’allemand et l’anglais; ils ne doivent être ni trop jeunes ni trop âgés, car les conditions dans lesquelles ils s’acquitteront de leur mission seront pénibles et exigeront du sang-froid. Il nous paraît difficile de procéder à ce recrutement sans priver l’armée de bons éléments, car les qualités que l’on exige de ces inspecteurs correspondent précisément à celles qui déterminent l’avancement dans les cadres de notre milice. Si nous insistons néanmoins, c’est qu’un sacrifice de la part de l’armée serait, croyons-nous, justifié en l’espèce. Sans doute, notre législation ne nous permet-elle pas d’ordonner purement et simplement à des citoyens suisses d’entreprendre à l’étranger une tâche de cette nature. L’armée ne peut pas non plus adresser des «ordres de marche» à des officiers dans ce but. Il faut donc agir par la persuasion, faire appel à l’esprit de dévouement de nos milieux d’élite. En effet, on ne comprendrait pas dans les pays décimés par la guerre, où l’on accepte d’exposer sa vie chaque jour, que les Suisses hésitent à s’exposer au danger des bombardements aériens en Allemagne pendant quelques semaines. La façon dont nous nous sommes acquittés de notre rôle de Puissance protectrice a certes été appréciée dans le camp des nations unies. Mais il est clair que si, à tort ou à raison, on en venait à considérer que nous n’avons pas fait tout ce que nous pouvions pendant les derniers mois de la guerre pour soustraire les prisonniers de guerre, internés et déportés aux conséquences du pilonnage de l’Allemagne et de la désorganisation qui s’ensuit, ce n’est plus de la gratitude mais du ressentiment que les nations victorieuses de demain éprouveraient à notre endroit. Il s’agit là d’un phénomène psychologique si évident qu’il n’est pas nécessaire de le démontrer. Quelques témoignages que nous avons recueillis de compatriotes rentrés récemment de l’étranger, corroborent d’ailleurs entièrement notre conviction que c’est sur ce que la Suisse fera au cours de la dernière phase de la guerre qu’elle sera jugée et non pas sur les mérites qu’elle s’est acquise jusqu’ici.
En abordant l’examen de cette question sans précédent, il faut distinguer entre les problèmes immédiats et ceux qui se poseront dans un avenir plus ou moins éloigné. Nous avons vu que les secours alimentaires étaient du domaine du Comité international de la Croix-Rouge, lequel s’en occupe. Du succès de ses efforts dans ce sens peut résulter une certaine stabilisation des hordes de prisonniers actuellement en mouvement en Allemagne. Nous savons d’autre part que la Croix-Rouge suédoise a été autorisée par le Reich à prendre en charge la totalité des prisonniers et internés scandinaves se trouvant en Allemagne; elle rassemblera ses protégés près de Hambourg dans un camp spécial, où des vivres seront apportés de Suède et du Danemark. En ce qui concerne la France, le Comité international de la Croix-Rouge, qui traite avec Berlin à défaut de Puissance protectrice, a obtenu tout récemment que les femmes, enfants et vieillards, y compris les Juifs porteurs de passeports français, soient libérés et rapatriés en France. Selon les chiffres articulés à l’époque du côté allemand, il s’agirait de 22000 personnes, mais on admet en général que leur nombre est très supérieur. La libération des Français devant s’accompagner de celle des civils allemands aux mains de la France, il faut s’attendre, pour un avenir prochain, à des transports assez importants qui ne peuvent guère se faire qu’à travers le territoire suisse. Au rapatriement de ces civils s’ajoutera celui des grands blessés, des malades et du personnel sanitaire, dont la France et le Reich négocient actuellement le rapatriement par l’intermédiaire du Comité international de la Croix-Rouge.
