Également: Tâche de la mission militaire et position à prendre par elle.
Également: Note remise à Paris au Général Sackville West et au Colonel Pariani. Annexe de 10.4.1919
Également: Rapport de la Mission militaire au Chef du DPF; exposé de l’ensemble des questions qui se sont posées à elle.
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 7-I, Dok. 334
volume linkBern 1979
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
Signatur | CH-BAR#E2001B#1000/1508#20* | |
Dossiertitel | Militärkommission nach Paris (Oberst Favre und Oberst Vuilleumier), Februar 1919 (1919–1919) | |
Aktenzeichen Archiv | B.56.41.01.10.2 |
dodis.ch/44079
RAPPORT AU CHEF DU DÉPARTEMENT POLITIQUE SUISSE SUR LA MISSION À PARIS DU COLONEL VUILLEUMIER ET DU LIEUTENANT-COLONEL FAVRE
1.) But de la Mission
Le Vendredi 4 Avril à 9 H. du matin le Chef d’Etat-Major de l’armée, M. le Colonel Commandant de Corps de Sprecher nous fit venir à son bureau et en présence de M. le Colonel Divisionnaire Bridler nous donna des instructions en vue d’une mission à Paris dont le Département Politique voulait charger deux officiers d’Etat-Major.
Il s’agissait, sur une demande de M. Rappard, de nous rendre à Paris, d’y rencontrer un délégué de l’Etat-Major Anglais et de lui exposer quelle serait la situation militaire de la Suisse si elle entrait dans la Ligue des Nations en abandonnant sa neutralité, notamment en tenant compte de l’Art. XVI du Pacte. Nous devions chercher à convaincre notre interlocuteur que les points énoncés à l’Art. XVI du projet de Pacte2 constituaient pour la Suisse une augmentation de risques considérable, qu’ils n’offraient à la Ligue des Nations que des avantages très problématiques voire même des inconvénients certains, tandis que la neutralité suisse restait comme en 1815 dans l’intérêt de la politique de l’Europe.
Notre mission, provoquée par une invitation de Lord Cecil, était spécialement destinée à une entrevue avec les Anglais; nous devions cependant chercher à rencontrer des délégués militaires français, américains et italiens si la chose était possible et si les circonstances que nous trouverions à Paris paraissaient le rendre désirable. Nous devions pour cela prendre conseil de M. le Ministre Dunant et de M. Rappard.
Le Colonel de Sprecher nous développa les arguments que nous devions employer et nous remit un mémoire rédigé par lui «Der Völkerbund und die Schweiz»3 ainsi que deux mémoires du Prof. Max Huber «De la situation particulière de la Suisse3» et «Neutralität und Völkerbund».4 En outre nous eûmes à notre disposition le projet du «Pacte de la Ligue des Nations»5 et le «Mémorandum relatif à la neutralité Suisse»6 du Conseil Fédéral, ainsi que divers ouvrages relatifs à la neutralité. (Hilty, Pictet de Rochemont, Huber-Saladin, Colonel Wieland.)
Nous eûmes le même jour des entrevues avec M. le Conseiller Fédéral Calonder et M. le Prof. Max Huber qui nous mirent au courant de la situation politique et complétèrent nos instructions.
Nous employâmes les journées des 5 et 6 Avril à étudier à fond notre sujet et à rédiger l’Aide-mémoire ci-joint (Annexe 1). Il fut soumis dans ses grandes lignes à M. le Colonel de Sprecher qui demanda quelques modifications de détail et se déclara d’accord.
Nous arrivâmes à Paris le 7 Avril au matin et eûmes de suite une entrevue avec MM. Dunant et Rappard.
2.) Entrevue avec M. le Ministre Dunant et M. Rappard, 7 Avril.
Nous remettons à ces Messieurs notre Aide-mémoire et leur demandons de nous orienter sur ce qui a été fait jusqu’à présent, sur la situation politique générale et de nous donner les indications et les conseils qu’ils jugeraient nécessaires pour mener à bien notre mission.
