dodis.ch/43392
Le Ministre de Suisse à
Paris, Ch.
Lardy, à la Division des Affaires étrangères du Département politique
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Paris, 25 avril 1915, 16 h
Ai reçu hier soir votre télégramme. On admet ici, notamment aux Affaires Etrangères, que la force des choses amènera une rupture entre l’Autriche et l’Italie si celle-ci insiste pour obtenir Trieste et la Dalmatie. Il n’est pas certain que les exigences aillent aussi loin.
Tittoni déclare les hésitations à Rome aussi grandes que légitimes. Si l’Italie décidait de marcher, elle négocierait forcément avec la France pour préciser divers points.
Les Français évitent de presser, convaincus que ceci ferait à Rome plus de mal que de bien.
Cercles officiels français ne considèrent pas une action militaire comme imminente de la part des Italiens; il faudrait qu’elle vînt des Autrichiens. En tous cas, les Gouvernants français sont d’avis - et un membre du Cabinet m’a déclaré ce matin - qu’ils n’ont aucune inquiétude quelconque pour la Suisse dans une guerre austro-italienne et me garantissent que dans les pourparlers futurs inévitables, la France ferait valoir que la Suisse doit non seulement être respectée officiellement mais être traitée très amicalement. Tittoni prodigue de son côté les déclarations amicales et conseille en souriant que nous occupions, si la guerre éclatait, la région de la Dreiländerspitze pour pouvoir dire à Rome que c’est dirigé contre l’Autriche et à Vienne l’inverse. Tittoni garantit en tous cas le statu quo pendant 8 jours, ce qui n’implique nullement qu’il sera modifié dans 8 jours. D’après Tittoni, de nombreux personnages considérables de son pays sojit très hésitants, peu sympathiques à l’introduction des Slaves dans la Méditerranée, comme aussi enclins à redouter une violente revanche austro-allemande dès que les circonstances le permettraient; le peuple s’en rapporte absolument au Gouvernement dont la responsabilité est redoutable. Tittoni repart ce soir pour Rome. Le public français, assez peu chaud, manque de confiance dans les chances de succès de l’Italie, se demande si elle ne se laissera pas battre et s’il ne faudra pas aller à son secours; d’autres Français, se croyant sûrs du succès final sans l’Italie craignent qu’elle ne se pose en sauveur exigeant, ce qui les conduit à la même conclusion.