Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.1 ALLEMAGNE
II.1.1. QUESTIONS DE POLITIQUE GÉNÉRALE ET BILATÉRALE
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 12, doc. 476
volume linkBern 1994
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Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E1301#1960/51#331* | |
Titolo dossier | Dezember 1938 (30. Legislaturperiode, 18. Session) (1938–1938) | |
Riferimento archivio | 1.1 |
dodis.ch/46736
M. Motta, conseiller fédéral: Je tiens, au préalable, à vous dire, que j’ai écrit mon discours pour me préserver moi-même de toute erreur éventuelle et aussi pour éviter toute interprétation erronnée. Vous venez d’entendre la réponse de M. le Président de la Confédération à l’interpellation Walther et à la dernière partie de l’interpellation Meierhans.
M. le Président et moi, nous nous sommes entendus dans ce sens qu’il appartiendrait au chef du département politique de répondre aux deux premiers points de cette dernière interpellation: celui qui touche à la question des étudiants universitaires allemands en Suisse et celui qui se rapporte au discours prononcé par M. le ministre Frölicher à Munich. J’ai l’intention de traiter brièvement aussi - comme un exemple typique de fausses nouvelles dans certains de nos journaux quant à l’activité de M. le baron von Bibra, conseiller de Légation à la Légation d’Allemagne, [sic]
Je commence par le discours de M. le ministre Frölicher.
M. Frölicher s’est rendu, conformément à l’usage et à ses obligations, le 25 novembre, à Munich pour y fêter avec nos compatriotes le 90e anniversaire de leur société de bienfaisance. Il y prit - c’était un devoir précis - la parole. Il était entouré par toute la colonie. S’était associé à cette belle manifestation, entre autres, M. Tempel, bourgmestre de Munich. Aucun mot ne sortit des bouches allemandes qui ne fût de sympathie et d’amitié pour notre pays. M. Frölicher saisit l’occasion de toucher à la question toujours très importante des rapports entre la Confédération suisse et le Reich allemand. Je passe sur tout ce qui n’est pas essentiel. Je ne discute pas les questions de pure forme, car celles-ci ne peuvent s’apprécier qu’en fonction de l’ambiance. Je ne prends, par conséquent, que le contenu essentiel et le but du discours. J’ai demandé à M. Frölicher de m’envoyer son texte3. Je l’ai soumis au Conseil fédéral dès que je l’eus reçu et je lui ai demandé la permission de le livrer intégralement à la presse. Le Conseil fédéral a approuvé entièrement ce discours.
Certains organes de la presse - je ne les nommerai pas pour garder à mes explications le ton de l’objectivité la plus complète - sont cependant partis immédiatement en guerre. Sur la base de quoi? Sur des résumés faits à la hâte, publiés en Allemagne. M. Frölicher aurait parlé d’une certaine presse suisse et l’aurait accusée de troubler les bonnes relations entre les deux pays. La réalité est que notre ministre à Berlin n’a pas dit un mot de notre presse4. M. Frölicher ne s’est pas prononcé non plus sur la valeur et les effets de l’accord récent de Munich. Il s’est borné à expliquer que la Confédération est, quant à la nature de sa formation politique, comparable au granit de nos Alpes. Il a fait ressortir que la Suisse plonge ses racines dans une longue histoire qui a dépassé le demi-millénaire. Il a fait observer que cette histoire était beaucoup moins l’œuvre de diplomates assis autour d’un tapis vert que celle d’un peuple ayant réussi, par un effort qui se place au-dessus des races, des langues et des confessions, à former une libre et forte communauté nationale. M. Frölicher fit une allusion opportune au principe que le national-socialisme lui-même a proclamé et d’après lequel les peuples ont seuls le droit de déterminer leur destin. Il rappela alors les déclarations solennelles faites par le Chancelier du Reich, M. Hitler, à M. Schulthess, ancien conseiller fédéral, et à lui-même, M. Frölicher, lorsque celui-ci présenta, cette année même, ses lettres de créance, déclarations confirmées encore par M. Ribbentrop, ministre des affaires étrangères du Reich, alors que l’Allemagne et l’Italie firent amicalement savoir, après le 14 mai, qu’elles respecteraient en tout temps notre neutralité.
Ces déclarations comptent. M. Frölicher a bien fait d’ajouter qu’elles pèsent d’un autre poids que des conversations et des racontars d’auberge.
