Également: Compte rendu de la conversation entre Lloyd George et Motta. La détermination du Premier Ministre britannique à trouver un arrangement avec les Russes. Appréciation du rôle des neutres. Annexe de 27.4.1922
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 8, doc. 184
volume linkBern 1988
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2001B#1000/1503#2799* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2001(B)1000/1503 67 | |
Titolo dossier | Finanzkonferenz in Genua, III (1922–1922) | |
Riferimento archivio | C.21.6 |
dodis.ch/44826
Je regrette infiniment que mes deux premiers rapports2 ne vous soient parvenus qu’avec plusieurs jours de retard. J’espère que mon troisième rapport3 vous soit arrivé régulièrement. Je ne sais m’expliquer la cause de ces fâcheux retards qui sont de nature à diminuer la valeur, déjà très relative, des rapports que je vous envoie.
Vous savez que je n’ai jamais été de ceux qui attachent une importance exagérée aux rapports diplomatiques de nos ministres. La presse, avec sa diffusion et sa rapidité d’information, renseigne presque toujours plus largement et parfois mieux que les informateurs officiels. Je constate maintenant, par voie d’expérience personnelle, combien il est difficile de rédiger des rapports qui vous apportent vraiment des nouvelles intéressantes qui ne se trouvent pas déjà dans les journaux.
Je vous prie de croire que nous nous préoccupons très vivement, aussi bien M. Schulthess que moi, de maintenir tout le contact possible avec nos autres collègues, mais que la tâche n’est pas toujours aisée.
Nous ne vous avons jamais demandé des instructions particulières, outre celles d’ordre général que nous possédons déjà4, parce que le besoin ne s’en était pas fait sentir.
Nous cherchons à informer les journalistes suisses qui se trouvent à Gênes, mais étant donné le nombre restreint des personnes composant notre délégation et étant donné aussi que nous sommes toujours absorbés, en course ou assiégés par d’autres visiteurs, il nous est difficile et même impossible de suivre l’exemple des grandes délégations qui, elles, ont organisé de toutes pièces des services de presse très étendus.
Nous avons l’intention d’inviter demain soir ou samedi les resprésentants de la presse suisse à un modeste dîner pour leur montrer combien nous tenons à demeurer en bons rapports avec eux et pour empêcher aussi que des journalistes suisses se laissent aller aux polémiques qui sont l’aliment de notre politique intérieure. Les délégués suisses à l’étranger sont, aussi longtemps qu’ils se trouvent en mission officielle, sur terre étrangère, des personnes soustraites aux critiques et aux attaques des partis.
J’ai vu, en lisant le «Journal de Genève», que son rédacteur de Berne émet des doutes sur l’unité de vues et de conduite des délégués et des personnes qui leur sont attachées. Je tiens à vous donner l’assurance qu’il n’en est rien. La délégation tient régulièrement, tous les jours, sa séance à 9 heures. Toutes les affaires y sont discutées, les attitudes à prendre y sont fixées et le meilleur accord n’a cessé de régner parmi nous.
Une réunion internationale, comme celle dont il s’agit, – 34 nations, des langues et des races différentes, des mentalités opposées, des intérêts de toute nature qui se trouvent en conflit – travaille très lentement et avec des méthodes très différentes de celles auxquelles nous sommes habitués chez nous. La lenteur des travaux et les résultats parfois très disproportionnés aux efforts qu’il coûtent créent, tout naturellement, l’impression du vide, de l’incohérence et de la confusion.
Je suis frappé de la différence très sensible qui sépare, par exemple, cette Conférence de Gênes des Assemblées de la Société des Nations. Les Assemblées de Genève se rapprochent quelque peu des assemblées parlementaires; les discussions plénières fournissent des occasions parfois utiles à des proclamations de principe; la liberté des allures y est, en somme, assez grande.
Ici, rien de tout cela. Rien qui puisse rappeler des discussions parlementaires; pas d’occasions ou très peu qui favorisent des interventions générales. Il faut mesurer chaque geste, surveiller chaque mot, être infiniment circonspect même dans les nuances de l’expression.
Je crois, donc, que le Conseil fédéral et surtout l’opinion publique de la Suisse ne doivent pas s’attendre à des interventions retentissantes de notre part. La modestie est ici un grand devoir.
