Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
4. Conflit italo-éthiopien, sanctions; venue du Négus en Suisse; manifestation de journalistes italiens à la SdN; reconnaissance de l’Ethiopie italienne
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 11, doc. 145
volume linkBern 1989
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2001D#1000/1553#6166* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 299 | |
Titolo dossier | Neutralität der Schweiz (1928–1945) | |
Riferimento archivio | B.51.10 |
dodis.ch/46066
Réflexions sur l’influence des événements actuels sur la politique de neutralité suisse
Les Prémisses. – Le point de départ du présent exposé est l’éventualité où les événements prendraient la tournure la plus défavorable: départ de l’Italie de Genève; ouverture immédiate des hostilités en Ethiopie2; enfin – ce qui est heureusement encore douteux – déclenchement de sanctions, d’abord dans le domaine économique et financier contre l’Italie sous l’impulsion et l’égide de la Grande-Bretagne. De fortes présomptions laissent espérer, dans l’intérêt de la paix européenne, que cette dernière éventualité de l’emploi des sanctions ne se vérifiera que difficilement, la France ayant, actuellement encore, tout intérêt à lutter, pouce par pouce, contre tout excès de «doctrinarisme de la Ligue» dans un domaine où l’application rigide des principes du Pacte constituerait non seulement une surprise (d’après les précédents), mais deviendrait nettement dangereuse. Il ne faut, cependant, pas exclure l’hypothèse qu’en cumulant, de part et d’autre, les erreurs, les responsables finissent par créer une situation telle que, plus ou moins malgré elle, la France serait prise dans l’engrenage des sanctions, suivie et même encouragée par ses satellites qui feraient pendant aux puissances se rangeant autour de l’Angleterre.
Une autre prémisse de cette situation inquiétante est la démonstration – peutêtre encore à faire – que Y Angleterre compte persévérer jusqu’au bout dans son attitude actuelle. Cette hypothèse n’est pas à exclure. Une presqu’unanimité exceptionnelle s’est formée sur la base du maintien à outrance du «Covenant» dans l’affaire de l’Ethiopie. L’opinion publique n’est pas seulement celle des «pasteurs anglicans et des vieilles filles»*, et de la «League of Nations Union»; elle a entraîné une immense partie du pays qui est convaincu de servir un idéal; ce qui est décisif, ce mouvement coïncide avec les tendances du «Colonial Office» et de l’Amirauté qui paraissent supposer qu’un conflit dans la Méditerranée et autour de la route des Indes a aujourd’hui plus de chances de réussite pour l’Angleterre que dans une vingtaine d’années.
La France, dont l’opinion publique accuse une scission profonde et fait preuve d’un réel désarroi, a cru réaliser un coup de maître par les Accords de Rome de janvier 19353. Elle réalise peu à peu qu’elle a joué au plus fin, avec les résultats habituels d’une pareille manœuvre. En limitant ses concessions propres découlant des Accords de Londres de 19254 à des cessions territoriales restreintes, en éliminant à vues humaines le problème de la Tunisie, elle a contribué à indiquer à l’Italie le chemin de l’Ethiopie. (Le mot «pénétration italienne en Ethiopie» se trouve dans une des déclarations de M. Laval de janvier 1935). Le Quai d’Orsay a-t-il pesé, à l’époque, la résistance possible de la Grande-Bretagne à la création d’un glacis italien en Afrique orientale, renforcé par la création d’une armée coloniale italo-abyssine dont la valeur ne serait pas douteuse? Tout porte à croire que Paris, tout comme Rome, a pensé que Londres ne réagirait pas avec force, et du moins pas avec violence, contre cette menace virtuelle contre l’Egypte et la route anglaise des Indes.
Les développements possibles.
Supposons, toujours, – le devoir étant de tout prévoir – que l’allure des événements devienne aussi dangereuse que les prémisses esquissées ci-dessus. Admettons, outre quelques sanctions d’ordre politique plus ou moins bénignes, la mise en œuvre de sanctions économiques et financières, préconisées par la Grande-Bretagne sous le couvert de l’article XVI du Pacte5. Même en écartant l’hypothèse d’une action directe dans la zone du Canal de Suez, supposons l’exercice d’un «droit de visite» sur des bateaux ou convois italiens par la flotte anglaise; la réaction italienne pourrait être instantanée et déclencher, en fait ou en droit, un état de guerre entre l’Angleterre et l’Italie.
