dodis.ch/47424 Le Chef du Département politique,
M. Pilet-Golaz, au Chef du Département de Justice et Police, E. von
Steiger1
Merci de m’avoir soumis votre projet de réponse à une jeune Suissesse - sans doute une Stauffacherin2.
Du point de vue de la politique étrangère, je n’ai aucune observation quelconque à présenter, loin de là. A cet égard, votre détermination me paraît à la fois habile et prudente.
Je ne vous cacherai pas que j’admire la patience dont vous faites preuve en procédant comme vous en avez l’intention. Je sais bien que vous êtes un «jeune conseiller fédéral». Personnellement, je ne l’aurais plus. J’ai perdu l’illusion qu’en «dorant trop la pilule» au peuple suisse, on le rende plus compréhensif.
Quoi qu’il en soit, je vous confirme, à toutes fins utiles, qu’aucune démarche quelconque n’a été faite auprès de moi par un représentant étranger, au sujet du problème des réfugiés, qui puisse être considérée comme une invite directe ou indirecte à fermer nos frontières. Ce serait bien plutôt le contraire: certains diplomates auraient voulu qu’on exerce une pression pour que nous ouvrions davantage nos portes.
Que le problème ait une importance de politique étrangère capitale, c’est ce qui saute aux yeux. Que nous devions nous montrer dignes, fermes et prudents, mais sans illusions comme sans sentimentalité, c’est que les menaces de guerre au cours du dernier siècle, à cause des réfugiés, doivent nous rappeler. Aujourd’hui, nous n’aurions plus une tierce puissance qui s’interposerait pour apaiser les conflits3.
Et je ne touche pas ici le problème intérieur, beaucoup plus délicat qu’on ne le croit dans certains milieux: il suffirait de peu de chose pour que l’antisémitisme latent éclate.
Les 14 et 15, devant la Commission des pouvoirs extraordinaires du Conseil des Etats, faisant fonction de Commission des affaires étrangères, la question fut évoquée naturellement4. J’ai constaté que ces messieurs, unanimes je crois pouvoir le dire, approuvent l’attitude réservée du Conseil fédéral et se rendent compte de la nécessité de ne pas jouer avec la sécurité interne et externe du pays.
Peut-être cela vous est-il utile de le savoir.
Aujourd’hui et demain, je suis - hors de Berne - devant la Commission des affaires étrangères du Conseil national5. Je pourrai, vendredi, vous indiquer si son pouls est plus fiévreux.