Classement thématique série 1848–1945:
V. POLITIQUE MILITAIRE
Également: Sont abordés notamment au cours de la séance la situation générale, les rapports avec l’URSS, les relations avec l’Italie et les problèmes liés à l’exportation du matériel de guerre. Annexe de 2.6.1944 (CH-BAR#E2809#1000/723#22*).
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 15, doc. 149
volume linkBern 1992
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E27#1000/721#9911* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 27(-)1000/721 2177 | |
Titre du dossier | Militärische und politische Lage der Schweiz, Bd 1 - 2 (1939–1945) | |
Référence archives | 06.B.2.e.3.a.1 |
dodis.ch/47753
Rapport du Chef du Service de Renseignements et de Sécurité de l’Etat-Major Général de l’Armée, R. Masson1
APPRÉCIATION DE LA SITUATION AU 2.6.44.
J’ai l’honneur de confirmer ici les entretiens que j’ai eus avec le chef de l’état-major général de l’armée les 31.5 et 1.6, provoqués par les 2 rapports que le Dr. Jaeger, ministre de Suisse à Budapest, a adressés récemment au Département politique fédéral concernant des préparatifs allemands visant notre pays2.
Je tiens à les résumer ci-après, à titre documentaire:
1) Il est logique d’admettre que le «cas Suisse» retienne l’attention de l’O.K.W. dans le cadre de la forteresse Europe et notamment en fonction du théâtre d’opérations italien. Nous avons à plus d’une reprise affirmé que la situation politico-militaire de la Suisse deviendrait délicate au cas d’une progression des Alliés en Italie et conjointement, ou ultérieurement, d’une opération anglo-saxonne dans le sud de la France.
La première hypothèse (Italie) est en voie de réalisation. La progression alliée est certes lente et le front de combat est encore relativement éloigné de nos frontières. Il importe cependant de noter que l’ensemble du champ de bataille italien - y compris la zone arrière - est devenu actif. Les opérations que les Alliés mènent dans l’air prennent en effet pour objectifs les centres vitaux allemands: dépôts de vivres et de munitions, communications ferroviaires et routières, troupes réservées. Dans le domaine du ravitaillement, la ligne du Brenner - reliant l’Allemagne à l’Italie -, est l’objet de bombardements fréquents et massifs et le fonctionnement de cette importante voie d’alimentation en hommes, matériels et vivres (sans parler des évacuations indispensables) devient toujours plus délicat.
La guerre s’est donc rapprochée de notre frontière Sud. Elle est également contenue en germe dans l’hypothèse 2e front Sud de la France.
Relativement à l’Italie, il convient aussi d’admettre comme réalisable la création d’une nouvelle tête de pont alliée au Nord de Rome ou même dans le golfe de Gênes. Selon de récentes informations, des troupes anglo-saxonnes auraient été débarquées en Corse, qui constitue le tremplin naturel d’une opération visant le Nord-Ouest de l’Italie.
2) Il résulte de ce qui précède que l’importance de nos voies ferrées (et routes) du Gothard et du Simplonest plus que jamais mise en relief par les événements actuels.
3) Etudiant la question d’une éventuelle action préventive allemande contre la Suisse, nos appréciations antérieures ont fait ressortir la pénurie de réserves générales à l’échelon O.K.W. Mais, depuis l’accalmie intervenue sur le front Est (presque 8 semaines) la Wehrmacht a pu reconstituer un volant de 50 à 60 divisions. Nous avons précisé, dans plusieurs rapports et dans nos bulletins, les modalités de ce renforcement stratégique.
4) Une partie des divisions reconstituées, de même qu’un certain nombre des grandes unités de la garnison allemande «France» stationnent actuellement (voir le tableau récapitulatif au 1.6.44) dans une zone de 50 à 200 km. de nos frontières. Nous les avons groupées en 4 régions: 1) Sud et sud-ouest de Genève(valeur 3 divisions) 2) France de l’est (valeur 6 divisions) 3) Schwarzwald(valeur 6 divisions) 4) Allgau 6 divisions. Au total 21 divisions de types divers.
Il résulte de ce dispositif que les Allemands auraient les moyens d’entreprendre sans long délai l’opération dont parlent les rapports de Budapest. Sur le plan des décisions, il importe de préciser qu’aucun indice alarmant ne nous a été décelé jusqu’à ce jour.
A propos des troupes allemandes qui seraient mises en place contre nous, il n’est peut-être pas inutile de souligner qu’il ne faut pas chercher dans une zone déterminée au-delà de nos frontières, un dispositif rigide et cohérent susceptible de matérialiser sur le terrain (zone de démarrage d’une attaque) la mise en place d’une masse de manœuvre destinée à l’opération Suisse. A l’image de ce qui s’est passé en Yougoslavie, on peut admettre qu’un certain nombre de grandes unités topographiquement décentralisées (exemple: Allgau, Forêt Noire, Alsace, etc.) pourraient fort bien être actionnées en éventail et converger ensuite sur les objectifs vitaux de notre défense centrale.
5) Bien que les disponibilités allemandes aient sensiblement augmenté ces derniers mois, il demeure certain que l’O.K.W., dans le calcul de ses frais généraux sur ses divers fronts, continue à appliquer une stricte économie des forces.
Une opération entreprise contre la Suisse doit donc comporter le bénéfice de la surprise et n’être engagée que si les recettes dépassent largement les dépenses.
6) J’estime que le degré actuel de notre préparation (couverture-frontière très faible, réduit incomplètement occupé, destructions à un degré de préparation limité, postes de commandement de guerre de certaines grandes unités non occupés, sans compter, du point de vue psychologique l’apathie d’une partie du peuple suisse et sa méconnaissance de la situation réelle et des événements qui peuvent surgir d’un moment à l’autre pour nous) risque, si les Allemands y voient vraiment un intérêt final, d’éveiller chez ces derniers l’impression ou la certitude qu’une opération contre nous pourrait être «intéressante» par rapport à la faiblesse relative de notre préparation et des effectifs sous les armes.
7) Une mobilisation générale n’étant actuellement pas justifiée, il importe en revanche de prendre un minimum de mesures compatibles avec notre situation économique.
La mise en veilleuse de notre armée (seulement ]/3 des effectifs combattants sous les armes) alors que des événements importants peuvent surgir d’un instant à l’autre et que, comme en 1940, la guerre se rapproche de nous3, risque de donner à l’étranger une fausse image de notre volonté de défense. Bien que nous ne croyions pas à un danger immédiat, notre situation actuelle comporte un aspect politique et psychologique dont il faut tenir compte et qui doit obligatoirement conditionner notre effort militaire.
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