En théorie, une localisation relative de ce grave conflit serait encore possible. En fait, l’Angleterre ne manquerait pas de rappeler à tous les membres de la S.d.N. qu’elle a agi comme mandataire de la Société. Le fossé entre l’Italie et la France pourrait s’élargir, cette dernière, notamment sous l’influence d’événements de politique intérieure toujours possibles, ne pouvant peut-être pas se dérober, dès le début, à la participation à certaines sanctions, qui porteraient le germe de conflits possibles. D’autre part, une entente italo-allemande, toujours prévisible, diminuerait l’intérêt de, la France au maintien des rapports d’amitié avec l’Italie et pourrait pousser Paris davantage vers Londres. Au bout du développement – toujours dans l’hypothèse la plus pessimiste – qui peut se réaliser en cas d’attaque de l’Allemagne contre la Lithuanie et de nouvelles «sanctions» décidées à Genève, il y a la création d’un bloc italo-germano-polono-hongrois, étendant son influence sur l’Autriche et séparant, en Europe, les membres occidentaux des membres orientaux de la S.d.N.
Du point de vue de l’histoire de la Société des Nations, ce développement n’est pas nécessairement fatal pour l’idée d’une organisation internationale. Plusieurs Confédérations d’Etats ont survécu à des crises analogues; la Suisse elle-même a connu, avant le «Sonderbund», les scissions provoquées par les guerres de Villmergen.
Mais il ne faut pas se dissimuler que les dangers immédiats que notre pays risque de courir dans les éventualités qu’il faut prévoir sont tels que les conditions de notre participation à une Société des Nations réduite peuvent être soumises à un nouvel examen.
La Suisse et l’article XVI du Pacte.
Membre originaire de la Société des Nations, la Suisse s’est vu reconnaître, par la Résolution du Conseil de la Société prise à Londres le 13 février 19206, une situation spéciale fondée sur l’article 21 du Pacte7 et la dispensant d’une partie des obligations découlant de l’article 16.
Dans la situation toute nouvelle qui serait créée par le départ de l’Italie de Genève et l’application, au nom de la S.d.N., des mesures de coercition dirigées contre l’Italie, le cas échéant, contre d’autres de nos voisins encore, on peut se demander si la «situation spéciale» dont nous bénéficions ne devrait pas être élargie. Selon ma conviction, une demande tendant à ce but serait justifiée en fait et en droit.
1/. Il n’est malheureusement que trop aisé de prévoir qu’en cas de sanctions appliquées, sous le couvert de la Société des Nations, par la Grande-Bretagne, le cas échéant par la France et les pays se groupant autour de ces Puissances, la participation même atténuée de la Suisse à des «mesures économiques et financières» qui seraient prises sur deux ou trois de nos frontières créerait une situation en fait intenable. Certes notre parole – donnée cependant dans des circonstances bien différentes – ne saurait être reniée. Mais on peut admettre qu’une interdiction de transit à travers notre territoire par exemple puisse être interprétée même à tort comme un «acte d’hostilité». Serait-ce dans l’intérêt supérieur de la Société des Nations?
2/. La Résolution du Conseil du 13 février 1920 se fonde, comme les Actes de 1815, sur le principe que «la neutralité séculaire de la Suisse est dans l’intérêt supérieur de l’Europe». Pour que cet intérêt général, générateur de droit, puisse se manifester il est indispensable que notre neutralité soit reconnue et respectée comme telle, même par les Etats déclarés en rupture du Pacte. Dans toute interprétation raisonnable d’un texte relatif à une situation internationale, il est indispensable de tenir compte de la possibilité effective de maintenir cette situation.
3/. Cela est d’autant plus vrai qu’en droit la base première de notre neutralité dans le cadre de la S.d.N. se trouve dans l’article 21 du Pacte. La résolution du Conseil du 13 février 1920 constitue un minimum irréductible, mais pouvant fort bien être élargi par une interprétation équitable de l’article 21, à laquelle le Conseil procéderait dans une situation toute nouvelle.