Je suis toujours plus convaincu que la réunion des neutres à Berne5 a été une pensée très heureuse. Sans la réunion de Berne, nous n’aurions été que de la poussière politique. Même M.van Karnebeek a dû s’en apercevoir. Si nous l’avions écouté, nous aurions commis, sans doute, une faute très grave.
C’est M. van Karnebeek lui-même qui, avant-hier, nous a téléphoné pour nous prier de nous rendre le jour suivant à Pegli afin de discuter, avec sa délégation et les délégations scandinaves, de la question russe. Nous nous sommes rendus, sans autre, à l’invitation. La délégation espagnole y était aussi. On avait, en effet, répandu de tous les côtés le bruit que les Puissances invitantes allaient proposer de lancer un ultimatum aux délégués russes. Cet ultimatum aurait dû résoudre, d’un coup, la situation. Ou bien les Russes auraient-ils accepté les conditions qu’on leur posait et un des grands buts de la Conférence aurait été rapidement atteint ou bien les Russes auraient-ils résisté et alors on aurait constaté que toute tentative d’arriver à un arrangement avec eux était vaine.
L’idée de Y ultimatum était née du fait que, dans les discussions entre les experts, les Russes avaient refusé aussi bien de reconnaître la propriété des biens des étrangers que de payer des indemnités.
Cela avait amené la délégation à vous télégraphier en chiffre que la question russe était entrée dans une période aiguë.
Les neutres réunis à Pegli décidèrent de demander une audience à M. Schanzer pour avoir des informations précises et sûres. L’audience eut lieu hier à 4 heures de l’après-midi. M. Schanzer nous déclara que les délégations anglaise et italienne étaient d’avis qu’il fallait éviter une rupture dangereuse avant d’avoir épuisé tous les moyens de la persuasion. L’idée d’un ultimatum, comme moyen de discussion, devait donc être abandonnée. M. Schanzer estimait, en outre, qu’il était possible d’arriver à un accord si toutes les parties y mettaient la bonne volonté nécessaire. Il insista pour dire que les Russes avaient besoin d’argent et qu’il leur était impossible de rentrer dans leur pays s’il ne pouvaient que lui apporter la reconnaissance des dettes et l’obligation de restituer les biens nationalisés. Il ajoute, cependant, que l’aide à donner aux Russes ne pouvait consister en crédits donnés ou garantis par les Etats.
Tous les neutres avaient été d’opinion que la procédure forte n’aurait donné aucun résultat satisfaisant, qu’il fallait que Gênes jetât, au moins, les bases générales d’un accord avec les Russes et que, par conséquent, il était du devoir de tous les amis sincères de la Conférence d’éviter la rupture des négociations. Les neutres purent donc déclarer à M. Schanzer qu’ils partageaient, dans les grandes lignes, ses idées et qu’ils auraient cherché à agir dans le sens de la modération.
Hier au soir, M. van Karnebeek avait invité 42 personnes à un grand dîner (sans dames) à l’hôtel Miramare. M. Schulthess et moi étions parmi les invités. Il y avait, entre autres, Barthou, Facta, Schanzer, Jaspar, Bénès, Branting. Je tâchai de m’informer auprès de M. Barthou sur le point de vue français. M. Barthou m’apprit qu’il avait discuté, pendant des heures, la question russe avec M. Lloyd George, que celui-ci lui avait montré un «papier» contenant des propositions, que lui, Barthou, n’avait pu se prononcer, qu’il avait demandé des instructions à M. Poincaré. Dans l’esprit de M. Barthou, l’idée de Y ultimatum n’était pas encore tout à fait abandonnée.
Ce matin, M. Lloyd George, auquel j’avais demandé une audience, m’a fait savoir qu’il désirait me voir. Je suis allé chez lui à 10 h. 1/2. Il m’a donné, à titre très personnel, la «papier» dont m’avait parlé M. Barthou. Je me réserve de vous l’envoyer par un prochain courrier. Ce n’est qu’une ébauche.
J’ai prié M. de Sonnenberg, qui m’a accompagné comme interprète, de fixer par écrit ma conversation avec M. Lloyd George. Vous trouverez ci-annexée la notice rédigée par M.de Sonnenberg.6
Les idées de M. Lloyd George peuvent se résumer ainsi:
1. Les Russes doivent reconnaître les dettes d’avant-guerre. Un tribunal international, composé déjugés nommés par les parties et présidé par un juge désigné par la Société des Nations, par la Cour Internationale de Justice ou par la Cour Suprême des Etats-Unis, décidera quel est le moratoire dont les Russes ont effectivement besoin. Les intérêts échus des dettes seraient très probablement effacés.
