dodis.ch/47936
Notice concernant une conférence du 9 janvier 1945 sur les relations financières italo-suisses
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Mr. Rappeler annonce qu’il a reçu hier la visite d’un représentant de la légation italienne (gouvernement de Rome) qui lui fit savoir qu’il avait entendu dire qu’il était question de débloquer les avoirs de l’Istcambi en Suisse en faveur du gouvernement néo-fasciste. Il a précisé que le gouvernement de Rome verrait une telle mesure d’un très mauvais œil. Il lui a été répondu qu’il s’agissait du paiement des intérêts dus par l’Istcambi. Le représentant s’est déclaré prêt à télégraphier à son gouvernement de Rome pour demander si celui-ci reconnaissait la dette de l’Istcambi2.
Mr. Troendlerappelle que d’après l’arrêté du 1er octobre [19433 ],
les avoirs italiens en Suisse ne sont pas effectivement bloqués mais soumis au contrôle. Les Italiens ne Pavaient d’abord pas remarqué jusqu’en mars où ils décrétèrent le blocage des avoirs suisses en Italie. C’est alors que Mr. Troendle est intervenu et obtint la levée de ce blocage. A cette occasion on déclara du côté suisse que le contrôle serait maintenu, mais que nous serions d’accord de débloquer les avoirs nécessaires aux paiements pour les besoins normaux en Suisse (fonctionnaires, etc.). Lorsque Mr. Faes de l’Istcambi demanda aux Banques quels étaient exactement les avoirs de l’Istcambi en Suisse, certaines banques répondirent, d’autres ne répondirent pas et d’autres se refusèrent de donner tout renseignement. L’Istcambi demanda des explications et fit remarquer qu’au printemps 1944, lorsque l’Istcambi remboursa 50 millions par de l’or, on avait reconnu la qualité de représentant de l’Istcambi. Il lui fut répondu que cette affaire était d’ordre purement privé et ne concernait que les banques, qu’au printemps il n’y avait qu’un Istcambi tandis que maintenant il y en a deux qui se présentent autorisés et que c’est une question à trancher éventuellement par le juge. Les Italiens nous offrent de payer les intérêts de six mois dans l’idée qu’ils seront orientés sur leurs avoirs en Suisse, mais ne posent pas comme condition un déblocage de ces avoirs au-delà des sommes nécessaires au paiement.
Mr. Gautierestime que l’offre du gouvernement fasciste n’apporte rien de bien nouveau, car l’argent qu’on nous offre est en Suisse. La question est avant tout d’ordre politique et si nous acceptons l’offre de l’Istcambi, nous risquons de nous mettre à mal avec le gouvernement de Rome. Si le gouvernement de Rome reconnaît la dette, ce serait précipité d’accepter un paiement de l’Istcambi. Il conviendrait donc de tirer au clair l’attitude de Rome avant de prendre une décision.
Mr. Kellenbergerest en principe d’accord avec les déclarations qui précèdent, mais voudrait être renseigné sur les intentions du gouvernement fasciste qui ne fait certainement pas la proposition de payer des intérêts sans vouloir obtenir une compensation. Il fait remarquer qu’on n’est pas au clair non plus sur la reconnaissance par le gouvernement de Rome des rescriptions signées par le gouvernement fasciste. Il demande en outre avec qui traite l’office suisse de compensation dans les relations de clearing, car des paiements se font encore par cette voie.
Mr. Troendle: Pour le clearing, nous continuons à traiter avec l’Istcambi de Brescia. Les relations continuent et jusqu’à présent l’Istcambi de Rome n’a donné aucun ordre de paiement. Rien ne nous empêche du reste à les reconnaître les deux car ce sont des organisations de droit privé. L’Istcambi de Rome peut par la suite être parfaitement considérée comme successeur de celui de Brescia. Quant à l’intérêt que les Italiens ont de nous faire une telle proposition, il réside d’abord dans leur désir d’être renseignés sur les avoirs en Suisse. Ensuite, ils préfèrent que cet argent aille aux Suisses plutôt qu’à leurs adversaires, car ils tiennent à faire bonne figure vis-à-vis de la Suisse.
Si nous donnons une réponse négative nous risquons de nous brouiller avec les maîtres du Nord de l’Italie où vivent actuellement encore 10000 Suisses. Nous risquons que le blocage des avoirs suisses soit de nouveau décrété, ce qui pourrait avoir des répercussions extrêmement graves. Vu le pillage et le banditisme qui règne actuellement il convient d’éviter toute réaction violente, car plus la fin approche, plus les gens sont chatouilleux et réagissent violemment.
D’autre part, le gouvernement de Rome est certainement plus pressé de nous demander de nouveaux crédits plutôt que de payer des dettes. Il est à craindre que les avoirs que nous leur laisserions en Suisse ne servent à leurs représentants à vivre grassement ainsi qu’à subventionner les écoles irrédentistes qu’ils ont au Tessin plutôt qu’au paiement des dettes. Toutefois, Mr. Troendle ne veut pas se prononcer sur les réactions que pourrait avoir le gouvernement de Rome en cas d’acceptation de paiement. C’est une question du ressort du département politique.
Mr. Rappeler: Si le débiteur fait des paiements effectifs de l’Italie, nous les acceptons, mais nous ne voulons pas modifier quoi que ce soit au sujet des avoirs en Suisse car nous risquerions de nous brouiller avec le gouvernement de Rome.
Mr. Kellenbergerdemande si l’on ne pourrait faire savoir à l’Istcambi de Brescia qu’on accepte le paiement à condition que Rome donne son assentiment.
Jacotdemande si l’on sait de quelle manière les représentants du gouvernement de Rome ont été mis au courant avant même que des pourparlers aient eu lieu avec l’Istcambi de Brescia et qu’une décision n’ait été prise de notre part. A son avis, le gouvernement de Rome n’a aucune raison de se plaindre d’un paiement fait par le gouvernement fasciste au moyen d’avoirs bloqués en Suisse, si l’on ne fait aucune autre concession à ce dernier, car si Rome reconnaît la dette, celle-ci sera réduite d’autant par le paiement et les intérêts arriérés cesseront de courir. On pourrait répondre à l’Istcambi de Brescia qu’on accepte le paiement, laisser ce dernier donner les ordres nécessaires mais, afin de ménager les susceptibilités du gouvernement de Rome on attendrait la réponse de celui-ci avant d’exécuter l’ordre de paiement.
Kappeler: Il ne faut rien faire qui puisse froisser le gouvernement de Rome. On répondra à l’Istcambi de Brescia que vu le défaut de paiement à l’échéance, on attend des propositions de leur part afin de traîner l’affaire en longueur jusqu’à ce que le gouvernement de Rome se prononce.
Jacotfait remarquer qu’il conviendrait de demander des assurances au gouvernement de Rome non seulement sur le prêt à l’Istcambi mais aussi sur les soldes de clearing.
Troendledéclare qu’il agira dans le sens indiqué par Mr. Kappeler.