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Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 4, Dok. 378
volume linkBern 1994
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#1160* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 491 | |
Dossiertitel | Washington, Politische Berichte und Briefe, Militär- und Sozialberichte, Band 19 (1902–1902) |
dodis.ch/42788 Le Ministre de Suisse à Washington, G. B. Pioda, au Président de la Confédération et Chef du Département politique, J. Zemp1
J’ai eu l’honneur de vous transmettre le 28 février un petit rapport2 de M. Stroehlin contenant ses impressions sur l’arrivée du Prince Henri de Prusse à Washington.
Dans ma lettre d’accompagnement je vous faisais savoir que je vous entretiendrais plus au long de cet événement, ce que j’ai l’honneur de faire aujourd’hui.
Depuis l’attitude prise par les croiseurs allemands dans la baie de Manille, lors de l’incident qui n’a jamais été bien clairement défini et dont les correspondants anglais de Shangaï n’ont pas manqué d’exagérer la portée, l’opinion publique américaine était peu sympathique à l’égard de l’Allemagne. Les sondages pratiqués sur les côtes du Venezuela par des vaisseaux allemands en vue d’y établir un port à charbon, puis les discours du Vice-Président Roosevelt et surtout du sénateur Lodge qui, en visant l’Allemagne, ont affirmé de la manière la plus stricte et la plus susceptible la doctrine de Monroe, enfin la constatation de l’expansion considérable du commerce allemand dans l’Amérique centrale et méridionale, et les restrictions vexatoires apportées par le Gouvernement allemand à l’exportation américaine vers l’Empire germanique, ont augmenté chez les Américains ces sentiments peu amicaux.
Le Comte Cassini, Ambassadeur de Russie, me disait même que les rapports entre les Etats-Unis et l’Allemagne étaient très mauvais et qu’une guerre entre ces deux pays devait nécessairement éclater tôt ou tard: une guerre navale, ajoutait-il, aucun des deux adversaires ne pouvant entreprendre une guerre sur terre. L’Allemagne aurait en effet beaucoup de peine à transporter son armée à une aussi grande distance et, si elle pouvait remporter au commencement des succès grâce à sa supériorité d’organisation, les Etats-Unis trouveraient à la longue la force de résistance nécessaire dans l’immense extension de leur territoire et dans leurs ressources presque inépuisables d’hommes et d’argent.
De leur côté les Etats-Unis, qui n’ont pas de marine marchande, ne pourraient pas organiser le transport d’une armée sur les côtes de l’Allemagne, et n’auraient, du reste, pas d’armée d’invasion à lancer sur ce pays.
La guerre ne saurait éclater que sur un point des côtes de l’Amérique centrale ou méridionale; elle se réduirait donc à une guerre navale.
Mais lorsque l’Allemagne, dans son différend avec le Venezuela, s’est trouvée récemment en présence de l’éventualité de devoir recourir aux arguments extrêmes vis-à-vis de ce pays peu civilisé, elle a, pour pouvoir procéder, le cas échéant, sans donner ombrage au Gouvernement américain, informé celui-ci, par écrit, de ses intentions, en l’assurant que les forces militaires allemandes, après avoir obtenu la satisfaction qu’elles exigeaient, se retireraient du territoire vénézuélien.
L’Angleterre et l’Italie, dans leurs différends avec le Nicaragua et la Colombie, avaient agi sans en informer préalablement les Etats-Unis.
Le procédé de l’Allemagne a donc établi un nouveau précédent. Le bruit courait, peu après, que la France avait suivi l’exemple de l’Allemagne à l’occasion de difficultés qu’elle a eues avec le même gouvernement vénézuélien. Ayant requis le Secrétaire d’Etat, M. Hay, de me dire, si cette nouvelle était exacte il me répondit négativement. Je lui posai alors la même question au sujet de l’Allemagne, et il me dit que, dans ce cas-là, le fait était vrai. Comme je lui demandais si le Gouvernement américain voyait dans la communication de l’Allemagne une reconnaissance écrite de la doctrine de Monroe, M. Hay sourit, et, après un moment de silence me répondit: «Il n’a pas été question de la doctrine de Monroe, et je ne veux pas faire dire à la communication allemande plus qu’elle n’a dit»; après une autre pause, il ajouta: «Mais vous avez vu par le message du Président Roosevelt quelle est sa manière de voir au sujet de la doctrine de Monroe. L’absence d’opposition est un acquiescement tacite.3 »Quelle que soit la portée du procédé allemand, il a produit en fait un sentiment de satisfaction dans les sphères politiques et dans l’opinion publique de ce pays, et la nouvelle que l’Empereur d’Allemagne avait choisi la fille du Président Roosevelt comme marraine du yacht qu’il a fait construire dans un chantier américain, a causé un plaisir manifeste. L’idée de choisir Mlle Roosevelt a été suggérée à l’Empereur par l’Ambassadeur de Holleben pendant son congé annuel à Berlin.