M. Rappard nous communique ce qui suit:
L’envoi de notre mission a été provoqué par une invitation de Lord Cecil qui paraissait personnellement disposé à des concessions sur l’Art. XVI du Pacte en tenant compte de la situation spéciale de la Suisse, mais qui réservait l’opinion de ses conseillers militaires.
Les Anglais et les Américains étant ainsi prévenus de notre venue, M. le Ministre Dunant désira formellement prévenir également les Français et les Italiens.
M. Rappard nous communiqua que le Conseil Fédéral unanime insistait sur la désignation de la Suisse comme siège de la L.d.N. Il fit remarquer que des négociations tendant à obtenir des conditions spéciales pour la Suisse pouvaient compromettre ce projet, surtout si les Belges, concurrents de la Suisse pour le siège de la L.d.N. en avaient connaissance.
Il eût préféré pour son compte que la Mission ne vînt à Paris qu’une fois cette question réglée et ce n’est que sur la demande formelle et pressante de Lord Cecil qu’il se décida à demander l’envoi immédiat de la Mission.
Il y avait là un nouvel élément de la question, dont nous n’avions pas été informés et qui pourrait rendre les négociations assez délicates.
M. Rappard estime que la rupture des relations économiques et autres (Art. XVI 1) acceptée par la Suisse constitue déjà en fait un abandon de la neutralité (même si elle peut se justifier au point de vue juridique) et par conséquent un casus belli. Les points 2 et 3 de l’Art. XVI (Coopération et droit de passage) perdent par là de leur importance, cependant au point de vue du peuple Suisse ils en garderont certainement et pourront influencer sa décision au moment du vote sur l’entrée dans la L.d.N. Il y a pourtant là une ambiguïté sur laquelle il faudra certainement s’expliquer une fois ou l’autre.
Si la Suisse se décidait à rester en dehors de la L.d.N.M. Rappard estime que, vu la mentalité actuelle, il ne serait pas possible de rester sous le régime créé par le Traité de 1815. La neutralité perpétuelle et garantie de la Suisse ne serait pas reconnue. De l’avis de tous, le Traité de 1815 a vécu.
Il nous faut tenir compte, dans les négociations actuelles, que l’Allemagne est considérée pour le moment comme le seul adversaire possible de la L.d.N. Contrairement à l’avis des Anglais et des Américains, les Français se refusent formellement à l’admettre dans la L.d.N. et considèrent que le terme «international» implique l’exclusion de l’Allemagne.
M. le Ministre Dunant a laissé la parole à M. Rappard qui a été plus directement en rapport avec les Anglais et les Américains. Il désire cependant insister sur les points suivants:
La mission devra être purement militaire et agir indépendamment de lui. Il se demande si la présence de M. Rappard est indiquée dans des entrevues que nous pourrons avoir avec des représentants militaires des Puissances. Sur nos objections, il reconnaît cependant qu’il y a un avantage à ce que M. Rappard, bien au courant des questions politiques, nous accompagne comme conseiller.
Il attire l’attention sur l’importance qu’il y a à ne pas entretenir des rapports exclusifs avec les Anglais et les Américains. Il annoncera donc notre présence aux Français et aux Italiens pour le cas où ceux-ci désireraient s’entretenir avec nous.
Comme orientation générale il nous dit que la L.d.N. est en fait l’œuvre des Anglais et des Américains, les Français semblent ne pas y croire, les Italiens sont surtout occupés de la question de l’Adriatique et ont au surplus peu d’influence.
3.) Entrevue avec le Général Anglais Sackville West. 8 Avril.7
Le 8 Avril au matin, M. Rappard nous communique que le Général Anglais Sackville West a été désigné pour conférer avec nous. Le rendez vous à été fixé à 3 h. 30 à l’Hotel Majestic. Très courtoisement le Général Sackville West a insisté pour venir lui-même de Versailles, il voulait même venir à notre hôtel.
