Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
II.3. BELGIQUE
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 15, doc. 334
volume linkBern 1992
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001E#1000/1572#761* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(E)1000/1572 69 | |
Titre du dossier | Wirtschaftsverhandlungen und Abkommen mit Belgien (1944–1945) | |
Référence archives | C.45.111 • Composant complémentaire: Belgien |
dodis.ch/47938
Le Prof. Keller commence par exposer d’une façon très complète la situation comme elle se présente actuellement dans nos rapports avec la Belgique et quelles sont les propositions que nous avons reçues des délégués de ce pays en vue d’une reprise du trafic financier. Cet exposé a déjà été résumé par M. Lacher, dans sa notice concernant la séance interne du 28 décembre2 qui a eu lieu chez M. le Directeur Hotz. Il propose aux différents représentants présents à la séance de discuter la question qu’il vient d’exposer suivant le plan ci-dessous:
1) Quel est le point de vue général à l’égard de la conclusion d’un accord avec la Belgique?
2) Faut-il conclure un accord de clearing pur et simple ou accorder un crédit en francs suisses?
3) Renseignements éventuels sur les conditions actuelles en Belgique.
4) Possibilités envisagées de financer nos importations de Belgique sur une base purement privée (octroi de crédits).
5) La Belgique n’a pas tenu compte dans ses propositions des arriérés du clearing belgo-suisse (avant le 10 mai 1940: 2,5 millions de francs; du 10 mai 1940 jusqu’à la libération de la Belgique: 22,5 millions de francs). Comment liquider ces arriérés? Est-il opportun de prévoir une clause à ce sujet dans les accords?
6) Blocage des avoirs belges en Suisse. Faut-il supprimer ce blocage ou le maintenir?
7) Comment se présente le bilan des paiements dans les différents secteurs intéressés? (positif ou négatif).
M. Kappeler tient à relever en premier lieu une question de principe. Du point de vue politique, nous avons tout intérêt à reprendre, aussi rapidement que possible, nos relations avec la Belgique. Nos sympathies doivent d’ailleurs aller naturellement à ce pays, qui n’a pas eu un sort aussi heureux que le nôtre et à la reconstruction duquel nous devons tâcher de collaborer.
M. Caflisch est entièrement d’accord avec M. Kappeler. Comme lui, il voit la nécessité de faire un geste vis-à-vis de la Belgique. Cependant, même en négligeant le côté sentimental de la question, la reprise de nos relations avec la Belgique est intéressante parce qu’on peut prévoir, dans un avenir plus ou moins éloigné, le rétablissement de livraisons qui nous seront très utiles.
En ce qui concerne la forme sous laquelle le paiement de ces livraisons devrait s’effectuer, M. Caflisch préconise une solution intermédiaire qui ne serait ni le clearing seulement, ni l’octroi d’un crédit pur et simple. Le clearing présente des difficultés, c’est un système trop rigide. Quant à l’octroi de crédits, il faut être prudent et songer que d’autres pays en demanderont à la Suisse (Italie par exemple). M. Caflisch pense donc que la meilleure solution serait l’octroi d’un crédit privé, avec garantie de l’Etat.
Quant aux avoirs belges bloqués en Suisse, leur importance n’est pas bien grande, il s’agissait plutôt en son temps d’une mesure de prudence pour éviter des manœuvres de la part des Allemands lors de l’invasion de ce pays. Cependant, si nous ne reprenons pas entièrement le trafic des paiements maintenant, il est imprudent de débloquer ces avoirs et il convient de les garder pour la deuxième phase des négociations, qui sera suivie du rétablissement intégral de ce trafic. Il est bon de garder en mains un gage qui pourra, à ce moment, nous être très utile.
M. Nussbaumer préconise un accord de paiements à court terme, qui ne nous engage pas trop. Cependant, il faut un commencement à tout, même s’il implique un certain risque. A toutes fins utiles, l’A.S.B. annoncera à la Division du Commerce les revenus suisses provenant de placements en Belgique. Le transfert de ces revenus ne devrait pas être une condition du rétablissement des relations financières entre les deux pays, mais on devrait cependant insister sur ce point.
M. Nussbaumer fait allusion aux récentes mesures d’ordre financier et monétaire prises en Belgique. Nous n’avons pas à les critiquer et elles n’excluent pas en tout cas un accord financier entre les deux pays.
Les banquiers sont prêts à accorder à la Belgique des crédits comme ils l’ont fait pour la Hollande, mais il faut être prudent. Comme il s’agit de crédits à long terme, les banques ne peuvent les accorder sans une garantie quelconque.
