Classement thématique série 1848–1945:
XVII. BONS OFFICES
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 8, Dok. 172
volume linkBern 1988
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2001B#1000/1515#10* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2001(B)1000/1515 6 | |
Dossiertitel | Sentence arbitrale du Conseil Fédéral, Correspondance (1921–1922) | |
Aktenzeichen Archiv | B.14.271.P.1.1 |
dodis.ch/44814
Par le compromis de Bogota du 3 novembre 1916, la Colombie et le Vénézuéla sont convenus de soumettre à l’arbitrage du Président de la Confédération suisse le différend qui les sépare depuis plus d’un siècle sur la question de leurs frontières respectives, et, par le procès-verbal d’échange des ratifications de ce compromis, signé à Caracas le 20 juillet 1917, le Conseil fédéral suisse a été, du commun accord des parties, substitué, en qualité d’arbitre, au Président de la Confédération.
Après une procédure informatoire fort complète dirigée par M. le Ministre Lardy à Châtillon, et au cours de laquelle les Hautes Parties contestantes échangèrent des mémoires, réponses et répliques et fournirent en outre à l’arbitre des renseignements complémentaires demandés par lui, les enquêtes furent déclarées closes le 1er juillet 1921; le délai dans lequel le Conseil fédéral doit rendre sa sentence expire au bout d’une année, soit le 30 juin 1922.
La rédaction d’un projet de Sentence2, vivement menée par M. le Ministre Lardy, fut soumise par lui, dès novembre dernier, à l’examen du Département politique; le texte en fut arrêté au cours de diverses conférences avec M. Lardy, en sorte que nous sommes en mesure de soumettre à l’approbation du Conseil fédéral la sentence arbitrale devant résoudre le différend qui a été porté devant lui par les gouvernements colombien et vénézuélien.
Le litige résulte d’une application du principe hispano-américain dit Utipossidetis juris de 1810; en vertu de ce principe, consacré en particulier par les constitutions colombienne et vénézuélienne, les limites des républiques de l’Amérique centrale et méridionale qui se déclarèrent indépendantes au cours de la seconde décade du XIXème siècle, doivent se confondre avec les frontières des anciennes provinces des colonies espagnoles que ces républiques ont remplacées. Conformément au principe de Y Uti possidetis juris, la Colombie et le Vénézuéla sont donc réputés avoir la souveraineté, dès 1810, sur tous les territoires situés à l’intérieur d’un chacun Etat en vertu des anciennes ordonnances royales de la mèrepatrie espagnole sur la délimitation des provinces auxquelles ces deux Etats se sont substitués.
Des contestations surgirent entre la Colombie et le Vénézuéla, non pas sur le principe même de l’Uti possidetis juris de 1810, mais sur le détail du tracé de leur immense frontière commune, qui n’est pas inférieure à 1600 km. Elles provoquèrent la conclusion d’un premier compromis d’arbitrage, le 14 septembre 1881, après maints incidents qui allèrent jusqu’à la rupture des relations diplomatiques en 1875; la Couronne d’Espagne eut mission de fixer les points litigieux des limites sur la base des titres contenus dans les archives des parties contestantes et un protocole, signé à Paris le 15 février 1886, élargit les compétences de l’arbitre royal en lui donnant la faculté de juger en équité «si les documents existants ne présentaient pas toute la clarté voulue».
La sentence espagnole ne fut rendue que dix ans après la conclusion du compromis, soit le 16/17 mars 1891; elle donna, pour l’essentiel, gain de cause à la Colombie qui vit ses droits confirmés sur la majeure partie des vastes territoires contestés, notamment dans le bassin de l’Orénoque; elle fut formellement reconnue valable et acceptée par les deux parties; mais aujourd’hui encore, soit plus de 30 années après son prononcé et plus de 40 années après le premier compromis d’arbitrage colombo-vénézuélien, l’exécution est loin d’en être terminée, en partie en raison des mesures dilatoires adoptées par le Vénézuéla, en partie aussi en raison de négociations ouvertes à maintes reprises mais qui finirent toutes par échouer, devant substituer, moyennant la concession de droits de transit et de navigation à la Colombie par le Vénézuéla, une ligne-frontière conventionnelle à celle tracée par l’arbitre espagnol.
Dès le mois de juillet 1891, la Colombie insista énergiquement pour que la sentence espagnole fût exécutée; les deux Etats finirent par conclure un pacteconvention, signé à Caracas le 30 décembre 1898, instituant une Commission mixte de délimitation qui fut chargée de procéder à la démarcation et au bornage des limites que trace la sentence de Madrid, partout où elles ne sont pas constituées par des rivières ou «par les sommets d’une chaîne de montagnes». Cette commission mixte accomplit les travaux dont elle avait été chargée de 1900 à 1901; mais ses membres n’arrivèrent pas à se mettre d’accord sur tous les secteurs de la frontière et décidèrent de soumettre, conformément d’ailleurs au pacteconvention de 1898, à leurs Gouvernements respectifs les questions laissées en suspens.
