Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
6. Chine
6.1. Exportations d’armes
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 26
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1535#1466* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1535 160 | |
Dossier title | Règlementation en Belgique et en France du trafic des armes et munitions (1933–1937) | |
File reference archive | B.56.13.7.1.c |
dodis.ch/45947
J’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre du 1er février dernier2, concernant la «petite question» qu’un parlementaire français a posée au Ministère des Affaires étrangères au sujet des exportations françaises d’armes en Extrême-Orient. J’ai pris connaissance avec intérêt des rumeurs de guerre prochaine en Orient dont notre Ministre à Paris s’est fait l’écho3. On ne partage guère, ici, cet alarmisme et la guerre russo-japonaise annoncée paraît d’autant moins imminente aujourd’hui que les négociations pour le rachat du Sud-Mandchourien semblent en meilleure voie. Ce qui, par contre, est certain, c’est qu’il se fait en Chine un trafic d’armes intensif et je suis en mesure d’affirmer que, nonobstant l’application des lois citées par le Ministre Paul-Boncour, l’industrie française y participe au premier chef pour des sommes considérables, et ceci à la connaissance pour ne pas dire avec la connivence du Gouvernement. Je suis ici très catégorique parce que l’enquête pénale que j’ai dû ouvrir4, ensuite d’une plainte en abus de confiance, contre notre compatriote Emile Ott, trafiquant d’armes en grand à Canton, où il travaille en commission pour le «Groupe Chine», soit le consortium des principales fabriques françaises (Schneider, Hotchkiss, Brandt, Citroën, Renault), m’a mis en possession de faits et de chiffres précis. Je ne crois pouvoir mieux faire, pour éclairer votre religion, que d’annexer au présent rapport copie du procès-verbal d’interrogatoire5 du trafiquant français G. Marchand, agent principal du «Groupe Chine» et employeur de Ott. Je me réfère, pour le détail, à l’annexe. J’ajoute que, pour une période de moins d’un an (1931/1932), antérieure à son engagement par le «Groupe Chine», et alors qu’il agissait pour des fabriques d’armes belges, Ott a présenté des comptes accusant déjà un chiffre d’affaires de plus de six cent mille dollars-or; encore travaillait-il en compte à demi avec un autre Suisse, M. Henri Krebs, de la maison Augsbourg & Co à Bâle. Après son engagement par le consortium français, ce chiffre est allé en s’accentuant, puisque vous constaterez que rien qu’au début de 1932, trois contrats, marquant la reprise des affaires, se chiffrent par plus de 700 000 (sept cent mille) dollars-or. Vous noterez qu’à cette époque le Gouvernement français ajournait ses autorisations, mais que Marchand les obtint télégraphiquement le 12 mars 1932. Depuis lors, s’il faut en croire Me Julien Barraud, le défendeur de Ott lui-même, qui n’a aucun motif d’exagérer, bien au contraire, les affaires se seraient développées rapidement et son client aurait fait récemment des profits énormes; en 24 heures, il a pu fournir la garantie de cent mille dollars que j’avais mise comme condition à sa libération provisoire, et il vient de consigner vingt mille taels qu’il doit au plaignant; fortune faite en quelques mois par sa part des commissions sur les livraisons d’armes françaises. Contrairement à ce qu’on paraît s’imaginer dans certains milieux en Europe, ces achats d’armes ne visent nullement à la défense nationale, mais sont destinés à la guerre civile (Szechuan, Fukien, Kiangsi), à l’équipement de Canton contre Nankin6 ou de Nankin contre Canton, de tel gouverneur contre tel autre, voire même, après contours (retraites simulées pour abandonner le matériel, etc), aux troupes rouges du Kiangsi7. J’aurais le plus vif désir de suivre de plus près ces questions, qui ne manquent pas, certes, de «couleur locale», et de vous rapporter à leur sujet autrement que par quelques lignes, mais je suis, depuis des mois, absorbé par la besogne judiciaire que le départ prématuré de M. Daeniker, juriste qualifié et ancien greffier, a rendue pour moi particulièrement lourde.
Il est à peine besoin de vous recommander de traiter le procès-verbal judiciaire ci-joint comme strictement confidentiel. Il est évident que si les agents français que j’interroge à l’instruction venaient à penser que mes fonctions déjugé pourraient être employées à des fins autrement que judiciaires, je n’en tirerais plus rien. L’affaire Ott tourmente beaucoup, d’ailleurs, la Légation de France et les Consulats de Shanghai et Canton en raison précisément de ses rapports avec le trafic d’armes. C’est au point que M. Spalinger, notre Consul à Canton, m’a supplié (ceci encore confidentiel) de ne pas l’employer pour l’enquête, afin de ne pas le mettre mal, en cas de condamnation, avec le Consulat de France dont il a besoin pour son commerce. De fait, je n’ai pu obtenir de M. Spalinger, malgré des instructions détaillées et précises, qu’une aide insignifiante et ai dû reprendre, à Shanghai, l’enquête ab ovo, malgré la distance. J’ignore encore si M. Ott, qui est accusé par un associé grec, secondé par un avocat français très remuant (Me d’Auxion de Ruffé), de détournement des profits faits, parviendra à se justifier ou si je serai obligé d’ordonner le renvoi devant la Cour; j’attends de Ott diverses explications écrites.
En terminant, je crois bien faire de vous signaler qu’au cours d’une visite récente qu’il me fit pour une autre affaire, M. Yui Ming, chef du Bureau à Shanghai du Ministère des Affaires étrangères, me dit que la répression de la révolte du Fukien était due pour une bonne part à l’emploi des canons que l’industrie suisse venait de livrer à Nankin. Il paraît s’agir d’une commande de cent canons de montagne fabriqués par la Société Anonyme d’Armes de guerre de Soleure. Le succès était dû, d’après Yui Ming, au fait que les pièces, étant montées sur bât, avaient pu se passer de routes et agir par surprise là où on ne les aurait jamais attendues.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 5/160.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 4
- En tant que juge consulaire, membre du Tribunal consulaire suisse en Chine; en vertu de la déclaration annexée au traité d’amitié conclu en 1918 entre la Suisse et la République chinoise, les ressortissants suisses en Chine sont soumis à la juridiction civile et pénale du consul général de Suisse à Shanghai. Cf. les Instructions provisoires concernant la juridiction consulaire en Chine arrêtées par le Conseil fédéral les 3 avril 1922 et 18 août 1923 (FF, 1923, II, pp. 788ss.).↩
- 5
- Non reproduit.↩
- 6
- La sécession de Canton et de la province du Kouang Toung par rapport à Nankin et au régime du généralissime Chiang Kai-shek, date de mai 1931; à cette époque, un gouvernement national a été constitué dans la grande ville du Sud de la Chine, dont l’homme fort est le général Chen Chitang(cf E 2200 Shanghai 1/113).↩
- 7
- Une République soviétique chinoise a été proclamée dans cette province en novembre 1931. Cf. DDS vol.10, no 219, dodis.ch/45761.↩
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