Enfin, la nouvelle que l’Empereur enverrait, pour assister au lancement de son yacht, son propre frère, est venue donner un caractère encore plus flatteur à cette heureuse idée.
La réception du Prince a exigé de laborieux préparatifs. Les Américains déclarent toujours qu’ils sont très démocratiques, et qu’ils dédaignent l’étiquette et toutes les petites nuances formalistes des Cours. C’est bien vrai, quand il s’agit des autres, mais ce n’est pas vrai du tout dès qu’il s’agit d’eux-mêmes et des égards auxquels ils prétendent avoir droit. Ils sont très prétentieux en Europe mais ne voudraient rien accorder aux Européens ici. Il paraît que cela n’a pas été comme un gant que le Président rendît au Prince sa visite, honneur qui jusqu’à présent avait été réservé aux héritiers du Trône, mais qui était considéré comme la condition sine qua non de la visite du Prince à la Maison-Blanche.
Il n’a pas manqué non plus d’originaux, qui ont voulu affirmer leur religion et leur horreur républicaine et démocratique pour la royauté. A la Chambre des représentants, le député démocrate Wheeler du Kentucky, a fait un discours des plus insultants non seulement contre la Monarchie mais contre les Allemands, discours qui, en prévision des élections de l’automne prochain, a rempli de joie les députés du parti républicain et plongé dans la consternation ceux du parti démocratique qui représentent des Etats où l’élément allemand abonde.
Ce discours a été en effet distribué par les républicains par milliers de copies dans lesdits Etats.
Dans le Conseil municipal de Baltimore aussi, un conseiller a prononcé un discours dans le même genre.
D’autres symptômes peu favorables se sont manifestés par-ci par-là, mais en général l’attitude a été correcte.
Ces bonnes impressions rapportées par la presse américaine et allemande n’ont pas manqué d’exciter la jalousie à Londres, où l’on a commencé une malheureuse campagne pour prouver aux Etats-Unis que leur seule amie sincère a toujours été l’Angleterre.
Une longue polémique s’en est suivie. Non seulement la presse allemande et la presse anglaise, mais aussi celle de la France y ont pris part, chacun de ces trois pays jurant ses grands Dieux qu’il avait eu les meilleurs sentiments pour les Etats-Unis pendant la guerre hispano-américaine. L’effet de cette polémique, pour des Européens en Amérique, était humiliant. Les Américains s’en moquaient avec un sentiment de haute satisfaction et du plus grand mépris pour ces amis rétrospectifs qu’ils savaient ne pas être sincères.
La querelle soulevée par l’Angleterre n’a pas bien fini pour cette puissance: l’Allemagne a pu prouver, par des documents publiés par la Chancellerie de la Wilhelmstrasse, et qui jusqu’ici n’ont pas été contredits, que ce n’était pas elle qui avait proposé, le 14 avril 1898, une seconde note collective à présenter par les grandes puissances européennes au Président McKinley en vue d’éviter la guerre. Il est résulté de cette publication que le projet était au contraire émané de l’Ambassadeur d’Angleterre et qu’il n’avait eu l’approbation ni des autres ambassadeurs ni de leurs gouvernements respectifs. Je puis dire à cette occasion que lorsque, au commencement de la guerre, l’Angleterre commençait à dire que c’était elle qui, seule amie des Etats-Unis, avait empêché une coalition européenne contre eux, les Ambassadeurs d’Allemagne et de France se sont exprimés vis-à-vis de moi d’une manière indignée. Ils m’affirmaient que c’était les Anglais qui, par l’entremise de Lord Pauncefote, avaient rédigé le projet de note collective contenant les expressions les plus énergiques. C’est lorsque les Ambassadeurs demandèrent à Lord Pauncefote si l’Angleterre serait prête, le cas échéant, à soutenir ses expressions par les armes, que le projet est tombé.
Si l’on déteste ici tout ce qui n’est pas américain en bloc, on accorde aux Anglais des circonstances atténuantes, quand cela ne coûte rien. C’est ce qui peut sans doute expliquer les tentatives faites par quelques journaux américains pour tirer Lord Pauncefote d’embarras, en admettant la supposition que le projet de note incriminé aurait été inspiré par le Ministre d’Autriche-Hongrie, par un sentiment de parenté dynastique, ou même par le Département d’Etat américain sous l’impulsion de McKinley, qui, personnellement, était désireux de trouver un moyen d’éviter la guerre.
