Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 181
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1503#2799* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(B)1000/1503 67 | |
Dossier title | Finanzkonferenz in Genua, III (1922–1922) | |
File reference archive | C.21.6 |
dodis.ch/44823
La Délégation du Conseil fédéral vous a télégraphié2 hier que l’atmosphère de la Conférence était malheureusement très troublée à la suite de l’accord qui a été conclu, à Rapallo, le jour de Pâques, entre le Gouvernement allemand et le Gouvernement russe.
La Délégation ajoutait que la Conférence n’aurait plus donné un résultat vraiment utile et qu’il fallait même compter avec la possibilité d’un échec complet.
Aujourd’hui – au moment où je vous écris (10 heures du matin), – ce pronostic semble être teinté de pessimisme; une lueur d’espoir renaît à l’horizon et il se pourrait que la fin de la journée nous apporte de meilleures nouvelles.
Mais permettez-moi d’abord de faire une récapitulation sommaire des événements qui se sont déroulés depuis mon premier rapport.3
Le sous-comité politique, dont je fais partie comme délégué de la Suisse, s’était réuni, le 11 courant, pour désigner son président en la personne de M. Schanzer et pour ordonner la distribution à toutes les délégations du rapport des experts qui s’étaient réunis à Londres. Depuis lors, il a été convoqué une fois; il n’a cependant pas tenu de séance, parce qu’il a été déconvoqué tout de suite.
Les Puissances invitantes avaient commencé à discuter séparément avec les Russes. Ces discussions séparées avec les Russes avaient, semble-t-il, pour but de préparer le terrain pour les discussions régulières du sous-comité politique. Il paraît bien que M. Lloyd George affectionne de se gérer en maître. Il paraît également que des discussions dans le sous-comité politique, avant ce travail de déblaiement que les Puissances invitantes avaient entrepris, disent-elles, dans l’intérêt de tous, auraient été longues, délicates et difficiles. Il paraît enfin que les Russes n’avaient pas d’instructions suffisantes et les Puissances invitantes ont donc dû les prier de demander à Moscou des instructions plus larges et plus positives.
M. Jaspar, Ministre des Affaires étrangères de Belgique, un homme, sans doute, très intelligent et très rompu aux affaires, m’a dit que ce qui l’avait le plus frappé, dans les discussions que les Puissances invitantes menaient avec les Russes, c’était l’incroyable ignorance de ceux-ci. On a très souvent l’habitude de juger ces Russes comme des hommes intelligents et cultivés; moi-même je vous ai donné cette impression dans mon premier rapport; il semble cependant qu’en réalité ces Russes sont des illuminés, sans aucune culture économique, sans aucun sens des affaires, proclamant les plus grandes énormités avec le sans-gêne des enfants.
Les Allemands suivaient ces conversations entre les Puissances invitantes et les Russes avec une inquiétude croissante. Ils craignaient que tous les arrangements avec les Russes se seraient accomplis sur leur dos. Ils pensaient notamment que les Russes allaient être attirés dans l’orbite de l’Entente et voyaient déjà la menace d’un nouvel isolement. Un expert italien, M. le commandeur Giannini, les tenaient au courant, il est vrai, des résultats essentiels qui s’esquissaient dans les pourparlers des Puissances invitantes avec les Russes, mais cela n’était pas de nature à les tranquilliser complètement. M. Walter Rathenau avait demandé, verbalement et par écrit, deux ou trois fois, des audiences à M. Lloyd George, mais celui-ci (sans aucune mauvaise intention, du reste) s’était toujours dérobé.
La veille de Pâques, les Allemands eurent l’impression que les Alliés pousseraient les Russes à faire valoir leurs créances de guerre contre les Allemands, créances qui sont expressément réservées, en principe, dans le Traité de Versailles.
