Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
11. France
11.4. Questions politiques générales
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 191
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#771* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 343 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 85 (1932–1932) |
dodis.ch/45733
Le Cabinet de Berlin a bien choisi son heure pour remettre à l’Ambassadeur de France le fameux mémorandum sur l’«égalité des droits» en matière d’armements2. Ces généraux et ces barons qui, chez eux, traitent le Parlement avec une rare désinvolture n’oublient pas que, chez leurs voisins de l’Ouest, le monde parlementaire, si décrié soit-il, reste un des moteurs de l’opinion publique. Tout en poursuivant avec une régularité sans défaillance la réalisation de leur programme, qui consiste à effacer les dernières traces de la défaite, les dirigeants actuels de l’Allemagne, chaque fois qu’ils ont à entreprendre une démarche nouvelle, en calculent soigneusement les risques, sans négliger de s’assurer les circonstances les plus favorables de temps et de lieu. A une autre époque de l’année, le document remis à M. François-Poncet3, ainsi que les diverses manifestations auxquelles s’est livré le général von Schleicher4 eussent amené en France des réactions beaucoup plus vives. On le savait sans doute à Berlin et on a mis à profit le fait que les vacances d’été dispersent non seulement le personnel politique, mais tous les groupes dont se compose la société française.
Certes, la demande allemande n’a pas dû surprendre le gouvernement français. Il est probable que M. Herriot5, avant même de connaître les termes exacts du mémorandum, en a discuté le contenu, à Jersey et à Guernesey6, avec ses interlocuteurs britanniques. Un récent discours de M. Paganon, sous-secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, laisse entendre que, sur la réponse à faire aux revendications du Reich, l’Angleterre et les Etats-Unis d’Amérique seraient en parfaite communauté de vues avec la France. Mais la plupart des journaux britanniques et américains font résonner un tout autre son de cloche. D’ailleurs, il paraît probable que, si M. Herriot, pendant son pèlerinage littéraire aux lieux où «Napoléon le Petit» exila Victor Hugo, avait obtenu de ses amis anglais la promesse d’un concours effectif, il n’eût pas manqué d’en faire état pour rassurer une opinion inquiète. Or, le Président du Conseil observe un silence prudent.
Si, pour les raisons que je vous indiquais au début de ce rapport, les répercussions de la démarche allemande sur l’esprit public ont été, en France, moins vives et moins rapides que l’on ne pouvait s’y attendre, on constate, néanmoins, depuis quelques jours, une anxiété grandissante. Ce qui alarme les Français, il semble que ce soit surtout la passivité de leur Gouvernement. On s’étonne de n’entendre aucune riposte aux éclats de voix du général von Schleicher. On adjure M. Herriot d’ouvrir enfin ce fameux dossier des manquements de l’Allemagne aux clauses militaires du traité de Versailles, que M. Tardieu7 avait emporté à Genève lorsque s’ouvrit la Conférence du désarmement et dont il n’eut pas l’occasion de faire usage. On voudrait que, pièces en mains, la France répondît à l’Allemagne: «Votre demande n’est pas recevable puisque vous n’observez pas l’ensemble des dispositions d’un instrument diplomatique dont vous invoquez contre nous un article soigneusement isolé de son contexte.»
D’aucuns s’ingénient à rassurer l’opinion française en adoptant une version qui paraît être assez répandue dans les milieux touchant à la Société des Nations: à savoir que le Reich, même s’il avait l’intention de restaurer sa puissance militaire au niveau de 1914 (par rapport, bien entendu, au «potentiel de guerre» des autres grands pays), serait dans l’impossibilité de le faire. Ils ajoutent que, d’ailleurs, tel n’est pas son propos. Ils affectent de considérer toutes les «Kraftproben» auxquelles se livrent les Allemands (qu’il s’agisse du Gouvernement, de Hitler8 ou du («Stahlhelm»9) comme des manœuvres destinées à masquer, tant aux yeux de la nation qu’à ceux de l’étranger, un profond désarroi, une totale impuissance à sortir du chaos.
Où est la vérité? Quand serons-nous en face d’une situation claire? Pour l’Allemagne, il paraît bien difficile de le dire. Pour la France, la réunion extraordinaire des Chambres, convoquées pour le 16 de ce mois en vue de voter la conversion des rentes, donnera peut-être au Gouvernement l’occasion de faire connaître la politique qu’il entend suivre.
On sait déjà que M. Herriot a consulté, sur l’aide-mémoire allemand, les Etats signataires de l’«accord de confiance» de Lausanne10. Ce geste lui a été vivement reproché des deux côtés du Rhin. Les Allemands font valoir que, s’ils ont demandé au Cabinet de Paris un «entretien confidentiel» sur un problème considéré par eux comme franco-allemand, ce n’était pas pour que les Français se hâtassent de mettre des tiers dans la confidence. Une grande partie des journaux parisiens estime, de son côté, qu’il est dangereux de solliciter, dans une affaire aussi grave, l’avis de gens qui ne sont pas des amis sûrs. «Que ferez-vous, disentils à M. Herriot, si vos interlocuteurs vous répondent que Berlin a raison, ou même seulement qu’ils ne veulent pas intervenir dans le débat? Il aurait mieux valu répondre immédiatement par une fin de non-recevoir absolue, qu’il n’était pas difficile de justifier par des arguments sans réplique.»
Aux uns comme aux autres, le Président du Conseil pourrait objecter que l’«accord de confiance» a précisément pour objet d’écarter la méthode des conversations particulières dans tous les domaines où se trouve engagé l’intérêt général des contractants et que, du reste, le problème du désarmement étant posé, une Conférence mondiale étant chargée de le résoudre, ni la France ni l’Allemagne n’ont le droit de le soustraire à ceux qui ont reçu mandat d’en rechercher la solution. f.J
- 1
- E 2300 Paris, Archiv-Nr. 85.↩
- 2
- Le 29 août 1932.↩
- 4
- Ministre de la Reichswehr.↩
- 5
- Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères.↩
- 6
- A la fin du mois d’août, le Président du Conseil a effectué une brève croisière de détente à l’invitation du Ministre britannique de l’Intérieur.↩
- 7
- Président du Conseil et Ministre des Affaires étrangères en février 1932.↩
- 8
- Chef du Parti national-socialiste.↩
- 9
- Organisation d’anciens combattants, de tendance nationaliste.↩