Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 166
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#J1.6#1000/1355#198* | |
Old classification | CH-BAR J 1.6(-)1000/1355 3 | |
Dossier title | Rappard W. E., Prof., Generalsekretär des Bundes der Rotkreuzvereine (1919-1920), Direktor der Mandatkommission des Völkerbundes (1922-1924), Genf (1919–1925) | |
File reference archive | 2 |
dodis.ch/44808 W. Rappard au Chef du Département de l’Economie publique, E. Schulthess1
J’ai l’honneur de vous accuser réception et de vous remercier très vivement de votre aimable lettre2 qui m’est bien parvenue hier matin.
Il est évident qu’il ne m’appartient pas de discuter la sagesse des décisions du Gouvernement fédéral et je comprends pour ma part, tout en les déplorant, les circonstances d’ordres divers qui vous ont imposé une attitude de réserve dans cette affaire.
Je voudrais seulement me permettre, pour éviter tout malentendu, d’établir bien nettement deux points suggérés par votre lettre.
Il est bien entendu, comme vous l’indiquez dans le dernier paragraphe de votre lettre, que vous n’avez pris aucune initiative quelconque et que, par conséquent, en vous refusant à toute conversation officieuse avec Londres pour le moment, vous ne modifiez nullement une attitude prise au préalable.
L’origine de toute cette affaire est tout simplement la suivante: Une amie de M.L.G.3, que je connais d’assez longue date, demande à me voir à Genève. Au cours de la conversation elle me dit que son ami serait très désireux de connaître l’attitude des petites Puissances neutres à l’égard de la conférence de Gênes. Je lui réponds que je connais les idées principales de celui des Membres de notre Gouvernement qui, de par ses fonctions comme de par sa position personnelle exercera sans doute une influence prépondérante sur ses collègues en cette matière. Ces idées, je n’hésite pas à les lui exposer, à titre confidentiel. Je le fais d’autant plus volontiers qu’elles ne contiennent aucune précision en une matière qui est encore très vague, ni aucun semblant d’engagement sur un point quelconque. Leur intérêt réside en ce qu’elles indiquent le point de vue ou la méthode d’approche d’un des Membres de notre Gouvernement à l’égard du grand problème de la reconstitution économique de l’Europe.
En entendant mon exposé, mon interlocutrice déclare que c’est presque dans les mêmes termes qu’on se pose ce problème à Londres. Elle me dit que son ami serait certainement très heureux de rencontrer M.S.4 et me demande si celui-ci pourrait, le cas échéant, se rendre à Londres. Je lui réponds que les traditions et les habitudes politiques de notre pays limitent beaucoup la liberté d’action des Membres du Gouvernement fédéral et que je doute fort, par conséquent, que M.S. puisse se rendre à Londres pour rencontrer son ami, malgré toute l’envie qu’il en eût et tout l’intérêt qu’aurait incontestablement une pareille entrevue.
Là-dessus, Melle M. part pour Londres, descend chez M.L.G. dès son arrivée, et m’écrit le lendemain matin qu’elle a rendu compte à son ami de notre conversation et que celui-ci a tout de suite exprimé le vif désir de rencontrer M.S. d’autant plus que M. Bénès comptait venir le voir dans le courant du mois. Melle M. lui répondit que pour prendre une décision aussi grave vous auriez sans doute besoin d’y être expressément encouragé. M.L.G. répliqua: encouragez-l’y de ma part, répétez-lui ce que je vous dis, dites lui de venir.
C’est cette nouvelle dont j’ai été chargé de vous rendre compte et qui a provoqué nos conversations téléphoniques et votre lettre du 4 février.
Si je n’ai pas cru devoir me refuser à toute intervention dans cette affaire, c’est que je pensais qu’en contribuant de ma modeste place à vous permettre de rencontrer à titre officieux M.L.G., je servais à la fois la cause de la Suisse, de la reconstitution économique de l’Europe à laquelle elle est fort intéressée, et de la Société des Nations. Il me paraissait, et il me paraît en effet évident:
1. Que la Conférence de Gênes ne pourra produire tout son effet qu’à condition d’être précédée de conversations privées.
2. Que M. L.G., comme père de la Conférence de Gênes5 et comme Chef de la Grande Puissance qui y jouera incontestablement le premier rôle, devait tout naturellement désirer prendre contact avec les Membres des Gouvernements des petites Puissances restées neutres pendant la guerre.
3. Que tel que je connaissais l’homme et ses méthodes diplomatiques, ces conversations seraient improvisées et personnelles et non pas diplomatiques et officielles.
4. Qu’il est dans l’intérêt des petites Puissances d’être tenues au courant de ce qui se prépare et de pouvoir, dès le début des pourparlers, faire connaître leur attitude générale.
5. Qu’une invitation aussi cordiale, adressée par une voie privée mais toute droite et naturelle, était de nature à intéresser au plus haut point le Gouvernement suisse et notamment celui de ses Membres en qui on est unanime à voir notre négociateur principal en matière de relations économiques internationales.