Le Colonel Vuilleumier expose au général Sackville West les arguments de l’Aide-mémoire. Le général Sackville West l’écoute d’une façon très sympathique et affirme comprendre très bien notre point de vue Suisse. Il désire poser encore quelques questions, non pas comme objections mais afin de se renseigner plus complètement.
En premier lieu il lui paraît que l’adhésion au point 1 de l’Art. XVI. (mesures économiques, etc....) pourrait constituer déjà par elle-même un casus belli dans une telle mesure que la Suisse serait de ce fait obligée aux mêmes mesures que celles qui lui seraient imposées par l’abandon complet de sa neutralité (adhésion aux points 2 & 3 de l’Art. XVI).
A cela il lui a été répondu:
1.) Que la Suisse ne pouvant en fait pas livrer grand’chose de ses propres produits à un voisin, la valeur pratique de cette disposition était de peu d’importance.
2.) Que même si le voisin y perdait quelque chose, il pourrait cependant trouver encore un avantage à profiter de la neutralité purement militaire de la Suisse. L’abandon complet de celle-ci mettrait la Suisse devant la quasi-certitude de la guerre sur son territoire, tandis que l’adhésion au point 1 Art. XVI lui laissait encore quelques chances d’y échapper.
3.) Que la Convention de La Haye ne considère que la neutralité militaire et pas la neutralité économique.
En second lieu il fit remarquer que si les arguments donnés au point de vue offensif et défensif peuvent justifier une balance des avantages et des inconvénients résultant pour L.d.N. de la reconnaissance de la neutralité de la Suisse, il reste la question des transports de troupes et de matériel à travers la Suisse d’un pays de la Ligue dans l’autre.
Il a été répondu, d’une part, par l’argument tiré du peu de capacité de transport de nos voies ferrées, de leur vulnérabilité augmentée encore par l’électrification prochaine et d’autre part, par la nécessité de mesures militaires sur le territoire suisse pour la protection de ces transports, mesures qui équivalent à un abandon de la neutralité militaire.
Le Général Sackville West a résumé son impression en ceci que nous cherchions à rendre admissible à notre peuple l’adhésion à la L.d.N. en obtenant des conditions spéciales pour la Suisse.
A cela nous avons répondu:
1.) Que la situation très spéciale de la Suisse légitimait ces conditions spéciales.
2.) Que son admission sans conditions dans la L.d.N. aggraverait notablement sa situation actuelle et lui imposerait de ce fait des charges militaires considérables.
3.) M. Rappard a insisté sur ce qu’il y avait là pour la L.d.N. une question d’équité supérieure à celle de ses intérêts.
Comme l’envoi de la mission avait été provoqué par une demande des Anglais nous avons demandé au Général Sackville West s’il estimait que nous devions aborder également les représentants d’autres pays, tout en lui disant que les Américains, les Français et les Italiens étaient prévenus de notre arrivée.
Il répondit qu’il en référerait à Lord Cecil auquel il ferait rapport sur notre entrevue.
Il déclara inutile la remise d’une note écrite et laissa prévoir la possibilité d’une nouvelle entrevue.
Le résultat de cette conversation nous parut satisfaisant. Nous eûmes le sentiment que nos arguments avaient frappé le Général Sackville West et qu’il soutiendrait notre point de vue auprès de Lord Cecil. Les événements ont prouvé que ce n’était pas là une illusion.
M. le Ministre Dunant nous communiqua une lettre du Général Weygand l’avisant qu’il avait informé de notre présence le Général Belin, Représentant Militaire permanent Français auprès du Conseil Suprême de Guerre8.
4.) Entrevue avec le Colonel italien Pariani. 9 avril.
M. le Ministre Dunant nous fit savoir que nous étions attendus le 9 avril à 3 h. après-midi, à l’Hôtel Edouard VII, par le délégué militaire Italien, Colonel Pariani.
Nous nous y rendîmes accompagnés de M. Rappard.
