Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
15. Italie
15.6. Questions politiques générales
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 167
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#908* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 397 | |
Dossier title | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 32 (1932–1932) |
dodis.ch/45709
En me référant à votre lettre personnelle du 23 avril2, j’ai l’honneur de vous faire savoir que j’ai été reçu hier, lundi de Pentecôte, par le Chef du Gouvernement. Je ne lui avais pas demandé d’audience particulière après l’affaire Bassanesi en juillet 19303. Depuis qu’il n’est plus Ministre des Affaires Etrangères4, ce n’est pas facile pour les représentants étrangers de l’aborder. On doit adresser la demande d’audience au Palais Chigi, qui fait attendre la réponse parfois assez longtemps.
Cette fois j’ai été reçu sans retard. J’ai retrouvé le grand homme aussi accueillant, compréhensif, attentif et intéressant. Mais quant au résultat de ma visite, j’ai obtenu des promesses d’examen bienveillant; rien de très positif. Attendons. Dans la question délicate dont il s’agit, l’expérience nous a appris à ne jamais nous réjouir trop tôt.
J’ai commencé par lui faire part de vos remerciements au sujet de l’accueil que vous avez rencontré en Italie et aussi pour son message personnel à l’occasion de votre jubilé5. Il m’a demandé pourquoi je disais «Présidente délia Confederazione» et non pas «Repubblica». Je lui en ai donné les raisons constitutionnelles et historiques. Après quoi nous avons parlé des travaux considérables d’assainissement des Marais Pontins et dans les environs de Rome, que je voudrais bien montrer un jour à un membre de mon gouvernement. Il m’a fourni des détails sur ces travaux et m’a dit que dans les Marais Pontins un nouveau village allait se constituer qui s’appellerait Littoria, du nom du faisceau des licteurs.
J’ai abordé ensuite la question de Y «Adula»6. J’ai rappelé au Duce que je l’en avais entretenu autrefois, et que nous continuons à souhaiter que tout appui, même indirect, de l’Italie soit supprimé à ce journal, qui prétend défendre l’«italianità» en Suisse en ne cessant, depuis sa fondation, de vilipender notre pays, ses traditions, son histoire et tout ce qui nous est cher. L’«italianità», ai-je dit, n’a pas besoin d’être défendue en Suisse, et ce journal ne peut que faire du tort à l’Italie en entretenant contre elle dans toute la Confédération certains soupçons. J’ai rappelé qu’il paraissait déjà en Italie deux revues publiées par le député Solmi, Y«Archivio Storico della Svizzera italiana» et la «Raetia»7, cette dernière affirmant dans chacun de ses numéros que le romanche est un dialecte italien. C’est déjà trop. Les subsides italiens à Y «Adula» sont en contradiction avec l’attitude correcte du Gouvernement Royal et avec le discours prononcé à Lugano par M. Marchi8. Je n’ai pas manqué de dire que je parlais en votre nom.
Le Duce a paru approuver mon raisonnement, mais il n’a voulu me faire aucune promesse. Il ne voit plus Y «Adula» depuis longtemps; il se réserve de l’examiner. Il m’a interrogé sur la germanisation du Tessin9, thème sur lequel il revient chaque fois. Je lui ai dit qu’il y avait plus d’Allemands sur le lac de Garde que sur celui de Lugano. Nous avons parlé de Ludwig, qui écrit à Ascona un livre sur Mussolini10. Il juge cet écrivain juif, auquel il vient d’accorder onze entrevues, un peu superficiel, mais honnête homme. (Au sujet du Tessin, les paroles, pour le moins imprudentes, prononcées à Paris par un Conseiller de Légation tessinois et reproduites par la presse, ne peuvent qu’entretenir en Italie certaines idées fausses sur les rapports du Tessin et des autres Cantons confédérés11.)J’ai entretenu ensuite le Duce d’une question qui nous préoccupe depuis quelque temps: le licenciement d’employés suisses pour des motifs d’ordre politique12. A plusieurs reprises, des Suisses, dont on voulait se débarrasser, ou qui s’étaient créé des inimitiés, ont été dénoncés comme antifascistes. Dernièrement, le directeur d’une importante maison, après vingt années de service, s’est vu mis à la porte sur l’ordre de la Questure, à la suite de dénonciations calomnieuses d’un jeune employé qu’il avait dû congédier et qui avait dénoncé au syndicat notre compatriote comme hostile au régime, ce qui est absolument faux. Si je vous parle de cette affaire et si j’ai cru devoir en saisir le chef du Gouvernement, c’est qu’elle émeut à cette heure très vivement notre Colonie de Milan, et que nous devons tout mettre en œuvre pour nous opposer à une action aussi scandaleusement injuste. Mon interlocuteur m’a promis d’en conférer le lendemain avec le chef de la police, que j’avais, du reste, déjà vu à ce propos. Il y a de ténébreuses machinations que nous ne parvenons pas toujours à démêler.
