dodis.ch/47855
Le Consul général de Suisse à
Milan,
F. Brenni, au Chef de la Division des Intérêts étrangers du Département politique,
P. Bonna1
Confidentiel
Milan, 7 octobre 1944
J’ai eu hier un long entretien avec le révérend Professeur Bicchierai, dont j’ai fait allusion dans mon dernier rapport2.
Il s’agit d’un homme très intelligent et actif, qui est le collaborateur direct du Cardinal Schuster auprès des Autorités allemandes et néo-fascistes, et qui jouit, par son prestige et par son intelligence, des plus vastes entrées dans ces milieux. Le révérend Professeur Bicchierai était jusqu’en 1931 Dr ès sciences commerciales. Ce n’est qu’à cette époque qu’il est entré dans la carrière ecclésiastique, après avoir été un membre actif et très influent de l’action catholique dans le nord de l’Italie, surtout aux temps du Cardinal Ferrari.
L’entretien que j’ai eu avec le susnommé a été de grand intérêt, car il m’a confirmé ce que mon informateur précédent m’avait communiqué et m’a en même temps assuré que j’avais eu à faire avec une personne de toute confiance. Le révérend Professeur Bicchierai m’a en outre confirmé que l’action de la part des militaires allemands, tendant à reprendre la maîtrise sur toute la vallée d’Ossola, est désormais en cours. D’après ces indications, deux divisions allemandes, en parfaite tenue de guerre, disposant de chars d’assaut et d’artillerie lourde, seraient en marche, de différentes directions, vers la vallée susdite. Mon interlocuteur est absolument persuadé que les troupes allemandes, auxquelles s’ajoutent aussi des troupes néo-fascistes, auront bientôt raison des patriotes de la vallée d’Ossola, qui n’auraient autre possibilité que de se retirer sur les montagnes ou de passer en Suisse.
L’action des troupes allemandes a été provoquée surtout pour une question de prestige, étant donné que la libération de la vallée d’Ossola a été accompagnée par une propagande politique évidemment excessive, qui a indisposé et irrité, soit les allemands, soit les milieux néo-fascistes. Le fait que, suivant les bruits répandus ici, la Légation d’Italie à Berne et même les alliés auraient pris contact avec les patriotes de la vallée d’Ossola, a été considéré comme une menace d’invasion, à laquelle les allemands veulent absolument faire face. La propagande politique et les manifestations, peut-être exagérées, faites par certains milieux suisses, ont contribué aussi à cette décision allemande. Cette propagande du côté suisse pourrait évidemment créer à toute notre Colonie du nord de l’Italie des ennuis, si elle devait continuer.
Je suis tout à fait persuadé qu’il aurait été bien préférable de donner lieu, de la part [de la] Suisse, à une action de secours pour la population de la vallée d’Ossola plus discrète. De plusieurs côtés, et même de la part de la Colonie Suisse, on a désapprouvé la réclame qui a été faite concernant surtout les voyages du délégué de la Croix-Rouge Suisse pour l’Italie, M. Mario Musso, à Domodossola.
Les choses étant à ce point, il sera certainement utile d’agir avec plus de circonspection, surtout pour ce qui concerne de nouveaux envois de vivres, médicaments, etc., à la population de la vallée en question. Il faut en tout cas éviter que des stocks de vivres, médicaments, etc., soient amenés à Domodossola juste à temps pour tomber dans les mains des allemands ou des néo-fascistes.
Le révérend Professeur, M. Bicchierai, a vainement essayé d’arriver à un accord et d’éviter cette action de guerre. La seule chose qui lui a été possible d’atteindre, c’est d’obtenir la promesse, de la part des allemands, qu’ils procéderaient sans trop de rigueur, surtout à l’égard de la population civile, en renonçant à des déportations en masse ou des représailles contre des otages innocents.
Les pourparlers avec les allemands, relatifs à la remise des principales villes au comité national de libération, au cas où les allemands devaient évacuer l’Italie du Nord, se poursuivent. Des efforts sont en train d’être accomplis, aussi pour obtenir de la part des allemands, qu’ils renoncent à faire sauter par des mines les installations industrielles, centrales électriques, usines de gaz, etc. Un accord de principe à ce sujet aurait déjà été pris, si les communistes ne se refusaient pas à traiter. On essaie à présent d’obtenir indirectement une intervention alliée auprès du Chef des communistes de l’Italiedu Nord, qui serait un «alter ego» de Togliatti à Rome. Cette intervention devrait convaincre les représentants communistes qu’il est absolument dans l’intérêt des alliés d’avoir dans le nord de l’Italie des industries intactes et des villes possiblement peu dévastées, de façon à pouvoir assurer du travail aux ouvriers et la nourriture à la population. Ce but semble toutefois être en contraste avec celui des communistes, qui aimeraient plutôt créer une situation chaotique et désastreuse, qui leur permettrait de développer plus aisément leur politique.
Le révérend Professeur Bicchierai possède aussi un matériel très volumineux, concernant les persécutions, les tortures et les cruautés commises dans les prisons et dans les camps de concentration, soit par les allemands, soit par les néo-fascistes. Au sujet de la fameuse «bande Kock», dont l’arrestation a été annoncée même par nos journaux, et qui a eu effectivement lieu, il m’a assuré que cette arrestation avait été ordonnée par Mussolini même. Le questeur de Milan a exécuté l’ordre reçu, en s’exposant lui-même à un danger non indifférent. Il paraît cependant que la bande vient d’être relâchée, sur intervention de Buffarini-Guidi et de Pavolini, qui évidemment ne semblent pas se soumettre aux ordres du Duce.
Je me repromets de me tenir en contact avec le révérend Professeur Bicchierai qui, de son côté, s’est déclaré disposé à me tenir au courant des événements et des accords qui pourront encore être pris, ce qui me permettra, je l’espère, de vous envoyer des rapports assez intéressants.