Le Colonel Pariani nous parut de suite très bien préparé. Des cartes étaient étalées sur la table et il semblait avoir étudié à fond la question.
Lorsque le Colonel Vuilleumier lui eut exposé les arguments de la Suisse, le Colonel Pariani déclara spontanément que s’il était Suisse il ne jugerait pas la question différemment. Il dit expressément que, vu la longueur du front commun à la Suisse et à l’Italie, il considérait que pour celle-ci l’inviolabilité du territoire suisse constituerait un avantage évident et cela dans tous les cas.
Il s’est sans aucune réserve déclaré personnellement d’accord avec les arguments exposés, et dit qu’il en référerait à S. Exc. le Général Diaz sans pouvoir naturellement engager en rien le jugement de celui-ci.
Il a reconnu spontanément que le droit de passage devait forcément impliquer l’occupation du territoire et entraîner des actions guerrières et que la coopération militaire et le droit de passage étaient étroitement liés.
Il a esquissé que si l’intérêt matériel d’une coopération Suisse pouvait être considéré comme accessoire, l’intervention de la Suisse dans une mesure d’exécution pouvait cependant avoir une certaine importance morale.
A cela il lui a été répondu que la contribution militaire de la Suisse résidait dans le fait qu’en couvrant son territoire par son armée, elle assurait un élément fixe dans le calcul stratégique et réduisait le front.
M. Rappard a fait allusion à la situation spéciale que donnerait à la Suisse le siège de la L.d.N. et a ajouté que cette allusion nous était permise, S. Exc. Orlando ayant bien voulu se déclarer favorable à ce choix.
Sur la proposition qui lui en a été faite, le Colonel Pariani a exprimé le désir que nous lui remettions une note écrite résumant nos arguments.
D’une façon encore plus précise que la veille nous eûmes le sentiment que notre intervention n’avait pas été inutile et que notre interlocuteur serait prêt à défendre notre point de vue devant ses chefs.
5.) Seconde entrevue avec le Colonel Pariani. 10 Avril.
Le 10 Avril, le Lt. Colonel Favre se rendit auprès du Colonel Pariani pour lui remettre la note ci-jointe (Annexe 2).9
A cette occasion celui-ci souleva la question suivante:
Dans une guerre de la Ligue avec un Etat limitrophe de la Suisse, le droit de passage accordé à la L.d.N. met incontestablement la Suisse en danger de devenir champ de bataille. Il n’en est pas de même si le pays adversaire de la L.d.N. n’est pas limitrophe de la Suisse. Celle-ci pourrait alors accorder le droit de passage sans danger pour elle-même.
A cela il fut répondu:
1.) L’inviolabilité de la Suisse est pour nous une question de principe qui par ce fait même ne souffre pas d’exception.
2.) Ce serait un manque de dignité pour la Suisse de refuser le droit de passage lorsqu’il comporte un danger et de l’accorder lorsqu’elle ne risque rien.
3.) L’exiguïté de la Suisse au milieu de la carte de l’Europe démontre mieux que tout autre argument que pour une opération lointaine il n’y a aucun inconvénient majeur à contourner son territoire, surtout si l’on tient compte du faible rendement de ses voies ferrées au point de vue militaire.
Le Colonel Pariani répliqua qu’il avait posé sa question d’une façon toute générale et en vue d’avoir un argument dans une discussion possible. Pour lui-même il demeurait convaincu que le droit de passage à travers la Suisse ne présentait aucun avantage pour l’Italie, et qu’il maintenait entièrement ses conclusions de la veille.
6.) 10 au 12 Avril.
Après ce début encourageant, nous devions malheureusement nous trouver en face de circonstances moins favorables. D’une part nous n’avions reçu aucune réponse des Français et d’autre part M. Rappard qui avait, le 10 Avril, sur notre demande, prié M. Miller de nous ménager une entrevue avec un délégué militaire Américain, s’était heurté à une fin de non recevoir absolue. M. Miller lui dit en substance que cela ne serait d’aucune utilité pratique, car même si nous réussissions à convaincre le délégué militaire Américain de la justesse de notre point de vue, cela ne changerait rien au principe absolu qui interdisait toute exception quelconque en faveur d’un pays quel qu’il soit.