Nous avons touché ensuite le sujet de la crise économique. Quand je lui ai dit que nous la ressentions en Suisse également et de façon très sensible, il a haussé les épaules: «Vous n’avez pas de crise en Suisse!» Je lui ai fourni des chiffres pour lui démontrer le contraire, et à ce propos je lui ai rappelé que nous étions un des plus gros acheteurs de produits italiens. Je lui ai parlé de nos difficultés dans l’exportation de nos produits industriels. Il s’est alors levé et m’a tenu des propos dont l’importance, venant de lui, ne vous échappera pas.
«Il faut, m’a-t-il dit, que les quatre grandes puissances européennes, France, Allemagne, Angleterre et Italie, remettent de l’ordre en Europe, autrement nous allons au devant d’une crise sociale des plus graves, à la bolchévisation de l’Europe. La propagande bolchéviste pénètre partout, sous toutes les formes. Notre classe bourgeoise en est elle-même toute pénétrée. Dans toute l’Europe, sans en exclure l’Italie, la classe ouvrière est convaincue du succès du régime bolchévique. Or, c’est faux; ce régime est à l’agonie. (Le Duce m’a cité à ce propos une série de faits.) Mais cette agonie peut durer encore longtemps et, en attendant, le mal se répand partout.»
Je n’ai pas jugé devoir lui dire que l’attitude des grandes puissances avait contribué à créer le danger qui les effraie à cette heure, et j’ai pris congé, en retraversant l’enfilade de salons admirablement décorés et dans lesquels attendaient un grand nombre de visiteurs.
P. S. Le 11 mai, à l’occasion de l’échange des ratifications du protocole additionnel à notre traité de commerce 13,j’ai demandé à M. Grandi un bref entretien et lui ai posé la question de 1’«Adula». Le Ministre a abondé dans le sens de nos idées, mais n’a rien voulu me promettre de positif. J’ai cru comprendre que le Ministère des Affaires Etrangères devait être étranger à ce subside, et que le ministre ne voulait pas préjuger une décision de l’Intérieur.
Il m’a dit encore qu’il avait donné des ordres pour empêcher à la fin de 1931 la publication du fameux «Almanacco della Svizzera italiana», mais qu’aucune des imprimeries interrogées à ce propos à Milan, Varèse et environs n’avait entendu parler de cette publication!
En parlant de la situation européenne et du rôle de la Suisse, il m’a dit: «Je voudrais que la Suisse s’étendît de Sousak (frontière yougoslave) à la Méditerranée», c’est à dire sur toute la frontière terrestre de l’Italie.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Rom, Archiv-Nr. 32.↩
- 2
- Non retrouvé.↩
- 3
- Cf. no 30.↩
- 4
- Cf. no 30, n.6.↩
- 5
- En décembre 1931, Motta a fêté le vingtième anniversaire de son élection au Conseil fédéral, sa quatrième réélection à la présidence de la Confédération et son soixantième anniversaire. Au printemps 1932, Motta a accompli un voyage en Sicile à titre privé.↩
- 6
- Cf. ifs 55,123,129,145 et 154.↩
- 7
- Cf no 123, n.6.↩
- 8
- Cf no 55, n. 7.↩
- 9
- Cf. DDS vol.9, nos 197, dodis.ch/45214, 200, dodis.ch/45217, 207, dodis.ch/45224 et 208, dodis.ch/45225.↩
- 10
- Gespräche mit Mussolini, qui paraît la même année à Paris(Entretiens avec Mussolini), et à Milan(Colloqui con Mussolini).↩
- 11
- Remarque marginale de Motta: Cette appréciation me paraît un peu exagérée. Cf. Journal de Genève (13 mai 1932): au déjeuner suisse de mercredi 11 novembre, M.G.Bal-11. Conseiller de légation, ... a fait l’historique du Tessin, que la Suisse a découvert après la dernière guerre et dans lequel, avec une réelle générosité, notre compatriote a mis en évidence les caractéristiques spécifiquement suisses, qui font aujourd’hui l’objet des soins tardifs et touchants de la Confédération.[...] ↩
- 12
- Sur cette question, cf. E 2001 (C) 3/59 et E 2001 (C) 4/59.↩
- 13
- Protocole conclu le 8 juillet et approuvé par le Conseil fédéral le 13 juillet 1931. Cf. no 89.↩
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