Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
I.8 STATUT DE LA FEMME
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 80
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1554#5* | |
Dossier title | Représentation féminine au sein de la délégation suisse à l'Assemblée de la S.d.N. (1937–1937) | |
File reference archive | E.102.1 |
dodis.ch/46340
L’Association suisse pour le suffrage féminin nous demande, par la lettre ci-jointe2, de désigner Mlle Emilie Gourd comme «conseiller technique des questions sociales» de la délégation suisse à l’Assemblée de la Société des Nations.
Il y aurait, croyons-nous, un certain intérêt à faire entrer une femme dans la délégation suisse, ne fût-ce que pour bien marquer qu’il n’existe pas chez nous, comme on le prétend trop souvent, de préjugés contre la femme. D’un autre côté, la collaboration d’un expert féminin pourrait nous rendre des services à la Ve et même à la Ire Commission, qui se trouvent saisies de nombreux problèmes intéressant tout particulièrement les femmes (traite des femmes, statut de la femme, nationalité de la femme, etc.).
Ce serait cependant une erreur, à notre avis, de faire appel à une féministe «militante», à une passionnée du suffrage féminin. Celle-ci se servirait de sa position dans la délégation suisse comme d’un tremplin pour la propagande d’idées qui n’auraient plus guère de rapports avec les intérêts dont la défense est confiée aux délégués suisses à Genève.
On aurait beau objecter à cette dame que, membre de la délégation, elle doit s’en tenir aux instructions du Conseil fédéral. Enchaînée peut-être à l’extérieur, elle se rattraperait en livrant bataille à l’intérieur de la délégation. L’atmosphère au sein de celle-ci s’en trouverait complètement transformée.
Ce qu’il faudrait, semble-t-il, à la délégation, ce ne serait pas une féministe notoire, mais simplement une femme intelligente et paisible, ouverte aux problèmes sociaux et ne les ramenant pas tous aux dimensions d’une urne électorale. Pour ma part, j’avais pensé à une personne comme Mlle S. Fernere, du Comité international de la Croix-Rouge.
Quant au choix que nous propose Mme Leuch3, il serait désastreux. Mlle Gourd n’a certainement pas les qualités requises d’un membre de délégation. Elle est trop passionnée; elle l’est au point qu’elle a la tendance de se brouiller avec tous ceux qui ne partagent pas entièrement ses idées. Dernièrement encore, elle a pris à partie Mlle Böschenstein, expert de la délégation suisse à Genève, parce qu’elle n’était pas assez, selon elle, une «militante féministe». Sans qu’elle s’en doute peut-être, elle est plutôt mal vue dans les milieux internationaux. Je tiens de source absolument autorisée que toute la réforme de la Commission des questions sociales aurait eu son origine, pour une bonne part, dans le désir des milieux de la Société des Nations de se débarrasser de cette nouvelle Miss Pankhurst encombrante, irascible et exaltée. Dans certains milieux, on la représente même comme une furie. Lors de la dernière session de la Commission des questions sociales, dont elle suivait les travaux à titre privé, elle ne m’a plus adressé la parole, les derniers jours, parce qu’elle n’avait pas été spécialement invitée par la délégation suisse à l’excursion de Cerlier. Et elle n’avait pas à être invitée, sinon nous aurions dû inviter tous les journalistes et le public qui assistaient à nos séances. Force était de nous restreindre.
Il y a, au surplus, tout lieu de penser que, l’Assemblée passée, une propagandiste assoiffée de bruit et de succès comme Mlle Gourd tirerait le plus fâcheux parti, pour nous, de sa qualité de membre de la délégation suisse. Elle battrait monnaie de ce mandat officiel.
Dans l’intérêt même de la délégation, il paraîtrait donc indiqué de ne pas retenir la proposition de Mme Leuch. Cette proposition n’est pas sérieuse.
Quant au choix de Mme Leuch elle-même, il serait meilleur, à tous les points de vue, que celui qu’elle nous suggère. Mais accepterait-elle maintenant d’être nommée à la place de celle qu’elle nous recommande? Sa situation deviendrait bien délicate.
D’autre part, la démarche de Mme Leuch témoigne de l’influence qu’a sur elle Mlle Gourd. Cette influence serait mauvaise, j’en suis convaincu, pour la délégation suisse. Mieux vaudrait ne pas faire appel, dans ces conditions, à une des militantes de 1’«Association suisse pour le suffrage féminin». J’incline à penser que ce serait aussi l’avis du Département de Justice et Police, qui, du temps déjà de M. Hâberlin, tenait à garder son indépendance entière vis-à-vis de ces trop ardentes féministes.
- 1
- E 2001 (D) 4/1. A l’attention, sans doute, de ses supérieurs. Les paraphes de Motta et de Bonna figurant sur cette notice indiquent qu’ils en ont pris connaissance.↩
- 2
- Non reproduite.↩
- 3
- Présidente de l’Association suisse pour le suffrage féminin, signataire de la lettre mentionnée au début de cette notice.↩