Assez embarrassés sur la conduite à suivre, nous nous demandions par quels moyens nous arriverions à vaincre l’obstination des Américains et l’indifférence au moins apparente des Français, ou même si nous devions rechercher à tout prix une entrevue avec eux, lorsque le 11 au matin M. Rappard nous communiqua ce qui suit:
Il avait appris que M. Miller avait fait un mémoire concluant qu’il ne fallait faire aucune exception, ni accorder de conditions spéciales à aucun Etat pour son entrée dans la L.d.N. C’est ce qui expliquait son intransigeance. Ayant demandé au Colonel House l’autorisation de prendre connaissance de ce mémoire pour pouvoir éventuellement y répondre, M. Rappard la reçut, mais malgré ses instances, le secrétaire du Colonel House lui refusa la communication de cette pièce, la forme en étant telle qu’elle le froisserait certainement!?)
M. Rappard s’adressa alors à Lord Cecil qui fut plus encourageant. Les arguments de la mission militaire Suisse que lui avait présentés le Général Sackville West l’avaient convaincu qu’il fallait chercher un terrain de conciliation.
Dans une conférence qu’ils eurent à ce sujet Lord Cecil et le Colonel House tombèrent d’accord pour rejeter les conclusions du mémoire Miller et pour tourner la difficulté; ils admirent que les décisions concernant la coopération militaire et le droit de passage (Art. XVI) devraient être prises à l’unanimité et que l’Etat intéressé serait représenté. Cela équivaudrait en fait à un droit de veto et permettrait à la Suisse de maintenir pratiquement sa neutralité dans chaque cas particulier.
Cette solution ne va évidemment pas aussi loin que nous le désirons, à savoir la reconnaissance formelle de la neutralité reconnue et garantie telle qu’elle existait jusqu’ici; elle marque cependant un progrès sur les dispositions de l’Art. XVI du projet de Pacte.
Le Colonel House en communiquant ces faits à M. Rappard lui conseilla de provoquer le départ de notre mission, sa présence étant maintenant inutile et pouvant même présenter des inconvénients, en particulier pour ce qui concerne la question du siège de la L.d.N.
Malgré cela, et d’accord avec M. le Ministre Dunant et M. Rappard, la mission se décida à prolonger son séjour à Paris jusqu’au 15 Avril. Les Français ayant été officiellement prévenus de sa venue, elle estimait qu’il fallait laisser s’écouler un laps de temps suffisant pour que ceux-ci pussent manifester leur intention de la rencontrer. La France étant un de nos principaux voisins, il ne fallait pas avoir l’air de traiter exclusivement avec les Anglais. D’autre part le siège de la conférence étant à Paris nous estimâmes qu’il y avait un devoir de courtoisie à ne pas paraître chercher à éviter les maîtres de la maison.
Toutefois les Français ayant voté contre la Suisse dans la question du siège de la L.d.N., il est peut-être très heureux qu’ils n’aient pas manifesté le désir de nous rencontrer.
7.) 14 Avril.
M. Rappard nous fait la communication suivante:
Le Colonel House lui ayant confirmé qu’après sa conférence avec Lord Cecil les conclusions du mémoire Miller avaient été rejetées, il lui demanda de quelle façon les bonnes dispositions des Américains et des Anglais à notre égard pourraient se traduire en un résultat pratique et quelles seraient les modifications que l’on apporterait au Pacte dans ce but.
Le Colonel House répondit que l’Art. XVI n’était pas modifié et que le Pacte tel qu’il est actuellement ne subirait plus de modifications avant d’être soumis à l’Assemblée plénière pour sa ratification.
