Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.1. ALLEMAGNE
2.1.6. PARTICIPATIONS SUISSES À DES ORGANISATIONS ALLEMANDES
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 14, doc. 220
volume linkBern 1997
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E4001C#1000/785#30* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 4001(C)1000/785 2 | |
Titre du dossier | Dossier Nr. 21: Armee (1942–1943) |
dodis.ch/47406
Mon cher Collègue,
Lundi ou mardi au plus tard, vous recevrez, enfin mise au point, la détermination de mon Département sur l’affaire Staiger, Bühler et consorts, pour laquelle vous avez bien voulu nous consulter2.
Je m’excuse du retard: j’en prends la responsabilité. J’ai voulu regarder personnellement le dossier, parce que j’attache une grosse importance à la manière dont la procédure se déroulera.
C’est précisément pourquoi je me permets cette lettre personnelle.
Je ne puis vous cacher mon inquiétude:
La tension internationale augmente et ira s’aggravant.
Le premier, je sais que toute faiblesse sur une question essentielle serait exploitée contre nous et qu’il convient de se montrer ferme. Aussi, sur le principe, je n’ai aucune observation à formuler.
Mais quand on sait les intérêts considérables qui peuvent brusquement être mis en jeu, la gravité des décisions que nous aurions à prendre, les risques qu’elles comporteraient pour le présent et pour l’avenir, nous avons aussi le devoir primordial de tout faire pour que cette tension internationale ne s’aggrave pas sans nécessité et ne conduise pas à une situation «cruciale».
C’est surtout le procès qui me préoccupe. Il ne manquera pas de jeter le trouble dans le pays, l’excitation dans les esprits, de provoquer des réactions imprévues, irréfléchies et inopportunes.
Avec un nombre d’accusés aussi considérable, doublés d’avocats qui ne songeront qu’à des succès personnels et dont quelques-uns seront peut-être poussés par des passions politiques partisanes, nous pourrions avoir un spectacle qui rappellerait davantage ceux du cirque que celui du forum: en allemand, on dirait un théâtre.
C’est pourquoi j’attache une grande importance à ce qu’on réduise au strict minimum le nombre des accusés, qu’on ne s’en prenne qu’à ceux qui incontestablement sont coupables, gravement coupables, et doivent être sérieusement punis, en laissant tout le menu fretin - si j’ose employer cette expression familière, les épices et la sauce - de côté.
La publicité qui sera donnée doit aussi retenir toute notre attention, et les instructions destinées à la presse.
Il va sans dire que la personne du président jouera un rôle considérable. Il faut que la direction des débats soit ferme, sans passion, vraiment neutre, avec un sens politique certain.
On pourrait en dire autant du représentant du Ministère public.
Enfin, le choix des avocats, les pièces à porter à leur connaissance, tout cela exige cette fois-ci une préparation minutieuse.
Je sais qu’il me suffira de le souligner pour être assuré de tout votre concours à cet effet.
J’ajoute qu’en ce qui concerne les agents officiels allemands impliqués, ce qui me préoccupe ce n’est pas uniquement les répercussions éventuelles sur la situation de nos propres agents au nord3. Mais évidemment je ne puis oublier - quoiqu’il s’agisse d’un domaine différent - la mansuétude et la tolérance dont nous avons fait preuve envers d’autres. L’équilibre a été manifestement rompu. On le sait. Déjà on nous annonce des mesures économiques graves4
. Si elles étaient appliquées, ce sont elles qui pourraient entraîner assez rapidement un affaiblissement considérable de notre force de résistance. C’est pourquoi il y faut songer dès maintenant.
Sans doute les considérations qui précèdent n’ont pas un caractère bien juridique, elles sont essentiellement politiques et opportunes. Mais n’est-ce pas mon rôle de les mettre en lumière et d’insister quand elles ont une force particulière? Aussi vous serais-je reconnaissant de leur accorder toute l’attention qu’elles méritent5.
Veuillez agréer, mon cher Collègue, l’expression de mes sentiments dévoués.
- 1
- Lettre: E 4001 (C) 3/2.↩
- 2
- Cf. E 2001 (D) 3/39: Par une longue lettre du 4 août 1942, le Département politique répond au Département de Justice et Police au sujet du rapport du Ministère public du 27 janvier 1942 sur les menées national-socialistes en Suisse de novembre 1940 à juin 1941 qui provoquèrent les arrestations opérées en juin 1941, cf. ci-dessus Nos 68 et 79.↩
- 3
- Sur les agents diplomatiques suisses en Allemagne, cf. les cas d’E.Mörgeli et d’autres emprisonnés accusés d’espionnage. Cf. la lettre du DPFdu 27 août 1942, E 2001 (D) 3/658.Au sujet des relations avec l’Allemagne, cf. le rapport de Frölicher du 21 août 1942 qui pondère l’inquiétude exprimée depuis le début du mois par P.A. Feldscher (lors de ses entretiens à Berne avec Pilet-Golaz) et par H. von Werdt (à son retour du front de l’Est): [...] Die pessimistische Beurteilung, die beide Herren zum Ausdruck bringen, kann ich nur aber nicht teilen. Aus Unfreundlichkeiten, die man gelegentlich in Presse- und privaten Äusserungen zu hören bekommt, darf man nicht allgemeine Schlüsse ziehen. Meine zuversichtliche Beurteilung gründet sich zunächst auf die Überlegung, dass Deutschland vernünftigerweise kein Interesse haben kann, die nützlich und ruhig arbeitende Schweiz zu stören, auf die wertvollen wirtschaftlichen und politischen Dienste, die wir als neutraler Staat leisten, zu verzichten und die Verbindung mit dem Achsenpartner über unser Gebiet für längere Zeit zu unterbrechen.[...] (E 2300 Berlin/66). Cf. aussi E 2001 (D) 3/658 et ci-dessous No 260.↩
- 4
- Cf. No 216 et annexes.↩
- 5
- Sur la suite de cette affaire, cf. notamment la co-proposition du Département politique au Conseil fédéral du 15 décembre 1942, E 2001 (D) 3/39, les PVCF du 18 décembre et No 2190 du 28 décembre 1942, E 1004.1 1/428.Sur les condamnations, cf. la notice du DPF du 21 décembre 1943, E 2001 (D) 3/39, et celle du 26 novembre 1945, E 2001 (D) 3/302.Les inculpés ont été jugés en trois groupes par la Cour pénale fédérale qui a prononcé, le 10 décembre 1943, 11 condamnations allant de 2 mois d’emprisonnement à 4 ans de réclusion, le 18 mars 1944, 10 condamnations allant de 3 mois d’emprisonnement à 4 ans de réclusion et, le 16 juin 1944, 5 condamnations allant de 4 à 16 mois d’emprisonnement.↩
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