Les Allemands avaient, en réalité, déjà préparé un accord avec les Russes à Berlin. M. Rathenau n’avait cependant pas voulu que l’accord préparé à Berlin devînt un acte définitif, parce que, d’un côté, il voulait avoir les mains libres pour Gênes et, de l’autre, il craignait, à juste titre, que la conclusion définitive de l’accord avec les Russes aurait fourni aux Français une raison décisive de faire tomber l’idée de la Conférence avant la convocation de celle-ci. M. Rathenau était blessé dans son amour-propre. Il était peut-être aussi persuadé de bonne foi que toute politique d’expectative prudente devenait nuisible aux intérêts vitaux de son pays. Dans cet état d’âme, il alla le jour de Pâques, avec M. Wirth, à Rapallo. Il s’aboucha avec les Russes qui furent, je crois, très heureux d’accomplir un acte retentissant. C’est ainsi que l’accord préparé à Berlin devint, le jour de Pâques, l’accord de Rapallo.
Dès que la nouvelle fut connue, le lundi de Pâques, ce fut une surprise formidable. M. Lloyd George se sentit atteint. Les Français eurent l’air de triompher parce qu’ils considéraient l’acte de Rapallo comme la preuve qu’ils avaient vu juste en mettant leurs amis en garde contre les dangers de la Conférence. Les Italiens virent de suite que, sans un travail immédiat et intense visant à sauver la situation, la Conférence allait aboutir à une faillite.
Tous les milieux de la Conférence, sans exception, jugèrent que l’accord préparé entre les Allemands et les Russes constituait une action incorrecte et contraire à l’esprit de collaboration internationale.
L’opinion des neutres ne fut pas différente de celle des autres Etats. Depuis Branting jusqu’à Karnebeek, je n’ai entendu à ce sujet qu’un seul son de cloche. Dans notre Délégation, le jugement à porter est, à peu de nuances près, unanime.
Mardi, nous primes l’initiative de convoquer les neutres dans notre petit salon de Y Hôtel Miramarepour examiner la situation. Toutes les Délégations répondirent à notre appel. On fut généralement d’accord pour constater que les discussions par groupes séparés (Puissances invitantes et Russes, Puissances invitantes et Petite Entente, Allemands et Russes) étaient contraires aux bases et aux buts de la Conférence. Celle-ci est appelée, en toute première ligne, à rétablir la confiance entre les Etats; or, les discussions séparées, par groupes, en dehors des organes légitimes que la Conférence s’est elle-même donnés, sapent les fondements mêmes de toute confiance. On fut également d’accord que les pays neutres devaient faire une démarche auprès du Président de la Conférence et du Président du sous-comité politique pour demander une convocation de celui-ci aussi rapprochée que possible.
M. Branting et moi nous rendîmes, en conséquence, dans la soirée vers 5 heures au Château Raggio à Corneliano-Ligure, résidence de MM. Facta et Schanzer. C’est précisément au Château Raggio que les Puissances invitantes étaient réunies. Elles avaient appelé pour discuter avec elles la Pologne, la Tchéco-Slovaquie, la Yougoslavie, la Roumanie et le Portugal. C’étaient, donc, tous les Alliés réunis. Nous pûmes d’abord parler avec Schanzer, ensuite aussi avec Facta.
Ces Messieurs nous écoutèrent avec beaucoup d’attention et aussi avec beaucoup de sympathie. Nous évitâmes scrupuleusement de donner à notre démarche le caractère d’une protestation. Tel avait été, d’ailleurs, l’avis de tous les neutres. Nous déclarâmes que nous étions venus en amis, dans l’intérêt d’une continuation normale des travaux, avec le désir d’empêcher que la Conférence ne sombra dans une impasse. Nous priâmes, en conséquence, M. Schanzer de bien vouloir convoquer au plus tôt le sous-comité politique.
M. Schanzer (et aussi M. Facta) admirent le bien-fondé de nos observations. Ils nous firent savoir que les Puissances réunies au Château Raggio venaient de décider l’envoi d’une note aux Allemands. Vous en connaissez le contenu par les journaux et je n’ai donc pas à revenir sur sa portée. Schanzer ajoute qu’il avait fait des efforts désespérés («ho puntato i pedi! ») pour empêcher que la note fut conçue en des termes nettement et ouvertement blessants. Chose curieuse, c’est Lloyd George qui plaidait pour la rédaction la plus violente!