M. Frölicher n’a donc pas démérité. Je tiens à lui exprimer ici la pleine confiance du Conseil fédéral.
Vous savez que le Conseil fédéral a fait connaître son sentiment en deux communiqués5. Le premier de ces communiqués ne pouvait être qu’un acte provisoire. Il réservait le jugement définitif. Peut-être les journaux qui ont formulé sur un ton véhément les premières critiques reconnaîtront-ils maintenant qu’ils ont manqué de pondération. Attaquer un chef de mission diplomatique sans raison et sans s’être donné le temps de la réflexion est un procédé que je livre aux considérations de votre sens patriotique. Voici d’ailleurs le texte d’un télégramme que j’ai reçu, ce matin, de ceux qui représentent la colonie suisse de Munich:
«Die Schweizer Kolonie München, vertreten durch die Vorstandschaft des Schweizer Unterstützungsvereins München, unterstützt voll und ganz die Ausführungen unseres Schweizer Gesandten, Minister Frölicher, am 90. Stiftungsfest, über die in einem Teil der Schweizer Presse falsch berichtet wurde. Wir danken dem hohen Bundesrat dafür, dass er sich nicht durch unrichtige Nachrichten beirren liess. Zugleich ersuchen wir die hohen Bundesbehörden, bei der Schweizer Presse vorstellig zu werden, die exponierte Stellung der Auslandschweizer nicht durch unbegründete oder unrichtig weitergegebene Nachrichten zu erschweren. Der patriotischen Schweizer Presse danken wir für die Rücksichtnahme auf die Auslandschweizer. Sie stehen der Heimat am nächsten.
Schweizer Unterstützungsverein München6.»
J’en viens à l’affaire des étudiants universitaires allemands.
Les faits sont connus. L’Union nationale des étudiants de Suisse, dont, non sans fierté, je suis le président d’honneur, avait signalé au Département politique, dans une lettre datée du 22 novembre et que nous avons reçue le 23, qu’un avis affiché à l’Université de Berlin faisait connaître que des étudiants politiquement «einsatzbereit» pourraient recevoir une aide financière pour des études en Suisse. L’Union demandait que cette affaire fût tirée au clair. Le Département politique a chargé sans retard la Légation de Suisse à Berlin de recueillir les renseignements nécessaires.
J’ai reçu rapport de la Légation le matin du 2 décembre7. J’ai expliqué le matin même au Conseil le véritable aspect de la question. L’après-midi, d’accord avec mes collègues, j’ai publié un communiqué officiel destiné à la presse. Le public est donc informé.
Je n’ai rien à dire sur l’émotion qui s’est emparée du monde des étudiants. Des manifestations parfaitement dignes ont eu lieu en plusieurs de nos villes universitaires. Les étudiants ont manifesté, avec cette vigueur qui est le signe de leur âge, leur volonté unanime de ne point tolérer des ingérences étrangères dans les lieux de leurs études. Cette réaction était compréhensible. Nous aurions agi de même si nous étions tous des hommes encore jeunes. L’université est un temple: la liberté seule et le respect de la science y ont accès.
Je crois cependant que le vrai responsable de ces mouvements a été un mot équivoque et assez malheureux: «einsatzbereit». On s’est imaginé que l’étudiant «einsatzbereit», c’est-à-dire prêt à payer de sa personne, ne peut être que le propagandiste passionné d’une doctrine déterminée. Nous nous sommes enquis du véritable sens du mot. Nous avons reçu, soit de la Légation d’Allemagne à Berne, soit des autorités allemandes de Berlin, l’assurance que le mot «einsatzbereit» ne signifie aucunement que les étudiants soient chargés d’une mission politique de propagande ou de tout autre nature.
Nous avons reçu, en outre, l’autre assurance que les étudiants universitaires allemands ont l’instruction de ne se mêler d’aucune façon dans la politique du pays étranger où ils font leurs études. Toute propagande de ce caractère leur est sévèrement interdite. On ne voit d’ailleurs pas comment ces jeunes gens pourraient se livrer à une activité dangereuse pour notre Etat. Ils sont en tout 150, dont plus de 120 à Lausanne et à Genève.
Veuillez remarquer, messieurs, que nous-mêmes nous avons demandé officiellement, dès 1937, aux autorités du Reich de faciliter aux étudiants allemands leurs études en Suisse. Ce désir était parti des autorités de Genève. Nous l’avons accueilli parce que nous y avons tout intérêt. Nos universités, et notamment celles de notre Suisse romande, permettent aux étudiants allemands d’apprendre le français ou de s’y perfectionner. Il y a là une tradition déjà ancienne que nous aurions tort d’interrompre. Les jeunes Allemands qui viennent chez nous pour des raisons d’étude nous connaissent mieux; ils constatent le fonctionnement naturel de nos institutions. Nous n’avons rien à y perdre.