2. Les dettes de guerre seront réduites au moins de la moitié. C’est d’ailleurs l’Angleterre qui est la plus intéressée; elle est disposée à être très généreuse.
3. Les étrangers dépouillés de leurs biens doivent rentrer dans la jouissance de ces biens. Là où la jouissance n’est plus possible, ils doivent être indemnisés. Les conditions de la jouissance, la durée de celle-ci et les indemnités éventuelles seront également fixées, dans chaque cas spécial, par un tribunal international.
M. Lloyd George m’a fait savoir qu’il aimerait connaître les opinions et les sentiments des neutres et qu’il était disposé à leur accorder une audience si cela leur paraissait nécessaire.
Demain matin, les neutres vont se réunir à nouveau et nous les saisirons derechef de la question.
M. Lloyd George m’a parlé, à la même occasion, sur ma demande, de la question du pacte de garantie ou, comme on l’appelle maintenant, de non-agression. Je pense que, suivant toute probabilité, nous pourrons y adhérer sans danger ou risque. Le pacte, s’il voit le jour, ne sera qu’un engagement moral sans aucune sanction matérielle.
M. Lloyd George m’a dit aussi qu’il était intentionné de rester jusqu’à la fin de la Conférence. 11 en a vraiment fait sa chose. Quoi qu’on puisse penser de lui, à bien des points de vue, il est juste de reconnaître que M. Lloyd George est aujourd’hui la plus éclatante volonté de paix qu’il y ait dans le monde.
Hier, nous avons été invités à déjeuner chez les Allemands. Nous avions été empêchés d’accepter une première invitation la semaine passée. Il y avait aussi M. Bénès, mais, en dehors de lui, de M. Schulthess et moi, tous les invités étaient des Allemands. Le déjeuner – très simple – était présidé par M. Wirth, le Chancelier du Reich.
M. Wirth m’a déclaré être très préoccupé par la situation créée à la suite du discours de M. Poincaré à Bar-le-Duc. Il m’a dit que la France aurait, sans doute, constaté, au 31 mai prochain, que l’Allemagne n’avait point rempli les obligations que la Commission des réparations lui a imposées. La mise en œuvre d’une législation fiscale, qui produirait une nouvelle recette de 60 milliards de marks, est une chose absolument impossible. Si la France marche en avant et occupe la Ruhr, le Traité de Versailles (c’est toujours M. Wirth qui parle) sera violé. Les Allemands ne pourront plus considérer qu’il les lie. La tension serait extrême. On pourra s’attendre aux pires extrémités.
M. Wirth m’a dit qu’il savait, de la bouche même de M. Lloyd George, que celui-ci attache une grande importance à l’opinion de la Suisse. Il a même ajouté (je vous prie d’excuser la mention que je fais de ma personne) que M. Lloyd George avait de moi une estime particulière. (J’en doute beaucoup, mais je ne fais que rapporter une conversation.) M. Wirth m’a donc supplié d’attirer, à l’occasion, l’attention de M. Lloyd George sur les effets catastrophiques d’une marche en avant des Français.
Je n’ai pu lui donner une assurance. J’hésite beaucoup sur la question de savoir quel est mon devoir. Ce matin, le temps m’a manqué d’aborder ce sujet si délicat dans ma conversation avec Lloyd George. Après environ 40 minutes, nous avons, en effet, été interrompus par l’arrivée de M. Jaspar, le Ministre belge des Affaires étrangères. Je crois, cependant, que vous aussi, Monsieur le Président, vous serez de l’avis que si la manifestation d’une pensée ou d’un conseil de paix peut avoir une influence quelconque, même très minime, sur la politique internationale, cette manifestation discrète est commandée par le souci même de nos intérêts les plus immédiats.
La délégation italienne nous a invités, mercredi soir, au Castello Raggio à Corniliano Ligure pour dîner avec elle. Y assistaient l’Ambassadeur des Etats-Unis à Rome et sa femme. Tous les autres convives étaient Italiens. C’est un acte de déférence spéciale que la Délégation italienne a voulu nous témoigner. Nous ne pouvons que nous louer de son accueil très sympathique et très amical.
La question se pose pour nous de savoir si nous voulons aussi donner un dîner. Nous hésitons encore, mais il est bien probable que nous ne pourrons pas nous soustraire à cette obligation de politesse.
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