M. Schanzer nous promit une convocation prochaine du sous-comité politique, mais observa qu’il fallait d’abord attendre la réponse des Allemands à la note des Alliés.
Les Allemands, qui ont discuté hier toute la journée et qui ont eu des conversations avec Lloyd George et Schanzer, donneront leur réponse dans la journée d’aujourd’hui.
Mardi soir, il y avait eu, au Palazzo Reale, un grand dîner offert par Facta aux délégués. Les Allemands et les Russes étaient aussi intervenus. Il n’y eut pas de discours, car ceux-ci auraient été évidemment trop difficiles à faire... Dans une brève conversation que M. Schulthess et moi avions eue avec Wirth et Rathenau, il nous avait semblé que les Allemands couvaient la pensée du départ... De là notre dépêche pessimiste d’hier matin que nous avons envoyé chiffrée.4
Nous avons été officieusement priés dans la suite par Schanzer d’agir auprès des Allemands pour empêcher la rupture définitive.
Nous avons examiné dans la Délégation quel était notre devoir. Celui-ci nous parut clair: agir avec prudence, mais ne pas refuser notre concours, si faible qu’il soit, à l’œuvre de la conciliation.
Hier au soir, nous avons prié M. von Simson, Sous-secrétaire d’Etat allemand, de bien vouloir passer quelques instants chez nous.
M.von Simson est venu, en effet, avec le plus grand empressement. Nous lui avons fait part de l’impression fâcheuse que l’accord germano-russe avait produite même dans les milieux neutres et l’avons prié de faire savoir à ses chefs que nous désirions ardemment voir l’incident diplomatique se terminer sans éclats.
M. von Simson nous a paru touché de notre démarche. Il nous a expliqué dans quelles circonstances l’accord germano-russe s’est formé. Les renseignements que vous trouvez dans le corps de ce rapport sont précisément tirés, en bonne partie, de notre conversation avec von Simson. Celui-ci admet personnellement qu’en effet l’Allemagne n’a plus d’intérêt et, par conséquent, plus de droit à participer ultérieurement à la discussion de la question russe dans le sous-comité politique. La conclusion de la note alliée lui paraît donc acceptable, en principe. Elle est la conclusion logique et naturelle de l’acte par lequel l’Allemagne a liquidé sa situation dans les rapports avec la Russie. Ce que l’Allemagne ne peut accepter, c’est l’accusation de mauvaise foi et de déloyauté. M. von Simson a donc déclaré que la réponse allemande se serait efforcée de détruire cette accusation.
Verrons-nous aujourd’hui la solution pacifique de l’incident?
Il est impossible de faire une prévision tant soit peu exacte.
Quant à nous, nous avons cherché à faire œuvre modeste, mais que nous espérons utile.
Je persiste à penser que la Conférence ne pourra, en tout état de cause, plus donner de résultats marquants. Sa préparation a été insuffisante et son fonctionnement continue à être très défectueux. Mais de tous les maux, le plus grand serait, me semble-t-il, un échec retentissant avec un dénoûment de tragédie...
- 1
- E 2001 (B) 3/67.↩
- 2
- Le télégramme du 19. 4. 22, expédié à 16 h 30 reçu à Berne le 20 avril disait: La situation continue à rester très tendue[...] . Il sera difficile que la conférence aboutisse encore à un résultat utile. Il faut même prévoir comme probable que la conférence sera obligée de se dissoudre dans un temps très court (E 2001 (B) 3/67).↩
- 3
- Rapport du 15 avril, non reproduit, cf. E2001 (B) 3/70.Pour les autres rapports de Schulthess et de Motta, cf. nos183, 184, 188, 190, etE 2001 (B) 3/67, E 2001 (B) 3/70 et E 7800 4/4.↩
- 4
- Voir note 1, supra.↩
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