Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
I.2. La question du Siège de la SdN
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 8, Dok. 82
volume linkBern 1988
Mehr… |▼▶Aufbewahrungsort
Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
Signatur | CH-BAR#E2001B#1000/1508#83* | |
Dossiertitel | Système de retraites et de retenues sur les traitements (1921–1923) | |
Aktenzeichen Archiv | B.56.41.05.1 |
dodis.ch/44724
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier à nouveau de toute la confiante amabilité que vous avez bien voulu me témoigner lors de notre récente entrevue à Berne. J’ai été particulièrement content, à mon retour à Genève, de pouvoir dissiper les malentendus auxquels l’attitude de notre délégation à Barcelone2 avait donné lieu. Tous ceux à qui j’ai confié votre décision de prier notre Ministre à Washington d’agir en faveur de la Société des Nations s’en sont vivement félicités et s’en sont montrés fort reconnaissants.
Si je prends la liberté de vous écrire aujourd’hui, c’est surtout pour vous soumettre quelques considérations relatives au siège de la Société des Nations. Si invraisemblable et si déraisonnable que cela puisse paraître, il est de nouveau dans certains milieux sérieusement question d’un transfert possible. Personnellement, je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une éventualité probable. Mais je crois de mon devoir de vous informer des circonstances qui donnent de nouveau de l’actualité à cette question.
Le rapport de la Commission d’Enquête, constituée par le Conseil à la demande de l’Assemblée pour examiner l’organisation du Secrétariat général, contient une annexe relative à la question du siège. Ses auteurs déclarent que, d’après leurs observations et d’après leurs informations, l’établissement à Genève du Secrétariat est pour la Société une cause de dépenses considérables et évitables. Sans aborder l’aspect politique de la question qui, disent-ils, n’est pas de leur ressort, ils se bornent à constater que Genève est à l’heure actuelle une des villes d’Europe où la vie est la plus chère, qu’elle est à l’écart de certaines grandes voies de communication internationale et que, par conséquent, la Société des Nations est obligée de supporter le poids de traitements et de salaires relativement élevés et celui de déplacements fréquents et coûteux. La Commission suggère au Conseil, pour le cas où le transfert du siège viendrait à être pris en considération, le choix de Bruxelles, Fontainebleau, Turin ou Vienne. J’apprends que le nom de Turin n’a été mentionné à ce propos que pour donner satisfaction au membre italien de la Commission, le seul, paraît-il, qui ait fait quelques réserves, assez timides d’ailleurs, au sujet du déplacement envisagé.
Comme le Président de la Commission d’Enquête est M. Noblemaire, Rapporteur du budget des Affaires étrangères de la Chambre des Députés en France et qu’outre le rapport destiné au Conseil de la Société des Nations, M. Noblemaire signera un rapport analogue destiné à ses collègues du Palais Bourbon, ses conclusions revêtent une certaine importance politique.
Sir Eric Drummond est depuis une huitaine de jours à Bruxelles. Il s’y est rendu pour assister aux négociations polono-lithuaniennes, mais, sans être au bénéfice d’aucune information particulière, à ce sujet, je serais étonné si la question du siège n’était pas abordée dans les conversations qu’il ne manquera pas d’avoir avec le Gouvernement belge.
Ces deux faits récents, dont le premier seul a pour le moment quelque importance à mes yeux, expliquent la recrudescence actuelle et, je veux espérer, momentanée de l’intérêt manifesté ici pour cette question. Il est peut-être à propos cependant de rappeler les circonstances générales qui peuvent justifier les appréhensions de ceux qui regretteraient le transfert. Elles sont de trois ordres, politique, économique, et social.
Je ne m’arrêterai pas longuement aux considérations économiques et sociales. Il est incontestable que Genève est à la fois une ville très chère, surtout pour les étrangers, et qu’elle n’offre pas toutes les ressources d’une grande capitale. Cela peut expliquer le mécontentement d’une grande partie du personnel, – je crois, de la grande majorité-mais comme la Société des Nations n’a pas à se laisser déterminer dans ses décisions importantes par le souci de donner satisfaction à ses employés, je ne crois pas qu’il faille exagérer l’importance de ce facteur. Il va sans dire d’autre part qu’il n’est pas négligeable puisque les décisions du Conseil sont toujours préparées par les soins du Secrétariat, dont les sentiments risquent à l’occasion et dans une certaine mesure d’influencer les conclusions. Il est évident aussi qu’il faut saluer et encourager tous les efforts faits par les autorités et par la population suisses et genevoises pour rendre le séjour de Genève plus attrayant et plus agréable à leurs hôtes.
Mais malgré l’importance qu’elles peuvent revêtir aux yeux du Secrétariat, ces circonstances restent nettement accessoires. Le choix du siège de la Société des Nations a été et sera toujours affaire essentiellement politique. Or, il est incontestable que les circonstances et que les considérations politiques qui ont fixé le choix de la Conférence de la Paix sur Genève ne sont plus les mêmes aujourd’hui. D’une part en effet Genève a été imposée par la volonté du Président Wilson. La France et la Belgique ont toujours été hostiles. L’Empire britannique était favorable, alors que sa politique en matière de Société des Nations était faite par Lord Robert Cecil et le Général Smuts. L’Italie a toujours été favorable mais l’instabilité politique y est telle que son appui ne saurait être considéré comme un facteur constant et décisif. Il est doûteux que le seul pays neutre représenté au Conseil soit à l’heure actuelle disposé à combattre une proposition française.