A côté de ce problème dont les données sont relativement simples, nous en entrevoyons un autre, plus compliqué et fort préoccupant. Il y a en effet lieu de prévoir que, d’ici à la cessation des hostilités, au fur et à mesure que la situation s’aggravera en Allemagne, des prisonniers et internés chercheront, par dizaines et même par centaines de milliers, à quitter le territoire allemand. Celui-ci étant encerclé par des fronts et par la mer, la seule issue se trouve du côté suisse. Le Conseil fédéral avait songé à un des aspects de ce problème il y a quelques mois, lorsque les événements se précipitaient en Italie. On avait prévu qu’au cas où les Allemands se retireraient de la péninsule, les centaines de milliers d’italiens travaillant en Allemagne chercheraient à rentrer dans leurs foyers à travers la Suisse. Sous la présidence du Chef de la Division des Affaires étrangères, un premier échange de vues avait eu lieu entre différents services de l’Administration fédérale et de l’Armée, sur les problèmes que l’accueil et l’évacuation de cette nouvelle catégorie de réfugiés posait3. Nul doute que, dans l’intervalle, les bureaux compétents n’aient poursuivi l’étude des différents aspects de cette question. Il ne nous appartient pas de les traiter ici. En revanche, il est de notre devoir de révéler au Conseil fédéral, sans ménagement, les tâches qui, à notre avis, incomberont aux Autorités, à l’Armée et à la population suisse. Nous devons nous attendre et par conséquent nous préparer à recevoir sur notre territoire plusieurs centaines de milliers de victimes de la guerre. En premier lieu, il s’agira des prisonniers de guerre des nations dont nous représentons les intérêts en Allemagne, à savoir principalement des Britanniques et des Américains. Nous n’échapperons pas au devoir de les accueillir sur notre sol si la situation continue à s’aggraver en Allemagne. Sans doute devrons-nous accorder la priorité aux blessés et aux malades. Nous y sommes d’ailleurs préparés, puisque, conformément aux tâches qui, aux termes des Conventions internationales incombent aux neutres, nous avons dès le début de la guerre préparé un dispositif pour 1’«hospitalisation de prisonniers de guerre». Si, comme nous le prévoyons, nous devons offrir d’accueillir en Suisse des prisonniers alliés, il sera nécessaire de négocier avec le Reich. Avant d’engager des pourparlers, il faut être fixé sur le côté juridique du problème. Ces prisonniers ne seront pas des «internés» au sens du règlement de La Haye. Ils ne pourront guère être assimilés qu’à des «hospitalisés» au sens de la Convention du 27 juillet 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre, c’est-à-dire à des individus que l’Etat neutre prend la responsabilité d’empêcher de reprendre les armes contre l’adversaire. S’agissant d’une situation sans précédent, on devrait, il est vrai, pouvoir obtenir du Reich qu’il libère purement et simplement ces prisonniers ou qu’il les cède en échange de combattants allemands capturés par les Alliés, sans exiger que l’opération soit synchronisée. Cette dernière formule aurait ceci d’avantageux pour la Suisse qu’il ne s’agirait plus que d’un transit, éventuellement rompu, à travers son territoire et qu’en conséquence le nombre des prisonniers alliés à sauver d’Allemagne serait considérablement supérieur. Indépendamment de l’étude du côté juridique, il convient sans doute d’examiner également, pour autant que cela n’a pas déjà été fait, tous les autres aspects du problème: Organisation de l’accueil à la frontière, contrôle d’identité, inspection sanitaire (quarantaine éventuelle), hébergement, ravitaillement, transport, service de surveillance, service sanitaire, etc. Les différents services compétents, fédéraux et cantonaux, ne pourront pas aborder ces études en s’en tenant aux normes habituelles et à la conception que nous nous sommes faite jusqu’ici de notre capacité d’absorption. En effet, il ne s’agira plus, comme pour les réfugiés et internés, d’un rapport de l’ordre de 2 à 3%, mais vraisemblablement d’une proportion cinq à dix fois supérieure, c’est-à-dire d’un nombre d’hôtes qui exigera de la part de notre population des sacrifices considérables, notamment au point de vue de ses aises et de son confort.
Au vu des considérations qui précèdent, nous constatons qu’il est important de prévoir sans retard un dispositif très souple qui nous permette de faire face aux tâches esquissées ci-dessus. Afin d’assurer la coordination nécessaire, nous pensons que le Conseil fédéral voudra prévoir la réunion d’une conférence à laquelle participeraient tous les services de l’Administration fédérale que cela concerne, ainsi que les représentants de la Croix-Rouge suisse, du Don Suisse et du Comité international de la Croix-Rouge. Quand nous parlons de services fédéraux et militaires intéressés, nous ne pensons pas seulement à ceux du Département de Justice et Police, mais aussi aux experts du Département de l’Economie Publique, notamment à l’Office fédéral de guerre pour l’assistance et à l’Office de guerre pour l’alimentation, sans oublier le service fédéral de l’hygiène publique.
Pour ce qui est plus particulièrement des civils retenus en Allemagne et susceptibles de se présenter à notre frontière, nous pensons que la Division de Police qui a déjà fait des arrangements pratiques avec les Autorités françaises, s’entendra avec les représentants des autres pays intéressés, afin d’assurer l’évacuation régulière - vraisemblablement par l’intermédiaire de l’UNRRA - de ceux de leurs ressortissants que nous serons amenés à autoriser d’emprunter le territoire suisse pour rentrer dans leurs foyers.
- 1
- Annotation d’Ed. de Haller en tête du document: remis comme brouillon et base de discussion à M. Petitpierre le 16.3.1945.↩
- 2
- Rapport: E 2001 (D) 3/474. Paraphe: AO.↩
- 3
- Cf. ci-dessus l’annexe du No 415.↩
Tags