Et, en définitive - M. le Président de la Confédération vient de vous l’expliquer - ces étudiants sont soumis aux normes qui règlent le séjour des étrangers chez nous. Si, par hypothèse, il y avait abus, nous interviendrions immédiatement. Ni les autorités cantonales ni les autorités fédérales ne manqueront jamais de la vigilance nécessaire.
Les mots «Arbeitsgemeinschaft» «Schweiz» ont aussi été mal interprétés. Ces «Arbeitsgemeinschaften» existent pour tous les pays où des étudiants allemands se rendent, ainsi, par exemple, pour la France, l’Angleterre, l’Italie et ailleurs. Cette idée de la communauté de travail est pratiquée depuis longtemps. Elle ne constitue pas une notion politique et ne justifie donc pas une méfiance de notre part.
J’arrive maintenant à mon troisième point: les calomnies contre M. von Bibra.
Ces calomnies représentent un cas typique de mensonge à fin politique. Elles font exactement pendant à cette détestable fausse nouvelle qui a circulé chez nous pendant des mois et dont M. le Président de la Confédération vous a parlé: Dans plusieurs gares de l’Allemagne, annonçait la nouvelle, plusieurs personnes avaient vu de leurs yeux des affiches proclamant que deux millions de Suisses allemands frémissaient dans l’attente d’une libération prochaine.
Cette information était une infamie. Elle avait été propagée par la radio de Moscou; elle portait donc la marque de la Troisième Internationale et du communisme.
M. von Bibra a été visé d’abord dans un journal anglais, le «News Cronicle». Je me suis informé sur le caractère de ce journal. On m’a répondu qu’il se plaçait à certains égards plus à gauche que l’organe officiel du parti labouriste, le «Daily Herald». La gazette susnommée faisait savoir en caractères sensationnels que M. von Bibra, qui est à Berne depuis 1935, avait reçu de M. Himmler, chef de la Police politique allemande, l’ordre de s’employer à préparer le partage de la Suisse: La Suisse allemande irait au Reich, le Tessin à l’Italie, la Suisse romande à la France.
Cette nouvelle, tout de suite répandue par la presse socialiste et communiste, fit long feu. Mais ces tout derniers jours voici un autre journal bien connu, l’«Oeuvre» de Paris, qui vole à la rescousse. Une femme journaliste8, - que par respect de son sexe je préfère ne pas nommer, mais que je connais bien - (Rires) - y répète les informations déjà formulées par le journal anglais et y ajoute que M. von Bibra aurait reçu récemment le titre de «commissaire spécial pour le rattachement de la Suisse»!
Il s’agit d’un cas caractérisé de ce que, en langue allemande, on appelle «Brunnenvergiftung», empoisonnement de source. J’en connais l’origine, mais ne veux pas en parler.
J’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai interrogé tous mes fonctionnaires qui ont des rapports suivis avec M. von Bibra. Leur opinion est catégorique et unanime. M. von Bibra a toujours été agréable et correct à notre égard, compréhensif et conciliant. Il nous a souvent aidés à résoudre des cas difficiles.
Je considère comme un devoir d’honnête homme de protester avec force contre des informations manifestement fausses visant un diplomate qui fait partie d’une Légation accréditée auprès de nous.
Mais que pensez-vous, messieurs, de ces étrangers qui, sous le prétexte de vouloir nous éclairer sur les dangers qui nous menacent, veulent à tout prix nous brouiller avec deux de nos voisins?
Lisez l’émouvant discours que M. le Président Edouard Daladier a prononcé, la dernière nuit de vendredi à samedi, à la Chambre française et vous serez édifiés sur les menées souterraines de ceux qui ne se consolent pas de n’avoir vu l’Europe et peut-être le monde entier précipités dans le gouffre de la guerre générale!
Certes, nous avons le strict devoir de rester vigilants. Le Conseil fédéral vous en donne l’exemple dans tous les domaines.
Je regrette que nous n’ayons pas encore réussi à trouver avec l’Allemagne un modus vivendi dans la question de la presse. Je ne désespère pas d’y parvenir avec de la patience et de la ténacité. Les deux pays auraient un intérêt égal à laisser connaître à l’opinion du Reich la réalité suisse. Je crois m’être exprimé assez clairement dans la grande conférence de presse que j’ai eu l’honneur de convoquer et de présider le 26 octobre dernier. A un journaliste socialiste qui m’a posé cette question précise: Etes-vous prêt, Monsieur Motta, à défendre la liberté de la presse si elle était attaquée? j’ai répondu sans hésiter: Oui, et j’y mettrai toute l’ardeur de ma conviction, mais je demande à la presse de me rendre cette tâche moins difficile.
