dodis.ch/42654 Le Ministre de Suisse à Vienne, A. de Claparède, au Président de la Confédération et Chef du Département politique, A. Deucher1
J’étais aujourd’hui chez l’Ambassadeur d’Angleterre Sir Horace Rumbold pour lui offrir mes félicitations à l’occasion du jubilé de sa souveraine. Après avoir déjà pris congé de lui et de Lady Rumbold, il me rappela et me pria d’entrer dans son cabinet, où il me demanda ce que je savais des intentions de M. Droz. Ne lui ayant rien dit qu’il ne sût déjà par les journaux ou autrement, Sir Rumbold se mit à me parler de M. Droz dans les termes les plus louangeurs. «Je l’ai connu à Berne, me dit-il, en 1880 alors que j’étais chargé d’affaires; il ne se rappelle sans doute plus de moi, mais j’ai conservé de cet homme éminent le meilleur souvenir. Mais que veut-il aller faire dans ce pays de brigands? Il faut en Crète des qualités et des pratiques administratives bien différentes de celles en usage chez Vous. En Suisse un conseiller fédéral doit être ferré sur toutes ces questions de détails, qui proviennent de la diversité des législations fédérale, cantonales et même communales. Tout se déroule logiquement sur la base des pactes constitutionnels. En Crète c’est le sabre qu’il faut savoir brandir. Certes je n’ai rien là contre si M. Droz veut se rendre dans cette île, s’il y tient, mais je désirerais mieux pour lui.» Il continua longuement sur ce thème. Lui ayant demandé s’il savait si les puissances, le cas échéant, seraient d’accord pour accepter M. Droz comme Gouverneur de l’île, il me répondit: «Sans doute nous l’accepterons. M. Hanotaux qui travaille la question crétoise avec acharnement, nous presse, il n’a peut-être pas si tort car mieux vaudrait avoir aujourd’hui un Gouverneur pour la Crête, que demain», puis reprenant son refrain, il ajouta, qu’il désirerait pour M. Droz mieux que «la Crète».
Ce petit speech débité avec la verve et la vivacité, qui caractérisent Sir Rumbold, ne m’a prouvé qu’une chose, c’est que la candidature de M. Droz n’est pas attaquée de front à Londres, mais que l’on conserve au Foreign Office l’espoir de voir M. Droz décliner cette candidature, ce qui ferait remonter quelque peu les actions du Prince Battenberg, toujours candidat in petto de celle qui fête aujourd’hui son 60ème anniversaire de Reine.