Je n’ignorais certes pas les difficultés qui s’opposaient à l’acceptation d’une pareille invitation, et je les ai signalées à l’amie de M.L.G. avant même qu’elles ne se produisissent. Parmi ces difficultés, il en est une cependant qui me paraît grossie à l’excès dans votre lettre, M. le Conseiller fédéral. En demandant à vous voir à Londres à propos de la Conférence de Gênes dont le programme même n’est pas précisé, M. L. G. ne pouvait pas s’attendre de vous à la présentation d’un projet de solution ni à des déclarations engageant le Gouvernement suisse. J’ai tout lieu de penser qu’il désirait simplement vous présenter sa propre conception de la situation en vous demandant quelle sera éventuellement l’attitude de la Suisse et des autres petites Puissances neutres à l’égard de ses projets. Il me semblait, et il me semble, qu’en acceptant une conversation pareille vous rendriez le plus grand service à votre pays en lui permettant de se préparer plus utilement à la Conférence de Gênes et en vous y assurant par avance une situation particulièrement importante. Mes trois principaux collègues anglais, français et italien (Drummond, Monnet et Attolico) à qui j’ai parlé de cette affaire à titre tout à fait confidentiel, étaient unanimes à ne pas s’étonner du procédé de M.L.G., tout à fait conforme à ses habitudes, et à estimer que l’acceptation de l’invitation ne présentait que des avantages pour la Suisse. J’ai cherché à leur faire comprendre les circonstances d’ordre intérieur qui devaient limiter beaucoup votre liberté de mouvements dans une affaire de ce genre, mais ils pensent, et je ne puis qu’être de leur avis, que les circonstances de politique intérieure qui peuvent pousser un Gouvernement à se priver de certains avantages d’ordre international, sont toujours fort regrettables. M. Monnet, qui est en contact très étroit avec les milieux gouvernementaux français, estimait qu’en vous arrêtant à Paris en route pour Londres, ou peut-être au retour, et en y parlant absolument le même langage que dans la capitale britannique, vous seriez très loin d’étonner et de désobliger le Gouvernement français.
Je m’excuse, M. le Conseiller fédéral, de la longueur de cette lettre. Si j’ai tenu à mettre au point les incidents de la dernière semaine, c’est que tout en étant toujours disposé à rendre au Gouvernement fédéral les services que me permet ma situation, je suis encore plus désireux de ne pas l’importuner. Je vous serais infiniment obligé si vous vouliez bien m’indiquer en quelques lignes l’attitude générale qu’il vous serait à l’avenir agréable que je prisse dans des occurrences semblables.
- 1
- Lettre: J.I.6. 1/3.↩
- 2
- Dans cette lettre du 4 février, Schulthess précisait: [...] Die Konferenz von Genua dürfte wohl verschoben werden. Überdies scheinen noch eine ganze Reihe von Fragen nicht abgeklärt zu sein. Insbesondere sind auch die Eingeladenen über den eigentlichen Zweck und das Programm der Konferenz nur sehr unvollständig orientiert. Infolgedessen ist es auch uns nicht möglich, irgend ein Urteil zu fällen oder gar Stellung zu nehmen. Der Bundesrat hat bis jetzt auch keinerlei Instruktionen aufgestellt oder Beschlüsse gefasst. Schon aus diesem Grunde könnte offenbar eine Besprechung mit dem englischen Ministerpräsidenten keinen für diesen irgendwie befriedigenden Verlauf nehmen, da ich ja nicht in der Lage wäre, positive Vorschläge zu machen. Dazu kommt, dass man in der Schweiz bekanntlich in internationalen Dingen sehr ängstlich ist und vielleicht befürchten würde, eine einseitige Fühlungnahme könnte inopportun sein. Sie kennen übrigens die Auffassungen, die darüber bestehen. Unter solchen Umständen dürfte es wohl richtiger sein, der Anregung, die Sie mir übermittelten, keine Folge zu geben und in der Sache überhaupt bis auf weiteres eine abwartende Haltung einzunehmen. Sie werden ja gewiss den Weg finden, um diesen Bescheid in angemessener und nicht verletzender Form zur Kenntnis zu bringen. Es dürfte dies umso eher angehen, als von mir aus nicht die leiseste Anregung gemacht wurde. Vielleicht bietet sich Gelegenheit, die Sache einmal zu besprechen (J.I.6. 1/3).↩
- 3
- Il s’agit de Monsieur Lloyd George.↩
- 4
- Il s’agit de Monsieur Schulthess.↩
- 5
- A la conférence du Conseil suprême à Cannes (janvier 1922), c’est le Premier Ministre britannique qui insista pour que la Conférence de Gênes soit indépendante de la SdN et pour que soit accordé aux Grandes Puissances, y compris l’Allemagne et la Russie, un rôle prépondérant. Cf. Notice du Département politique (non signée) datée du 25 janvier 1922, intitulée: La Société des Nations et la convocation de la Conférence de Gênes. Confidentielle (E 2001 (B) 8/30).↩
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