4/. La preuve qu’une situation nouvelle existe serait facile et même évidente à fournir: Retrait de quatre grandes Puissances, de deux de nos voisins de Genève. De plus, la nouvelle loi de neutralité promulguée aux Etats-Unis justifie que compte soit tenu, en équité, des développements nouveaux du droit vivant de la neutralité.
Motifs pouvant être invoqués en faveur d’une résolution additionnelle au sujet de la neutralité suisse.
Plusieurs des raisons sur lesquelles pourrait s’étayer une demande de la Suisse tendant à suspendre, dans les circonstances actuelles, ou tout au moins à assouplir les obligations contractées par elle dans des conditions différentes, sont indiquées dans les lignes qui précèdent.
Il conviendrait de souligner, en outre, les motifs suivants:
1/. Argument tiré des conditions de notre accession à la S.d.N.: Ce n’est pas sans grande peine que le Conseil Fédéral a obtenu des Chambres, soucieuses de ne pas être entraînées dans une association pouvant avoir même l’apparence d’une alliance, la renonciation à la «clause» dite «d’Amérique»8. Quid de la situation actuelle risquant de faire de notre territoire l’avant-poste d’une Ligue très peu universelle?
2/. Argument d’ordre général: Les Résolutions de l’Assemblée du 4 octobre 19219 sur l’interprétation de l’article 16 du Pacte ont précisé que «les relations humanitaires subsistent». Cette Résolution, postérieure à la Déclaration de Londres, indique que le pays de la Croix-Rouge, perpétuellement neutre, doit avoir la possibilité universellement reconnue, de remplir sa mission humanitaire.
3/. Argument politique d’un caractère délicat, mais dont l’expression pourrait avoir la valeur d’un geste libérateur répondant à la conscience d’une grande partie du monde:
L’Assemblée a vu défiler les Etats affirmant le respect absolu, rigide et universel du Pacte. La Suisse réprouve plus que n’importe qui des atteintes à la lettre et à l’esprit du «Covenant». Hélas! l’unanimité actuelle est tardive et discriminatoire (Mandchourie10, Chaco11, guerre gréco-turque – dont personne ne parle plus – encouragée par M. Lloyd George). La Société des Nations se doit d’être juste non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. Le soupçon ne doit même pas l’effleurer que la quasi-unanimité d’aujourd’hui n’est que la consécration des intérêts coloniaux d’une Puissance. Car une Société des Nations asservie à des intérêts particuliers et ne revenant à la lettre du «Covenant» qu’en raison de ces intérêts pécherait tout autant contre l’esprit de Genève qu’un Etat bravant ouvertement le Pacte.
Conséquences d’une initiative de ce genre.
1/. La résolution du 13 février 1920 étant en tout état de cause acquise, notre politique de neutralité ne saurait être que fortifiée. Même si le Conseil et l’Assemblée refusaient de nous suivre, nous aurions plus d’indépendance pour discuter notre participation ou non-participation aux sanctions. Au point de vue tactique, cette initiative nous dispenserait d’être, plus tard, sur la défensive vis-à-vis du Conseil. Les Etats retirés de Genève ne pourraient que respecter l’affirmation de notre volonté de demeurer absolument neutres. Dans la pire des éventualités, nous pourrions nous accommoder d’un régime semblable à celui de la S.S.S.12 pendant la guerre.
2/. Une initiative de ce genre pourrait évidemment provoquer une certaine mauvaise humeur et une campagne contre nous. On pourrait nous menacer du retrait du siège de la S.d.N. – installé à Genève par la volonté des Etats-Unis en 191913, maintenu à Genève en 1920 grâce à l’Italie14. Par rapport à la neutralité, la question du siège, de l’avis même de nos négociateurs de 1920, est secondaire; de toute manière, nous devrions nous prémunir contre des délibérations d’un «étatmajor international» siégeant sur notre territoire.
