Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
13. France
13.1. Commerce
13.1.1. Traité de commerce et guerre douanière
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 4, doc. 66
volume linkBern 1994
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E13#1000/38#151* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 13(-)1000/38 32 | |
Titre du dossier | Korrespondenz des Departements des Auswärtigen mit der Schweizer Gesandtschaft in Paris, T. 1 (1891–1891) |
dodis.ch/42476
Le Ministre des Affaires étrangères, M. Ribot, auquel j’ai fait hier soir ma visite de rentrée, et auquel je ne disais rien des questions commerciales, a abordé le premier ce terrain en me disant: «Eh bien, voilà votre nouveau tarif voté.2 Arago nous télégraphie que la majorité est trop forte, et que vous êtes maintenant les prisonniers des protectionnistes.» J’ai répondu que j’avais quitté la Suisse la veille du scrutin, et n’avais reçu de Berne d’autre communication que les résultats du vote, mais que personnellement j’étais très satisfait; le tarif ayant été adopté par 60% des votants contre 40%, cela me paraît au contraire impliquer une situation plébiscitaire et parlementaire excellente, en ce sens que nous avons une arme contre les prétentions exagérées de nos voisins et une arme que nous pourrons effectivement employer si l’on se montre trop raide envers nous, la majorité du peuple y ayant consenti; d’autre part, si nous obtenons des concessions suffisantes pour arriver à des traités, la majorité me paraît assez faible pour que des concessions réelles sur le tarif à l’entrée en Suisse puissent être faites, et dans ce cas, le succès des traités devant nos Chambres me paraît assuré avec l’appui des 40% d’opposants au nouveau tarif. Dans ces conditions, la situation ne me paraît pas être celle dépeinte à la première heure par M. Arago, et je ne crois pas que nous soyons les prisonniers d’un groupe extrême quelconque.
«Je voudrais bien pouvoir en dire autant de nous-même», a répondu M. Ribot, «mais je ne dois pas vous cacher mon découragement. Le Sénat, sur lequel nous comptions un peu, paraît définitivement pire que la Chambre; en tous cas sa commission est encore plus protectionniste sous M. Ferry que celle de la Chambre sous M. Méline. Vous venez de voir le conflit soulevé à propos des viandes américaines, dont la commission sénatoriale voulait maintenir la prohibition, alors que la Chambre avait voté 20fr; on a arrangé les choses et M. Ferry a retiré sa démission, mais la commission propose 25fr. Cela va mal, et je ne crois plus à la possibilité de faire actuellement des traités. Il deviendra indispensable que d’importants intérêts français souffrent, que nous subissions une véritable crise industrielle, et alors seulement, sous la pression des intérêts meurtris, nous pourrons en revenir à une politique raisonnable.»
J’ai répondu que le cabinet actuel était devenu si puissant, les chances de crise si minimes, qu’il m’aurait paru possible et même pas trop difficile de tenter la partie. M. Ribot estime que, devant le courant actuel et lorsqu’il s’agit de coalitions d’intérêts privés, tout effort serait absolument vain aujourd’hui. Il a ensuite continué: «Notre intention est donc de nous borner à déposer un projet de loi autorisant le gouvernement à accorder le bénéfice du tarif minimum aux Etats qui ne frapperont pas les produits français de taxes plus élevées que les produits similaires d’autres pays. La Suisse jouira donc dans tous les cas du bénéfice du tarif minimum, car M. Droz m’a fait entrevoir que, de Votre côté, un traitement différentiel ne nous serait pas appliqué.»
J’ai répondu qu’il ne m’était pas possible de lui donner des assurances à cet égard. Les négociations que nous avons poursuivies à Vienne avec l’Autriche et l’Allemagne sont secrètes, mais je ne crois pas être indiscret en disant qu’au moment de leur suspension, il avait déjà été apporté de part et d’autre, des tempéraments sérieux aux tarifs respectifs; j’estime, personnellement, que ces négociations aboutiront à un traité, et je ne crois pas que l’Italie soit en situation de ne pas traiter avec nous. Il y aura donc, selon mes prévisions, toutes personnelles, un tarif conventionnel de la Suisse avec ses trois voisins et la valeur de ce tarif peut difficilement être considéré comme équivalente à la valeur du tarif minimum français. Dans nos cercles industriels, on est partout et sans hésiter de l’opinion que le tarif minimum français vaut peu de chose, et qu’il n’y a presqu’aucun intérêt à le lier; je n’ai pas trouvé une seule personne en Suisse qui fut disposée à signer quoique ce fût sur cette base. La magnifique clientèle suisse vaut bien un petit effort; si les droits du tarif minimum étaient réduits sur les quatre ou cinq articles spécialement suisses, fromages, horlogerie, tissus de soie, broderies etc., cela faciliterait un rapprochement.