La Colombie émit alors la prétention de procéder à l’occupation des parties des territoires que la sentence espagnole lui avait reconnus et dont les frontières avaient été fixées par la Commission mixte de délimitation ou étaient formées par des obstacles naturels. Le Vénézuéla s’y opposa énergiquement et soutint que l’occupation des territoires contestés ne pouvait intervenir qu’après la démarcation totale de la frontière et après que l’Etat possesseur les eut transmis à l’Etat qui en est juridiquement souverain au moyen d’une procédure spéciale de tradition. Les deux états ne pouvant se mettre d’accord signèrent à Bogota, en 1916, le deuxième compromis d’arbitrage, qui défère le litige au Conseil fédéral.
Aux termes du compromis de Bogota, l’arbitre suisse n’a pas à revoir la sentence espagnole de 1891; celle-ci reste à la base des droits des parties. Le Conseil fédéral n’a qu’à résoudre les deux questions suivantes:
1° une question de droit: l’entrée en possession des territoires reconnus à chaque partie par la sentence espagnole peut-elle aussi avoir lieu partiellement et successivement lorsque la frontière en a été fixée par les travaux de la Commission mixte ou est clairement délimitée par la nature ou bien, au contraire, faut-il attendre que la ligne frontière ait été intégralement délimitée sur le terrain?
2° une question technique et administrative: La terminaison complète de la délimitation et du bornage de la frontière fixée par la sentence espagnole, au moyen d’une commission d’experts suisses.
La question de droit, dans le projet de sentence annexé à la présente proposition3, est résolue conformément aux conclusions formulées par la Colombie, en ce sens que l’exécution partielle de la sentence rendue par la Couronne d’Espagne en 1891 est admise.
Cette solution est solidement basée sur les considérations suivantes:
1° le droit des gens ne connaît pas de règles absolues et obligatoires sur la nécessité de formalités de tradition en cas de remises de territoires d’un Etat à un autre;
2° l’histoire présente de nombreux exemples de transferts de territoires sans tradition formelle (en 1860 la Lombardie a été cédée par l’Autriche à la France laquelle la rétrocéda à l’Italie sans en avoir jamais pris effectivement possession; il en fut de même en 1866 pour la cession de la Vénétie);
3° la nécessité d’une tradition avant toute occupation paraît d’autant moins nécessaire dans les relations entre la Colombie et le Vénézuéla que le principe de l’Uti possidetis juris de 181 Opermet de considérer chaque Etat comme souverain depuis 1 #/0des territoires à lui attribués par l’arbitre espagnol, en sorte qu’il n’y a ni cédant, ni cessionnaire, et que l’Etat dont l’occupation est contraire à la sentence n’a pas d’autre devoir que d’évacuer les territoires qu’il détient sans titre juridique;
4° en fait le Vénézuéla a pris possession dès 1900 des côtes de la Goajira qui lui ont été attribuées par la sentence espagnole; la Colombie en a fait autant des territoires qui lui ont été reconnus dans les bassins de l’Orénoque et du Vichada; elle a même cédé au Brésil, sans protestation du Vénézuéla, une importante portion des territoires contestés dans le bassin de l’Amazone; les deux parties ont donc pratiqué elles-mêmes le système des occupations partielles ou successives;
5° enfin, au point de vue pratique, on ne peut exiger des parties qu’elles évacuent provisoirement des territoires qui leur ont été attribués par la sentence espagnole pour les réoccuper dès que la ligne-frontière aura été, sur toute sa longueur de 1600 km. définitivement arrêtée.
Pour résoudre la question technique et administrative, il faut rechercher quels territoires peuvent être immédiatement occupés parce que leurs frontières sont fixées et quels sont ceux qui ne pourront l’être qu’après accomplissement des travaux de démarcations des limites par des experts suisses.
Le Vénézuéla soutient qu’aucun point de la frontière n’est définitivement fixé; il conteste le caractère irrévocable des décisions de la Commission mixte de délimitation de 1900–1901; il demande la détermination du thalweg pour les cours d’eaux constituant les limites et celle de la ligne du partage des eaux pour les chaines de montagne; il invoque en outre des erreurs de mensuration; bref, c’est toute la frontière de 1.600 km. que les experts suisses doivent démarquer et borner.
La Colombie au contraire considère comme définitives les frontières naturelles indiquées par l’arbitre espagnol et les frontières artificielles arrêtées de commun accord par les commissaires colombien et vénézuéliens en 1900–1901; le travail des experts suisses ne doit porter que sur trois portions relativement peu étendues du territoire contesté sur lesquelles la commission mixte ne put se mettre d’accord (San Faustino, ligne entre F Aranca et le Meta, tracé Yavita-Pimichin), et en outre sur un territoire qui n’avait pas donné lieu à contestation devant l’arbitre espagnol et au sujet duquel les divergences entre les deux Etats ne surgirent que plus tard (Riode Oro-Zulia).