Ces tentatives ne paraissent guère avoir trouvé d’écho, mais le Cabinet de Downing Street n’a pas manqué d’être traité de menteur et de lâche pour avoir désavoué Lord Pauncefote en lui attribuant l’initiative dudit projet de note.
Quoi qu’il en soit, le Prince est arrivé et par son attitude modeste, affable et digne en même temps, il a, comme l’a dit le Président Roosevelt, «gagné d’emblée les sympathies des autorités et de la population».
La réception officielle, comme je l’ai entendu caractériser par le Sous-Secrétaire d’Etat Hill, délégué civil du Gouvernement pour la réception du Prince, devait être «sans éclat mais substantielle»: «Nous ne voulons pas», disait M. Hill, «faire de grand bruit, mais montrer au Prince qu’on se sent confortable aux Etats-Unis. Le Congrès a voté $ 40.000», ajoutait-il, «mais nous croyons qu’avec 25.000 nous pourrons nous tirer d’affaire. La plus grande dépense sera celle des Chemins de fer auxquels on ne peut pas demander d’autres sacrifices après ceux qu’ils ont faits le printemps dernier pour le voyage du Président Me Kinley».
Ces remarques d’une cordialité douteuse marquent bien l’état d’esprit avant l’arrivée du Prince. L’impression produite par la personnalité de leur hôte a sans doute amélioré de beaucoup ces dispositions.
La même transformation s’est opérée dans l’attitude de la population. Les impressions que vous a transmises M. Stroehlin étaient aussi celles que M, Lardy et moi avons eues de l’accueil fait par la population de Washington à son visiteur. Il faut se rendre compte que, si l’instruction élémentaire est assez répandue dans les Etats-Unis, les notions historiques et géographiques sur le pays même et à plus forte raison sur d’autres pays sont excessivement rudimentaires et l’ignorance à l’égard des autres peuples pénètre jusque dans les hautes sphères. J’ai personnellement fait l’expérience de cette ignorance, car la femme d’un Ministre d’Etat et la fille d’un autre membre du Cabinet m’ont demandé «si la Suisse était un empire, un royaume ou une république». Dans les écoles, pour exalter le patriotisme des enfants, on leur fait croire que les Américains dépassent toute autre nation et que l’Europe gémit sous l’oppression de tyrans sanguinaires. Les Américains qui voyagent en Europe ne savent que l’anglais, qu’ils considèrent la langue la plus parfaite et la plus belle, et qu’ils croyent destinée à devenir la langue universelle. C’est la raison pour laquelle ils dédaignent d’en apprendre d’autres. En conséquence ils voyagent sans connaître et sans comprendre les pays qu’ils parcourent.
Il existe naturellement d’honorables exceptions.
Il n’est donc pas étonnant qu’on fasse à un Prince au premier abord un accueil dont l’indifférence se mêle d’une curiosité de badaud. Il s’y est ajouté bientôt de la surprise et de l’étonnement, et le Prince a été accueilli plus tard par des démonstrations de plus en plus vives et sympathiques.
[...]4
Je ne sais si les résultats politiques de ce voyage seront de grande portée ni s’ils seront durables. Je crois toutefois que les Allemands aux Etats-Unis en profiteront tout d’abord et, par ricochet, d’autres Européens aussi, car, comme je l’ai exposé plus haut, le mépris pour l’étranger provient beaucoup de l’ignorance et des préjugés de race.
C’est un phénomène remarquable que celui qu’offrent les Allemands dans ce pays. Nombreux comme ils le sont, avec leurs qualités sérieuses, ils n’ont toutefois pas réussi à s’affirmer dans les sphères qui dirigent l’administration et les destinées du pays, eux qui sont pourtant un coefficient très important de son développement économique et politique.
On a vu notre Gallatin, Ministre du trésor pour une durée de 13 ans (1801– 1814) qui a dépassé celle de l’administration de ses prédécesseurs et de ses successeurs, mais aucun Allemand n’est arrivé à une telle position et pourtant ils s’assimilent très rapidement, ils anglicisent leurs noms et deviennent bien vite des jingoes des plus exaltés.
Les Allemands attribuent cet insuccès à leurs divisions, à leurs jalousies personnelles et régionales, qui ne les élèvent pas dans l’estime de leur entourage et les affaiblit.
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