Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 50
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#760* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 341 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 74 (1921–1921) |
dodis.ch/44692 Le Ministre de Suisse à Paris, A. Dunant, au Chef du Département politique, G. Motta1
Notre pauvre Europe ne donne pas à l’heure actuelle un spectacle bien réjouissant. Ce ne sont partout que troubles, émeutes et convulsions. Guerre civile en Irlande, grève générale dans le grand duché de Luxembourg, chômage presque partout. En Espagne, assassinat du président du Conseil – et ce meurtre ne paraît pas l’œuvre d’un isolé –; en Toscane, insurrection communiste marquée par des incidents qui évoquent les «tricoteuses» de la Terreur; en Russie, soulèvements antibolchevistes et recrudescence de massacres; en Allemagne: toutes les répercussions que peut entraîner la mise enjeu des sanctions arrêtées par la Conférence de Londres.
En face d’une situation de jour en jour plus obscure, on cherche en vain des gens qui aient le courage de voir les choses comme elles sont et de tirer de cette vue les conclusions qui s’imposent. Partout, on semble pratiquer la politique de l’autruche.
D’aucuns mettaient quelque espoir dans le nouveau président des Etats-Unis et s’attendaient à le voir manifester l’intention de venir au secours de l’Europe. Hélas: le premier message présidentiel de M. Harding ressemble fort au geste de Ponce-Pilate se lavant les mains.
En France, il a suscité de telles inquiétudes que l’on met tout en œuvre pour se concilier les bonnes grâces de l’Amérique. C’est ainsi que M. Millerand, rompant avec tous les usages, a télégraphié le premier ses félicitations au nouveau chef d’Etat, sans attendre que ce dernier lui notifie son accession. C’est pourquoi également on charge M. Viviani d’une nouvelle mission aux Etats-Unis, où il s’était rendu déjà en 1917 avec le maréchal Joffre et où il connut alors de véritables triomphes oratoires. Les circonstances sont aujourd’hui bien changées et l’on peut se demander jusqu’à quel point la nouvelle campagne de M. Viviani sera «rentable» pour la France. Quoi qu’il en soit, nous sommes encore loin, à vues humaines, du jour où la patrie de M. Wilson entrera dans la Société des Nations.
Vous connaissez les résultats de la conférence de Londres. Les impressions que j’avais recueillies ici avant le départ de M. Briand pour l’Angleterre, me donnaient à penser que l’on éviterait autant que possible l’application de sanctions militaires. Ce n’est pas que des mesures de coercition par les armes n’eussent pas en France de nombreux partisans, mais on savait qu’elles répugnaient aux Anglais et on souhaitait maintenir l’unité de front entre alliés.
A ce point de vue, la tâche de M. Briand paraît avoir été singulièrement facilitée par l’attitude du Dr. Simons et de ses collègues. L’opinion française craignait que, si les Allemands apportaient à Londres des propositions qui, sans satisfaire aux exigences de la France, eussent été considérées par M. Lloyd George comme raisonnables ou du moins discutables, les délégués français se fussent vu obligés à consentir de nouvelles concessions à la solidarité de gouvernements de l’Entente. Ces concessions eussent fâcheusement amoindri le prestige de M. Briand dans son pays. Mais, grâce au non possumus des Allemands, le président du Conseil pourra, dès son retour à Paris, montrer au Parlement que, sans rien céder des revendications françaises, il a su se maintenir en étroite communion de vues avec son collègue britannique. La situation intérieure du ministère Briand se trouve donc consolidée.
Les sanctions militaires prises à l’encontre de l’Allemagne n’augmentent pas très sensiblement l’étendue des territoires occupés. Elles ont été déterminées surtout, semble-t-il, en vue des sanctions économiques, dans le but d’assurer à ces dernières le maximum d’efficacité. Ces mesures économiques, tendant à instituer en Rhénanie, au bénéfice des Alliés, un régime douanier spécial, n’en demeurent pas moins d’une application difficile. Certaines des puissances associées à l’opération paraissent manifester à son endroit quelque scepticisme. L’Italie, en particulier, aurait formulé des objections et ne serait pas très désireuse, en ce qui la concerne, d’appliquer dans toute leur rigueur les décisions de Londres.
Le système élaboré par la Conférence pourrait, si la mise en œuvre en est poursuivie longtemps et minutieusement, causer à la Suisse des embarras. Il est à craindre, en effet, que les Allemands, pour se soustraire aux prélèvements imposés par leurs adversaires, ne s’efforcent de démarquer leurs marchandises en les faisant passer, par les pays neutres, dans les pays alliés. Sans doute seront-ils également tentés de recourir aux neutres pour leur demander de transformer et d’achever certains produits qu’ils leur livreraient à l’état brut ou demi- manufacturé. Cela pourrait amener les puissances de l’Entente à vérifier de très près la limitation du pourcentage de matière allemande que contiendraient les articles livrés à l’exportation par l’industrie suisse.2
Mais tout cela nous sera peut-être épargné si les négociations entre les Alliés et l’Allemagne sont reprises prochainement sur des bases nouvelles.
Je n’ai aucun renseignement précis sur ce qui s’est fait jusqu’à ce jour à Londres, touchant la question d’Orient. La révision ou le «réajustement» du traité de Sèvres constitueront, selon toute vraisemblance, une œuvre de longue haleine. Ni les Turcs d’Angora ni les Grecs, constantiniens comme vénizelistes, ne se montrent disposés à obéir aux injonctions de l’Entente. En France, l’opinion est loin d’être unanime sur les solutions à donner aux problèmes orientaux. L’attitude du gouvernement s’en ressent et ses intentions ne sont peut-être pas encore très fermes.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris 74.↩
- 2
- Note du Conseiller fédéral Schulthess en marge de ce paragraphe: Von dem regelmässigen Verarbeiten deutscher Halbfabrikate gibt sich doch wohl die Gesandtschaft auch Rechenschaft!↩
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