Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
II.9. ÉTATS-UNIS
II.9.1. ÉTATS-UNIS - RELATIONS POLITIQUES
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 122
volume linkBern 1992
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1553#7801* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 484 | |
Dossier title | Erteilung von Pässen südamerik. Staaten an jüdische Personen. Kriegsflüchtlinge (Zivilpersonen) (1943–1945) | |
File reference archive | B.55.45.24 |
dodis.ch/47726
J’ignore jusqu’à quel point Mr. Harrison vous a mis au courant de la «préhistoire» du problème dont il vous a saisi par lettre et memorandum du 10 avril2. Je crois être parvenu à découvrir ce qui s’est passé: à un moment donné, le Reich, s’inquiétant non sans raison du sort de ses ressortissants internés dans certains pays de l’Amériquelatine et surtout de l’Amériquecentrale, avait proposé de les échanger contre les ressortissants des dits pays internés en Allemagne. Certains gouvernements de l’Amériquecentrale, notamment le Honduras, auraient alors refusé de rapatrier les Allemands en leur pouvoir, attendu que la contrepartie qui leur était offerte par le Reich aurait été composée d’individus qu’ils ne reconnaissaient pas comme leurs ressortissants. Ces gouvernements ont, semble-t-il, expliqué qu’en délivrant des passeports à des apatrides, ils n’entendaient nullement leur octroyer la naturalisation à distance.
Depuis lors, les Etats-Unis ont transféré sur leur territoire, sauf erreur au Texas, une grande partie des Allemands qui étaient internés en Amérique centrale. C’est ce qui permet aujourd’hui au State Department de revenir sur la proposition initiale d’échange du Reich, écartée à l’époque par les Américains centraux.
Le memorandum américain du 10 avril part de la présomption qu’il faut prêter aux Allemands l’intention de traiter les titulaires de passeports sudaméricains non reconnus comme de simples Juifs polonais ou hollandais privés de la protection d’une puissance neutre. Ni la Division des Intérêts étrangers, ni le CICR n’ont eu leur attention attirée sur des cas d’espèce dans lesquels les autorités allemandes auraient agi ainsi.
En revanche, je tiens d’une source juive, à laquelle M. Kullmann a certainement puisé, que les autorités allemandes auraient cessé de reconnaître la qualité d’étrangers à 250 internés du camp de Vittel, détenteurs de passeports de diverses républiques sud-américaines, à la suite de l’incident rappelé plus haut; on ignore, dans les milieux juifs, si ces individus sont encore à Vittel, mais on est persuadé qu’ils n’échapperont à la déportation que si le Reich a un intérêt à modifier son attitude. C’est à quoi vise la démarche américaine; sans craindre d’anticiper sur l’acquiescement des républiques sud-américaines, Washington voudrait que nous fassions savoir à Berlin que les ressortissants allemands établis dans ces pays et transférés au Texas pourraient bien souffrir de représailles.
L’intervention sollicitée par le memorandum du 10 avril sort du cadre de la protection des intérêts étrangers puisqu’il ne s’agit ni d’une démarche de Washington en faveur de ressortissants des Etats-Unis, ni d’une démarche des Républiques sud-américaines privées de représentation diplomatique en Suisse et empruntant le canal du State Department et de la Légation d’Amérique à Berne.
Dans ces conditions, on peut se demander si la Suisse pourrait donner suite à la demande contenue dans le Memorandum sans froisser des Etats d’importance sans doute secondaire, mais qui entretiennent apparemment avec elle des rapports de parfaite correction.
A ces considérations s’ajoute le danger signalé par M. de Pury qu’une communication faite dans le sens du memorandum du 10 avril pourrait faire courir à la réalisation de la proposition d’échange soumise à Berlin par la Division des Intérêts étrangers sur la base de la notice de la Légation des Etats-Unis du 14 avril3.
Je voudrais me permettre de proposer:
1) qu’il ne soit momentanément pas répondu à Mr. Harrison,
2) que M. Frölicher - de préférence à M. Feldscher - soit invité à se renseigner discrètement et rapidement sur le sort des titulaires de passeports reniés par les gouvernements dont le Reich croyait qu’ils étaient ressortissants.
Il est possible qu’il ne leur soit encore rien arrivé et que la perspective d’un échange les immunise contre la déportation. Dans ce cas, il pourrait sans risque être répondu à Mr. Harrison dans le sens proposé par M. de Pury. Si, au contraire, la situation s’avérait plus grave, il faudrait, semble-t-il, dire aux Américains que nous sommes prêts à faire une démarche à Berlin si ceux des Etats sud-américains dont nous protégeons les intérêts nous le demandent en même temps que les autres républiques du même continent chargeraient leurs propres puissances protectrices d’une démarche identique en faveur de leurs pseudo-nationaux4.