On peut donc affirmer, en considérant la volonté probable de ceux dont dépendrait la décision, qu’elle ne serait pas à l’heure actuelle favorable à Genève. Je n’ai pas le moindre doute que s’il s’agissait de choisir aujourd’hui le siège d’une nouvelle Société des Nations, les chances de Genève seraient infiniment plus faibles qu’elles ne l’étaient il y a deux ans et probablement plus faibles que celles de Bruxelles ou de Vienne. On peut dire que Genève reste le siège parce qu’elle l’est devenue grâce à des volontés qui n’agissent plus en sa faveur. De plus, il faut constater que le choix de Genève correspondait à une conception de la Société des Nations qui malheureusement, à mon sens, s’est considérablement modifiée depuis deux ans. Tant qu’il s’agissait d’une Société destinée à devenir la grande réalité internationale, le choix d’une ville et d’un pays qui comptent la neutralité, l’impartialité et l’universalité au nombre de leurs plus chères traditions nationales, était logique et très heureux. Tant que les circonstances au contraire réduisent la Société des Nations au rôle de chambre de compensation ou, comme l’on dit souvent ici, de méthode de travail international les inconvénients de Genève sont plus évidents que ses avantages. Paris et Londres sont évidemment pour le moment les pôles principaux de la politique européenne et même mondiale, et Genève a l’inconvénient de n’être ni Paris ni Londres ni à la proximité immédiate de l’une des deux capitales. Il en résulte qu’il est difficile de réunir des commissions importantes ici, qu’une partie considérable du Secrétariat est toujours en route et que l’on souffre d’un sentiment d’isolement et d’instabilité.
La raison fondamentale du mécontentement actuel et, je l’espère, provisoire, échappe complètement à l’influence de notre pays. Il n’en est que plus important de faire ce qui dépend de nous pour que l’on ne puisse invoquer contre le maintien du siège à Genève des motifs tenant à l’attitude de notre Gouvernement et de notre opinion publique. Voilà pourquoi j’ai été particulièrement heureux de pouvoir rapporter de Berne la semaine dernière des nouvelles rassurantes au sujet des sentiments que le Conseil fédéral nourrissait à l’égard de la Société des Nations. Voilà pourquoi aussi je me permets d’écrire par le même courrier à M. le Président de la Confédération pour l’engager très vivement à accepter de venir prendre la parole à la réunion des associations nationales pour la Société des Nations en juin. Voilà pourquoi enfin, je me permets de recourir à votre haute autorité en vous priant de bien vouloir la mettre au service d’une réglementation libérale de la question des facilités douanières.3
Une note parvenue ici récemment du Département politique à ce sujet, dans laquelle il est proposé d’assimiler le Secrétaire général à un chef de mission et son suppléant en son absence à un chargé d’affaires, a causé parmi mes collègues à la conférence des directeurs une irritation dont je me permets de vous rendre compte. Il va sans dire qu’ils accepteront sans protester publiquement les décisions du Gouvernement fédéral quelles qu’elles soient en cette matière qui est toute de courtoisie internationale. Ils ne manquent pas cependant dans les conversations particulières avec les membres du Conseil et avec les autres personnalités de passage à Genève de citer ce petit exemple de ce qui leur apparaît comme un esprit étroit et bureaucratique, en le contrastant d’une part avec la grande largesse dont ils avaient bénéficié de la part de la Grande-Bretagne pendant leur séjour à Londres et aux assurances généreuses qui leur avaient été données à diverses reprises par les représentants de notre pays avant le transfert à Genève.
Je m’en voudrais d’insister sur un point qui n’a théoriquement aucune importance et au sujet duquel personne ne songerait à contester le droit strict du Gouvernement fédéral de prendre les dispositions qu’il juge les plus conformes à son intérêt. Il peut constituer cependant un de ces impondérables qu’il serait peutêtre fâcheux de négliger dans la situation actuelle. Il me paraîtrait en effet extrêmement regrettable qu’aux considérations générales d’ordre politique et économique que des adversaires de Genève ne cessent d’invoquer en préconisant l’éloignement du Secrétariat général, puissent venir s’ajouter des griefs contre la prétendue mesquinerie bureaucratique du Gouvernement fédéral ou de quelques-uns de ses services.
Si je me suis permis de retenir votre attention si longtemps sur cette question du siège, c’est uniquement par désir de faire ce qui dépend de moi pour renseigner le Gouvernement fédéral sur une situation générale qu’il connaît fort bien par ailleurs, je le sais. Je craindrais, en effet, en me taisant de m’exposer, le cas échéant, au reproche d’avoir par mon silence fourni des armes à des adversaires de notre pays. Il est facile au Conseil fédéral de les désarmer en s’inspirant de l’esprit généreux et largement politique qui a si souvent dicté son attitude à l’égard de la Société des Nations dans le passé.4
- 1
- Lettre: E 2001 (B) 8/11 Cette lettre est écrite avec un papier pourtant l’entête de la Société des Nations où Rappard est Directeur de la Commission permanente des mandats.↩
- 2
- Ils’agit de la délégation à la Conférence générale des communications et du transit réunie, en mars 1921, à Barcelone, sous les auspices de la SdN; cf. à ce sujet Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale du 13 novembre 1923, FF, 1923, vol. III, pp. 153–240; sur l’attitude de la délégation suisse, voir aussi nos 83, 86, 92.↩
- 4
- Note manuscrite: lettre n’exige pas de réponse. Je m’en suis entretenu personnellement hier au soir, à Genève, avec M. Rappard. 12.5.21. Motta.↩
Tags
Völkerbund
Konferenz von Barcelona über die Freiheit des Durchgangsverkehrs (1921)