Le projet de sentence soumis à l’approbation du Conseil fédéral admet la thèse colombienne pour les raisons suivantes:
1° les frontières naturelles sont définitives, en vertu de la sentence de Madrid qui les a arrêtées, et en vertu du commun accord des parties, tel qu’il résulte du pacte de Caracas de 1898 chargeant la Commission mixte de délimitation de limiter ses travaux aux frontières artificielles; l’arbitre suisse n’a pas à statuter à nouveau à cet égard; il y a d’ailleurs opportunité à ne pas charger les experts suisses du tracé des frontières naturelles, une grande partie des montagnes séparant la Colombie du Vénézuéla étant complètement inexplorée et habitée par des tribus sauvages et belliqueuses; la délimitation précise des frontières naturelles retarderait indéfiniment l’exécution de la sentence de Madrid;
2° les travaux de la Commission mixte de délimitation terminés de commun accord ont un caractère définitif, car, en vertu d’une longue tradition entre la Colombie et le Vénézuéla, les commissaires ont constamment été considérés comme investis de pouvoirs arbitraux et non pas seulement d’une mission technique; cela résulte d’ailleurs clairement des procès-verbaux de la Commission mixte de 1900-1901;
3° l’arbitre suisse peut trancher même des contestations qui ont surgi après la sentence de Madrid et les travaux de la Commission mixte, le compromis d’arbitrage chargeant le Conseil fédéral de la terminaison complète de la délimitation et du bornage de la frontière.
Les secteurs qui pourront être occupés par les parties et ceux qui devront faire l’objet de nouveaux travaux de délimitation sont indiqués d’une manière précise dans la sentence, avec renvoi à des cartes géographiques. Pour accomplir ces travaux la sentence prévoit l’organisation d’une ou de plusieurs commissions techniques suisses qui auront un caractère arbitral et qui statueront par délégation du Conseil fédéral; elles auront à rendre de véritables jugements, après enquête sur place, pour certains points particulièrement contestés de la frontière; elles pourront, si elles l’estiment nécessaire, préciser ou rectifier les indications purement techniques figurant dans les travaux de la Commission mixte de délimitation de 1900–1901 et devront avoir accompli leur mission avant le 31 décembre 1924.
Il n’est pas possible de procéder dès maintenant à l’organisation et à la désignation de la ou des commissions arbitrales suisses qui seront chargées de la démarcation sur le terrain. Le Département politique devra encore s’entourer de renseignements à ce sujet, après signification de la sentence, auprès des représentants des parties elles-mêmes.
Néanmoins, comme la ou les commissions devront être prêtes à s’embarquer en septembre prochain afin de commencer leurs travaux en automne4, et comme il faudra accorder un délai de quelques mois aux commissaires pour préparer l’expédition et prendre connaissance des actes très volumineux constituant le dossier de la cause, nous estimons opportun de charger une personne de confiance de se mettre officieusement en relations avec les spécialistes nécessaires à l’exécution de la sentence arbitrale.
Nous avons à cet effet jeté notre dévolu sur M. le Colonel Paul Lardy, ingénieur-civil à Zurich, qui tant par son caractère et ses connaissances techniques, que par sa parfaite connaissance de l’espagnol semble tout à fait désigné pour être mis à la tête, comme chef de mission, de la ou d’une des commissions arbitrales. Nous nous proposons en conséquence de l’inviter à prendre contact, sans engager les autorités fédérales, avec les personnes qui lui paraîtraient indiquées et à nous faire rapport, aussitôt que possible, sur ses démarches, de manière à ce que la nomination des commissaires puisse encore intervenir dans les premiers mois de l’année courante. [...]5
Au vu des considérations qui précèdent, nous proposonsau Conseil fédéral 1° d’adopter le projet de sentence, annexé à la présente proposition, sur diverses questions des limites pendantes entre la Colombie et le Vénézuéla; 2° d’autoriser le Département politique de charger M. le Colonel Lardy, ingénieur à Zurich, de faire, à titre officieux et sans engager le Conseil fédéral, les démarches nécessaires au recrutement du personnel technique de nationalité suisse, nécessaire au fonctionnement de la ou des commissions d’experts-arbitres; 3° d’allouer à M. le Ministre C. Lardy à Châtillon, une somme de frs 40000.– à titre d’honoraires et de charger le Département politique de lui adresser les remerciements du Conseil fédéral pour les services rendus; 4° d’allouer à M. Sauser-Hall, Chef du Contentieux à la Division des Affaires Etrangères la somme de frs 5000.– et à M. Bonna, secrétaire de Légation la somme de frs 2500.– à titre d’honoraires.6
- 1
- E 2001 (B) 15/6. Arbitrage entre la Colombie et le Vénézuéla.↩
- 2
- Non reproduite, cf. E 2001 (B) 15/6.↩
- 3
- Non reproduit.↩
- 4
- Les travaux des deux commission suisses durèrent jusqu’au printemps 1924. Les documents y relatifs se trouvent dans E 2001 (B) 15/3 à 5.↩
- 5
- Suivent des indications sur les frais occasionnés par l’arbitrage.↩
- 6
- Approuvé par le Conseil fédéral dans sa séance du 24 mars 1922, cf. E 1004 1/282, no824.↩