Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 12, doc. 9
volume linkBern 1994
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
Cote d'archives | CH-BAR#E2001D#1000/1554#461* | |
Titre du dossier | La liberté de la presse et le siège de la S.d.N. (1936–1937) | |
Référence archives | E.91.3 |
dodis.ch/46269
NOTICE SUR L’AFFAIRE A PRATO
Je me suis enquis discrètement de la situation à Genève en ce qui concerne l’affaire a Prato.
Montenach ne peut me donner des renseignements bien précis. Ganzoni non plus. Et, dans l’état actuel des choses, je me suis bien gardé de puiser à des «sources étrangères». C’est trop délicat, et cela pourrait être mal interprété.
L’affaire a Prato est évidemment discutée dans les couloirs du Secrétariat et surtout dans la salle de la Presse. Les uns comprennent l’attitude des Autorités suisses; d’autres la jugent excessive. C’est dans l’ordre.
Malgré les efforts du «Journal des Nations», qui fait quotidiennement, et sur une grande page, beaucoup de tapage autour de cette affaire, il ne semble pas cependant que la prochaine session du Conseil sera remplie en quelque sorte par les jérémiades et les menaces à peine déguisées des amis d’a Prato. L’affaire du sandjak reste quand même au premier plan des préoccupations.
D’une manière générale, les commentaires et les avis qui sont échangés au sujet du cas a Prato - et cela m’était encore confirmé ce matin par Ganzoni - reposent sur une grossière équivoque créée par les amis d’a Prato. Prenant [pré]texte des élucubrations des Dell, Tabouis et Cie, nombre de journalistes «accrédités» à Genève s’imaginent que leur liberté d’écrire est menacée par le gouvernement suisse. Pour un peu, certains exaltés - voir la presse française de gauche - nous reprocheraient de museler la presse internationale. Le ridicule, quand la mauvaise foi s’en mêle, n’a plus de bornes.
Il semble que l’Association des journalistes accrédités a pris parti - qui s’en étonnerait? - pour a Prato. Elle aurait saisi le Président du Conseil d’une requête lui exposant les conditions dans lesquelles le «martyr» a Prato doit prendre le chemin d’un nouvel exil. D’un autre côté, M. a Prato aurait adressé au Secrétaire général une lettre pour lui demander d’obtenir en sa faveur, au cas où la mesure d’interdiction de séjour serait maintenue, l’autorisation de pouvoir assister, à l’avenir, aux sessions du Conseil et de l’Assemblée.
On ne sait pas encore la suite qui sera donnée à ces requêtes par le Président du Conseil et par le Secrétaire général. Il n’est guère douteux cependant que ceux-ci seront «travaillés» par certains journalistes soi-disant influents à Genève. A lire ce qu’écrit le «Manchester Guardian», on peut tenir pour certain qu’a Prato trouvera un défenseur aussi insidieux qu’acharné dans la personne du journaliste Dell. Il aurait tort de ne pas compter avec la même assurance sur l’appui de Mme Tabouis, qui est particulièrement venimeuse ces jours-ci. Les coups de griffe qu’elle nous décoche et les relations particulièrement confiantes qu’elle entretient avec tout ce qui est «frente popular» font apparaître aussi avec certitude qu’elle ne négligera rien pour essayer de nous créer des difficultés.
Quoi qu’il en soit, personne ne peut dire actuellement si l’affaire sera évoquée devant le Conseil à sa prochaine session. C’est M. Wellington Koo qui la présidera.
Je ne vois pas encore exactement comment cela pourrait se faire. Mais on peut d’ores et déjà envisager diverses possibilités. La plus simple, c’est qu’un membre du Conseil soumette la question à ses collègues. Il n’est pas absolument impossible que le représentant des Soviets, par exemple, se charge de cette mission. Il n’aurait pas besoin de prendre ouvertement fait et cause pour le journaliste a Prato. Il suffirait - et ce serait plus habile - qu’il commence par demander des informations sur le statut des journalistes dits «accrédités auprès de la Société des Nations». Ce serait une façon d’amorcer un débat ou tout au moins d’amener le Conseil à examiner la situation.
L’autre possibilité - et c’est peut-être la plus probable - qui peut se présenter dépendrait du Président du Conseil. Saisi d’une requête de l’Association des journalistes accrédités, il en donnerait connaissance au Conseil en séance privée. Le Conseil serait ainsi appelé à se prononcer sur la procédure à suivre. Ou bien il estimerait ne pas pouvoir retenir la requête, en arguant, par exemple, que le statut des journalistes à Genève est du ressort exclusif des Autorités suisses, ou bien il déciderait, sur la proposition d’une délégation, de s’occuper de l’affaire.
En ce cas, il serait tenu, aux termes de l’article 4, alinéa 5, du Pacte, d’inviter le gouvernement suisse à prendre part à ses délibérations.
Dans cette hypothèse, le Conseil fédéral pourrait ou accepter ou refuser de se faire représenter au Conseil. Il pourrait accepter pour des raisons de haute courtoisie. Mais il pourrait tout aussi bien décliner l’invitation en excipant du fait que cette affaire relève de la «compétence exclusive» des Autorités suisses et que le Conseil fédéral n’a pas de compte à rendre sur les mesures prises à l’égard d’étrangers indésirables sur notre territoire.
Sur cette réponse, le Conseil pourrait s’incliner et se dessaisir de l’affaire, mais il pourrait aussi insister pour qu’elle fût discutée avec ou sans la participation du gouvernement suisse. Cette dernière éventualité est bien improbable, mais, théoriquement, elle peut être envisagée.
Une troisième possibilité à laquelle on peut songer serait le renvoi immédiat de toute l’affaire à un comité de juristes. Le Conseil pourrait se montrer désireux de ne rien décider avant d’avoir pu se faire une opinion exacte sur le fond de la question. C’est de cet examen que dériverait sa compétence ou son incompétence. L’étude dont il s’agit pourrait demander quelque temps, et le Conseil ne reviendrait sur le statut des journalistes qu’à sa session de printemps.
Peut-être se contenterait-on, dans certains milieux de Genève plutôt hostiles à la mesure prise contre a Prato, d’obtenir pour ce dernier l’autorisation de venir en Suisse à chaque réunion du Conseil ou de l’Assemblée. C’est précisément la faveur que, sous réserve de ses recours, a Prato a sollicitée de M. Avenol. Il est possible que nous soyons saisis, sous une forme ou sous une autre, à la suite d’une discussion au Conseil ou en dehors de toute intervention de celui-ci, d’une demande à cet effet. Mais il ne s’agit que d’une hypothèse, et nous aurons toujours le temps, au cas où elle se vérifierait, de prendre une détermination. M. Avenol pourrait aussi se borner à nous transmettre la requête qu’il a reçue à ce sujet d’a Prato et nous prier de lui faire connaître ce que nous en pensons. En ce cas, nous aurions à examiner la réponse à faire parvenir à Genève.