Nous n’admettons pas la théorie proclamée dans certaines revues et gazettes allemandes et qui cherche à confondre la neutralité de l’Etat avec la neutralité des individus. En principe, seul l’Etat est neutre; il le sera toujours fermement; le citoyen reste libre dans ses opinions et dans ses appréciations; la critique objective lui est toujours permise; nous lui demandons de s’imposer une discipline volontaire dans l’expression de ses pensées, pour le bien du pays.
Je suis frappé, messieurs, de l’inquiétude qui a saisi certaines régions de notre pays. Cette inquiétude est injustifiée. Une attitude nerveuse et craintive n’est pas digne des Suisses que nous sommes - vous l’avez entendu par un concours d’idées de la bouche même du président de la Confédération - sont le sang-froid, le courage, la pondération, la confiance en soi. Lisez, messieurs, le récent message du Conseil fédéral en ce qui concerne le patrimoine spirituel du pays9, méditez ces pages où le cœur a autant de place que l’esprit, écrites par la plume de celui que vous élirez demain Président de la Confédération. Vous y trouverez les motifs profonds et les raisons immortelles de ne jamais vous laisser pénétrer par le doute sur la destinée du pays! (Bravos et applaudissements).
- 1
- Cette interpellation avait la teneur suivante: (3817) Meierhans, du 6 décembre 1938. 1° Quelles mesures le Conseil fédéral compte-t-il prendre pour combattre la propagande toujours plus évidente de l’étranger, en particulier l’invasion de nos universités par des étudiants étrangers disposés à se dépenser en faveur des dictatures? 2° Pour quels motifs le Conseil fédéral approuve-t-il «entièrement» le discours prononcé à Munich par M. le ministre Frölicher à l’occasion du 90e anniversaire de la fondation de la Société suisse de bienfaisance? 3° Le Conseil fédéral est-il en mesure de communiquer le résultat des enquêtes dont font l’objet les associations nationales-socialistes qui se groupent autour des journaux provisoirement interdits «Schweizervolk», «Schweizerdegen» et «Angriff»? Quand et de quelle manière compte-t-il faire connaître l’intéressante documentation qui a été réunie au cours de ces opérations? Le point 3 de cette interpellation n’est pas traité par Motta mais par son collègue J. Baumann.↩
- 2
- E 1301 1/331, pp. 220 ss.↩
- 3
- Non reproduit. Figure aussi dans E 2200München 2/15, avec ce mot d’accompagnement, du 1er décembre, au gérant du Consulat général de Munich, R. Ritter: Falls der Unterstützungsverein die Ansprache für Vereinszwecke zu veröffentlichen gedenkt, so möchte ich bitten, dass diese Version gebracht wird.↩
- 4
- Dans leur compte rendu de la manifestation, les Münchner Neueste Nachrichten du 26 novembre 1938 faisaient dire à Frölicher: Außerhalb Deutschlands werde es noch immer nicht genügend erkannt, daß es ein Verdienst des Nationalsozialismus ist, nicht Außenpolitik nach alten imperialistischen Rezepten zu machen, sondern den Grundsatz des Selbstbestimmungsrechtes des Volkes auf sein Panier geschrieben zu haben. Eine logische Folge sei, daß in Anerkennung des freien Willens der Schweizer von höchster Stelle Deutschlands Erklärungen abgegeben worden sind, die jeden Zweifel beseitigen. Dr. Frölicher betonte, er wisse, daß in der Schweiz - viel sei daran die Schweizer Presseschuld - jedes Gespräch mit Vorliebe kolportiert werde, das spät am Abend am Wirtshaustisch nach vielen Gläsern Wein gesprochen werde. Das einzig Wichtige sei aber, was der deutsche Reichskanzlers erklärt hat. Bei dieser klaren Stellung wäre es wahrhaftig an der Zeit, dass man im ganzen Schweizer Volk der Außenpolitik des Bundesrates Verständnis entgegenbringe. Le 20 décembre 1938, les Münchner Neueste Nachrichten assuraient: dass der von uns wiedergegebene Text auf der Grundlage des Stenogramms eines unserer Berichterstatter beruht, der an der Veranstaltung teilgenommen hat und dass jeder von uns wiedergegebene Gedanke, auch der, der die Schweizer Presse selbst betraf, sinngemäss den Ausführungen entspricht, die unser Berichterstatter gehört hat.↩
- 5
- Des 2 (cf. No 474) et 5 décembre 1938.↩
- 7
- Cf. No 462 et E 2001 (D) 2/118.↩
- 8
- Il s’agit de Geneviève Tabouis.↩
- 9
- Du 9 décembre 1938, publié dans FF, 1938, II, pp. 1001 ss.↩