En ce qui concerne les arriérés du clearing, il faut essayer de les amortir progressivement par des livraisons de marchandises. Il serait inopportun en tout cas d’alourdir, dès le début, un nouvel accord par des clauses concernant le remboursement de ces arriérés.
M. Nussbaumer, comme M. Caflisch, est d’avis qu’il ne faut pas débloquer les avoirs belges en Suisse avant que nous ayons des assurances formelles du Gouvernement belge touchant le paiement de nos créances sur la Belgique.
M. Bruppacher: Il y a 18 compagnies suisses qui exercent une activité d’assurances en Belgique et, en regard, aucune compagnie belge qui travaille en Suisse. Il n’y a donc pas de contrepartie à l’activité des compagnies d’assurances suisses. M. Bruppacher comprend fort bien qu’il faille procéder par étape et envisager d’abord le transfert des créances commerciales. Il croit cependant qu’il faut dès les prochaines négociations inclure la question du transfert des prestations en faveur des assurances. L’assurance suisse est une forme d’exportation, exportation purement suisse puisqu’elle ne contient pas de matière première étrangère. Il ne faut pas oublier que depuis 1940 les compagnies d’assurances n’ont pu bénéficier d’aucun transfert, alors que les créanciers commerciaux ont pu bénéficier du clearing.
M. Guggenbühl complète l’exposé de M. Bruppacher en ce qui concerne la réassurance. Dans ce domaine également, l’activité très importante des compagnies de réassurances suisses en Belgique n’a presque pas de contrepartie. La Belgique est le pays type où la réassurance suisse trouve un domaine d’activité très intéressante (plus de 1/10 de l’activité de la réassurance).
Nous espérons, ajoute M. Guggenbühl, que les Belges sauront faire un petit sacrifice pour la réassurance suisse qui revêt pour leur économie une grande importance. Il ne faut pas oublier que lors des destructions catastrophiques de ces dernières années en Belgique, les compagnies suisses de réassurances ont subi de lourdes pertes. La France elle, saisissant toute l’importance de ne pas interrompre ses relations d’assurances et de réassurances avec la Suisse, a conclu avec elle un accord séparé permettant certains transferts. D’ailleurs les relations d’assurances et de réassurances avec la Belgique n’ont jamais été interrompues et n’ont cessé de se développer en dépit des circonstances défavorables.
M. Frey: La situation difficile et presque catastrophique de nos échanges commerciaux avec la plupart des pays qui nous entourent (Allemagne, Europe centrale, Italie, France) nous engage à resserrer nos relations commerciales avec des petits pays comme la Belgique et la Hollande, à qui nous pouvons livrer rapidement ce dont ils ont besoin et devancer ainsi la concurrence étrangère. Cela nécessite naturellement l’octroi de crédits avec tous les dangers sur lesquels la Banque Nationale a déjà attiré notre attention: on augmente la circulation monétaire sans augmenter dans la même proportion la quantité de marchandises disponibles sur le marché. Cependant, la Belgique elle aussi a quelque chose à nous offrir (fer et charbon). Il s’agira donc bien d’un accord bilatéral, mais il ne faut pas perdre de vue, ainsi que l’a fait remarquer M. le Prof. Keller, que vis-à-vis de ce pays nous ne sommes pas à égalité, car nous n’avons pas comme lui le contrôle des changes, mais simplement l’obligation de paiement à la Banque Nationale.
M. Krapf relève qu’en 1938, les touristes en provenance de Hollande nous ont valu 25 millions de francs suisses, et de Belgique 10 millions. La situation actuelle de l’hôtellerie devient de plus en plus difficile depuis 1939. Il est vraisemblable que les Belges auront tout intérêt à reprendre les relations touristiques avec la Suisse, non pas pour venir passer des vacances dans notre pays, mais pour y faire des cures, s’y soigner et s’y reposer. Il serait bon de ne pas perdre de vue cet aspect de la question lors des futures négociations.
M. Schmiedheiny: Les intérêts des holdings industrielles suisses sont d’ordre uniquement financier et non commercial. Leur situation s’est aggravée considérablement depuis 1939, car elles ne bénéficient plus du transfert de leurs participations financières à l’étranger. Il est bien entendu que l’échange de marchandises doit avoir la priorité sur les créances financières, mais il ne faut pas que ces dernières lui soient complètement sacrifiées comme ce fut trop souvent le cas.