«Comment cela?» demanda M. Ribot.
«Je n’ai aucun mandat d’entrer dans des détails quelconques; mais je me représente», ai-je répliqué, «que si Vous faisiez les réductions dont il s’agit, nous pourrions être amenés à réserver, dans nos négociations avec les tiers, un moins grand nombre de positions de combat contre la France. Non seulement nous pourrions avec moins de peine Vous accorder le traitement de la nation la plus favorisée, mais ce traitement vaudrait mieux pour Vous, puisque notre tarif aurait subi encore des réductions.»
«Je comprends fort bien», a répondu M. Ribot. «C’est très clair, et même cela aurait des avantages indirects, car ces concessions, Vous Vous les feriez payer à Berlin ou à Rome et nous en bénéficierions probablement dans une certaine mesure.»
«C’est possible et même probable, seulement nous ne pouvons nous faire Vos négociateurs ni à Berlin ni à Rome; que Vous fassiez ce raisonnement, cela prouve Votre perspicacité, mais nous sommes Suisses et rien que Suisses à Berlin, tout comme, si jamais nous devions négocier à Paris, nous ne voudrions pas être les porte-voix d’intérêts étrangers aux nôtres.»
«Tout cela est fort intéressant», a répliqué M. Ribot, «mais tout cela ne me semble pas pratique. Comment faire comprendre, comment même dire cela à un parlement ou même à une commission parlementaire? Je comprends d’ailleurs que, dans Vos négociations avec Vos autres voisins, Vous n’ayez fait, sur les artides intéressant aussi la France que le minimum de concessions; c’est tout naturel et nous ne saurions Vous en faire un reproche.»
«Je n’ai voulu que Vous indiquer en passant», ai-je répondu, «un moyen à tenter pour faciliter un rapprochement, dans l’hypothèse où des négociations Vous paraîtraient très difficiles. Je n’ai, je le répète, aucun mandat de négocier quoi que ce soit. Sans la moindre arrière-pensée de marchandage, j’ai tenu à Vous exposer en toute franchise la situation telle que je la comprends, et telle que me paraissent la comprendre nos cercles industriels.»
M. Ribot: «Nos gens sont ici dans de telles dispositions, qu’il faudra, je le répète, les souffrances devant résulter de notre futur tarif pour les ramener.»
Il me paraît qu’il n’y a actuellement d’autre tactique à adopter que le silence. Si l’occasion s’en présente, je répéterai à M. Jules Roche ce que j’ai cru pouvoir dire de mon chef à M. Ribot, avec les modifications que Vous voudrez bien m’indiquer. J’aurais préféré ne pas avoir actuellement cette conversation, mais je ne crois pas qu’il y ait de très grands inconvénients à ce qu’on ne nous croie pas ici prêts à échanger sans phrases notre futur tarif conventionnel contre le tarif minimum français. M. Ribot a cru devoir dire à M. Ressmann (Italie) et au Cte. Wrangel (Suède et Norvège), qui me l’ont rapporté, que la Suisse accorderait le traitement de la nation la plus favorisée à la France en échange du tarif minimum, j’ai dit à ces deux messieurs qu’il y avait là une erreur.
Le représentant de la Belgique, Bn. Beyens, m’a dit que son gouvernement négociait réellement à Berlin avec l’Allemagne, mais qu’il était faux que la Belgique négociât avec la France à Paris ou à Bruxelles.
Vous aurez lu dans le Matin d’hier l’interview d’un reporter de ce journal avec un diplomate espagnol sur l’impression produite de l’autre côté des Pyrénées par les droits français sur les vins. M. Floquet, Président de la Chambre des députés, que j’ai vu hier matin, en était fort impressionné. Il ne croit pas qu’il y ait rien à espérer du Sénat dans le sens d’une réduction des droits et pense que des augmentations sont au contraire à redouter. M. Floquet est un des rares libre-échangistes à peu près purs de ce pays; en outre Vous savez qu’il est, politiquement parlant, contre tout ce que fait son neveu M. Ferry (je dis politiquement, car en famille ils ont d’excellents rapports).
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