dodis.ch/47617 Le Consul général de Suisse à Côme, F. Brenni, au Chef de la Division des A ff aires étrangères du Département politique, P. Bonna1
Profitant d’un moment de calme très relatif, j’estime opportun de vous faire parvenir un bref rapport sur la situation dans l’Italieseptentrionale surtout en ce qui concerne le traitement réservé par les forces allemandes aux juifs.
Hier, après avoir cherché d’avoir des renseignements précis à plusieurs sources, il m’a été finalement possible de savoir d’une source sûre et digne de foi ce qui s’est passé exactement à Meina (LacMajeur) contre les juifs.
Dans cette ville l’hôtel Meina, qui avait été agrandi et installé d’une façon très moderne par un turc, marchand de tapis à Milan, abritait toute une colonie juive.
Le jour suivant la chute de Mussolini les clients de cet hôtel ont fêté l’événement paraît-il d’une façon assez bruyante, et certainement exagérée. Cet excès de joie devait être fatal à ces gens.
En effet quelques jours après l’occupation allemande un détachement allemand de S.S. s’est présenté à l’hôtel qui a été tout de suite réquisitionné. Les clients qui y vivaient ont été groupés au troisième étage et forcés à coucher sur des lits de camp sous surveillance continuelle. Les repas leur étaient servis sur des simples tables, les femmes d’un côté et les hommes de l’autre.
Après une dizaine de jours, le soir vers 21 heures, les troupes allemandes se sont présentées dans les différentes villas du lieu pour se faire prêter des barques et des canots. Là où le prêt n’a pas été consenti les barques et les canots ont été pris de force.
Dans la nuit qui suivit on a entendu des nombreux coups de feu et le lendemain matin plusieurs barques et canots ont été retrouvés qui allaient à la dérive ensanglantés. Les clients de l’hôtel avaient disparu. Le jour suivant au moins neuf cadavres de femmes, d’hommes et d’enfants ont été vus revenir à la surface du lac; les cadavres ont même été vus pendant toute une journée, mais personne n’osait les retirer ou entreprendre quoi que ce soit. Ce sont encore les troupes allemandes qui, tard le soir, se sont chargées de lier des pierres aux cadavres et de les faire disparaître définitivement.
Un sujet allemand qui habite Meina, devant ce massacre n’a pas pu s’abstenir de faire un rapport au Consul Général d’Allemagne à Milan. Ce rapport a été envoyé à Berlin et quelques jours après un officier du grade supérieur s’est rendu à Meina pour une enquête. Cette dernière a établi d’une façon absolue les faits qui avaient été dénoncés. Là dessus les S.S. qui stationnaient à Meina ont été retirés.
On m’a assuré de la façon la plus précise que l’officier qui commandait ces troupes a été emprisonné.
Il paraît en outre que des ordres très sévères ont été donnés aux troupes allemandes de s’abstenir de tout acte de violence contre les juifs. J’ajoute encore que le Consul Général d’Allemagne a vivement déploré ces excès.
Il y a donc lieu d’admettre que la persécution des juifs, pour le moment au moins, sera moins grave que les réfugiés qui se présentent en Suisse voudraient faire croire. Cela me confirme dans l’opinion que j’ai déjà exprimée à plusieurs reprises que pour le moment au moins la Suisse doit se montrer très sévère en accueillant les juifs qui prétendent être persécutés. Il est possible qu’une recrudescence puisse avoir lieu plus tard et c’est pour cette raison qu’il me paraît opportun, jusqu’à nouvel avis, de maintenir notre frontière fermée aux réfugiés.
Que je sache ni à Côme ni à Milan il n’est pas question de persécution contre les juifs à moins qu’il ne s’agit de sujets allemands ou de personnes qui sont déjà suspectes de la part des allemands. [...]