M. Schmiedheiny préconise aussi le maintien du blocage des avoirs belges en Suisse et signale, à titre d’exemple, que d’après un rapport de fin novembre 1944 d’une usine travaillant près de Mons celle-ci n’avait pu reprendre le travail qu’à raison de 10% de sa capacité totale de travail, faute de charbon et cela à 20 km de la mine. Cet exemple illustre dans quel état terrible se trouvent les transports en Belgique.
M. Borel: Avant 1939, nous exportions en Belgique pour environ 3 millions de fromage et 1 million de lait condensé. Ces exportations sont naturellement complètement interrompues.
Le plus important selon lui serait de pouvoir reprendre l’importation de phosphate brut, qui est très important pour l’alimentation infantile.
M. Schwegler rappelle que la question de l’octroi d’un crédit à la Belgique pose un problème très grave: celui de l’augmentation de la masse monétaire sans contrepartie d’une offre de marchandises sur le marché. En outre, il est peu probable que la Banque Nationale accepte de donner des francs suisses contre une devise étrangère non convertible en or. Il faudrait tout au moins qu’elle permette d’acquérir rapidement de la marchandise, et rien n’est moins sûr dans les conditions actuelles. Nous sommes malheureusement dans la situation du pays qui est uniquement créancier, ce qui doit nous inciter à une grande prudence. Il est certain, toutefois, que ce crédit doit être accordé d’une façon ou d’une autre et que si l’initiative privée ne peut s’en charger, l’Etat devra intervenir.
M. Caflisch appuie les déclarations de M. Schmiedheiny pour la défense des intérêts financiers. Il rappelle que le transfert des créances financières est étroitement lié avec l’octroi d’un crédit à long terme.
M. le Prof. Kellenberger: La Confédération est intéressée, elle aussi, à la reprise des relations financières avec la Belgique. Nos achats d’or à l’étranger nous ont forcés à émettre plusieurs emprunts, si bien que la Confédération finit par prendre à sa charge les intérêts de ses avances. Nous n’aimons pas beaucoup les accords de clearing, mais mieux vaut cela que rien. Rien nous prouve cependant qu’un tel accord nous assurera les importations indispensables à l’économie du pays. Il faudrait être certain que la Belgique nous livrera bien les marchandises dont nous avons besoin. Le financement de ces importations par le crédit bancaire reviendrait moins cher à la Confédération puisqu’elle n’aurait pas à payer les intérêts des emprunts et pourrait se contenter de donner une garantie.
M. le Prof. Keller conclut des différents échanges de vues qui viennent d’avoir lieu qu’il faut, de l’opinion générale, en venir rapidement à une reprise de nos relations économiques et financières avec la Belgique. Le financement privé de nos importations serait insuffisant. Ce qu’il faut trouver, c’est une base générale d’échanges pour le présent et l’avenir, un règlement bilatéral de nos paiements. La séance de ce matin a montré les nombreuses difficultés qu’il reste encore à résoudre. C’est à quoi la Division du Commerce va s’employer, d’entente avec les Départements intéressés et avec le concours des diverses instances dont les représentants étaient convoqués ce matin à cette réunion.
M. le Prof. Keller aborde ensuite la question d’un accord financier avec la Hollande3.
- 1
- Procès-verbal: E 2001 (E) 2/622. Paraphe: BH. Le procès-verbal est rédigé par J, - P.Jéquier, du Département politique. La séance est placée sous la présidence du Professeur P. Keller, Délégué du Conseil fédéral aux Accords commerciaux, et réunit des représentants de l’Administration fédérale des finances (E. Kellenberger) du Département politique (F. Kappeler, H. Lacher et J.- P.Jéquier), de la Division du Commerce du DEP (Probst et Meiner), de la Banque nationale (W. Schwegler), de l’Office suisse de Compensation, du Vorort de l’USCI (E. Frey), de l’Union suisse des Paysans (A. Borel), de l’Association suisse des Banquiers (A. Caflisch, R. Dunant et C.- A. Nussbaumer), de l’Association des Compagnies suisses d’Assurances concessionnées (C.R. Bruppacher et P. Guggenbühl), du Groupement des Holdings Industrielles (M. Schmiedheiny) et de la Fédération suisse du Tourisme (Krapf).↩
- 2
- Cf. No 325.↩
- 3
- Le 24 avril 1945, la Légation de Belgique à Berne informe la Division du Commerce du Département de l’Economie Publique que le Gouvernement belge est d’accord d’entamer à Berne des négociations pour la reprise des échanges commerciaux entre la Suisse et la Belgique. Afin de conclure un accord de paiement et un accord commercial, les délégations suisse et belge se rencontrent à Berne dès le 1er juin 1945.↩
Tags