Devant l’étonnement et la consternation de M. Rappard qui lui dit que dans ce cas tous les efforts des négociateurs Suisses avaient été vains, le Colonel House garda une attitude encourageante disant qu’il ne comprenait pas le découragement de M. Rappard, que tout allait bien, etc....
Sur l’insistance de M. Rappard le priant de lui expliquer cette contradiction apparente avec des faits établis, le Colonel House lui répondit que la Suisse au moment de déclarer son adhésion au Pacte n’avait qu’à formuler ses réserves.
Les négociations en étaient donc arrivées à un point mort et il ne semble pas que jusqu’à l’Assemblée plénière à laquelle sera soumis le projet définitif du Pacte, on puisse encore obtenir quoi que ce soit. Le Pacte tel qu’il est actuellement, et dont nous n’avons aucun moyen de connaître les modifications, restera tel quel d’ici là et ne sera porté à la connaissance du public qu’une fois ratifié.
Pour nous, tout se réduira alors à une question d’interprétation plus ou moins favorable.
Dans ces conditions la mission jugea qu’elle n’avait plus rien à faire à Paris, du moins pour le moment et partit le 15 au soir.
Qu’il nous soit permis en terminant de remercier M. le Ministre Dunant de sa bienveillance et de ses précieux conseils, et de rendre hommage à l’inlassable persévérance de M. Rappard qui, dans une situation souvent délicate, ne recule devant aucune démarche pour chercher à obtenir tout ce qu’il peut pour notre pays.
8.) Conclusions.
a.) La Mission estime avoir rempli sa tâche militaire en amenant, par l’intermédiaire du Général Sackville West, Lord Cecil à reconnaître lui-même et à faire reconnaître par le Colonel House la situation spéciale de la Suisse. Les Anglais et les Américains semblent bien disposés pour nous. Ils paraissent prêts à interpréter les articles du Pacte dans un sens conforme à des intérêts qu’ils reconnaissent justifiés, mais ne vont pas jusqu’à faire une exception en notre faveur. Lors de l’adhésion de la Suisse à la L.d.N. on peut admettre, si rien ne change d’ici-là, qu’ils défendront le point de vue suisse à condition que celui-ci puisse encore trouver sa place dans le cadre des articles du Pacte interprétés largement. Il semble cependant exclu que la Suisse entrant dans la L.d.N. puisse garder sa neutralité telle qu’elle existait jusqu’ici.
b.) Il ne faut pas se dissimuler que dans toutes ces négociations, on ne peut se baser sur aucun fait précis et officiellement enregistré. Nous n’avons en face de nous que des conversations et des opinions particulières de Lord Cecil et du Colonel House, opinions qui tirent leur valeur des personnalités qui les expriment mais qui ne constituent pas une base solide.
c.) Il faut de suite étudier soigneusement les réserves que la Suisse pourra formuler au moment de son adhésion. Si l’on va trop loin on risque de tout compromettre, en particulier le siège de la L.d.N. D’autre part, il faut chercher à obtenir le maximum de concessions possibles. Pour cela il faudra sans doute sonder officieusement ceux qui nous sont favorables, c’est-à-dire les Anglais et les Américains, afin de savoir s’ils sont disposés à soutenir notre point de vue.
d.) Il ne semble pas probable que si la Suisse refusait d’entrer dans la L.d.N. elle puisse rester sous le régime du Traité de 1815. Ce point serait à préciser si possible.
e.) La Suisse refusant d’adhérer à la L.d.N. en perdrait le siège, ne sauverait probablement pas sa neutralité et avec la mentalité actuellement prédominante en France, cela lui serait imputé comme une quasi-alliance avec l’Allemagne. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les conséquences.
f.) Le moment où la Suisse formulera son adhésion en même temps que ses réserves étant d’une importance capitale pour l’avenir du pays, il serait peut-être utile qu’à ce moment-là une personnalité très en vue vînt soutenir de son autorité nos négociateurs dans leur tâche difficile.
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