- 1
- E 2001 (D) 3/299.↩
- 2
- Cf. no 125. * En août 1914, M. Jules Cambon, Ambassadeur de France, demanda à Sir Harold Nicholson, sous-secrétaire permanent au Foreign Office, pourquoi la Grande-Bretagne n’avait pas fait connaître plus tôt son veto absolu à la violation de la neutralité belge, attitude qui aurait empêché ou retardé la grande guerre. Réponse: «Je pense comme vous, mais rien ne se fait ici sans les vieilles filles et les pasteurs anglicans qui doivent se faire leur opinion».↩
- 3
- Cf. no 90.↩
- 4
- Il doit s’agir en réalité du traité secret signé à Londres le 26 avril 1915 entre l’Italie, la France, la Grande-Bretagne et la Russie, qui décida de l’entrée en guerre de l’Italie à côté des Alliés. L’article 13 du traité promettait à l’Italie des compensations équitables, dans le cas où la France et la Grande-Bretagne augmenteraient leurs domaines coloniaux d’Afrique aux dépens de l’Allemagne.↩
- 5
- 1. Si un Membre de la Société recourt à la guerre, contrairement aux engagements pris aux articles 12, 13 ou 15, il est ipso facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les autres Membres de la Société. Ceux-ci s’engagent à rompre immédiatement avec lui toutes relations commerciales ou financières, à interdire tous rapports entre leurs nationaux et ceux de l’État en rupture de pacte et à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles entre les nationaux de cet État et ceux de tout autre État, membre ou non de la Société. 2. En ce cas, le Conseil a le devoir de recommander aux divers Gouvernements intéressés les effectifs militaires, navals ou aériens par lesquels les Membres de la Société contribueront respectivement aux forces armées destinées à faire respecter les engagements de la Société. 3. Les Membres de la Société conviennent, en outre, de se prêter l’un à l’autre un mutuel appui dans l’application des mesures économiques et financières à prendre en vertu du présent article pour réduire au minimum les pertes et les inconvénients qui peuvent en résulter. Ils se prêtent également un mutuel appui pour résister à toute mesure spéciale dirigée contre l’un d’eux par l’État en rupture de pacte. Ils prennent les dispositions nécessaires pour faciliter le passage à travers leur territoire des forces de tout Membre de la Société qui participe à une action commune pour faire respecter les engagements de la Société. 4. Peut être exclu de la Société tout Membre qui s’est rendu coupable de la violation d’un des engagements résultant du Pacte. L’exclusion est prononcée par le vote de tous les autres Membres de la Société représentés au Conseil.↩
- 7
- Les engagements internationaux, tels que les traités d’arbitrage, et les ententes régionales, comme la doctrine de Monroe, qui assurent le maintien de la paix, ne sont considérés comme incompatibles avec aucune des dispositions du présent Pacte.↩
- 8
- Le 21 novembre 1919, les Chambres avaient adopté un premier arrêté concernant l’accession de la Suisse à la SdN, qui contenait la « clause américaine ». Selon le chiffre II de cet arrêté, lepeuple et les cantons étaient tenus de se prononcer sur l’entrée de la Suisse dans la SdN aussitôt que les cinq grandes Puissances, dont les Etats-Unis d’Amérique, auraient adhéré au Pacte de la SdN. Le Conseil fédéral, ayant constaté ensuite que l’espoir de voir les Etats-Unis adhérer à la SdN s’était évanoui, parvint à faire accepter des Chambres, le 5 mars 1920, un nouvel arrêté d’où la «clause américaine» était absente: le chiffre II ne contenait plus que la disposition relative au votedupeuple et des cantons, sans mention des cinq grandes Puissances. Cf. RO, 1920, vol. 36, pp. 665– 666.↩
- 9
- Publiées en note au Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant les amendements au Pacte de la Société des Nations, du 4 janvier 1922 (FF, 1922,1, pp. 49ss.). Cf. aussi no 152, n. 10.↩
- 10
- Cf. DDS vol. 10, no 278, dodis.ch/45820.↩
- 12
- Sur la Société Suisse de Surveillance économique, constituée le 27 octobre 1915, cf. DDS vol. 6, rubrique II: Les négociations économiques et financières avec les Alliés (les annexes au no 151 reproduisent les statuts et le règlement intérieur de la SSS), etvol. 7-1, rubrique VI: Les négociations économiques et financières avec les Alliés (surtout no 21, n. 2).↩
- 13
- Cf. DDS vol. 7-1, surtout nos 302 (dodis.ch/44047), 323 (dodis.ch/44068) et 332 (dodis.ch/44077).↩
- 14
- Cf. DDS vol. 7-II, surtout nos 326 (dodis.ch/44537), 333 (dodis.ch/44544), 358 (dodis.ch/44569) (annexe 2) et 375 (dodis.ch/44586).↩