Classement thématique série 1848–1945:
V. ÉMIGRATION
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 144
volume linkBern 1990
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#1392* | |
Old classification | CH-BAR E 2(-)1000/44 232 | |
Dossier title | Verschiedenes (1848–1854) | |
File reference archive | C.322.3.24 |
dodis.ch/41143
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Connaissant l’intérêt paternel que le Gouvernement de la Suisse prend pour les Suisses en général, et même pour ceux en pays étrangers, je prends la liberté de vous adresser ces lignes dans le but de vous prier respectueusement de vouloir bien m’aider pour tâcher d’empêcher que nos compatriotes soient continuellement trompés en arrivant à New York.
New York, comme vous le savez, est le point le plus important d’arrivée aux Etats-Unis des émigrants suisses, dont la plus grande partie se rendent ensuite dans l’intérieur du pays, et à cet effet sont obligés d’y voyager au moyen des bateaux à vapeur, chemins de fer et canaux.
Nos émigrants étant naturellement étrangers, ne connaissant pas les localités et usages du pays, et surtout ne parlant pas la langue du pays, il s’est établi à New York un grand nombre de bureaux de commissionnaires d’expéditeurs d’émigrants (en anglais, Forwarders), chez lesquels les émigrants se rendent pour y faire leurs accords pour les frais de route dans l’intérieur et y recevoir les billets nécessaires pour les bateaux à vapeur et chemins de fer. Ces Forwarders ont des contrats avec ces entreprises, dont ils obtiennent une remise de prix, comme commission, ce qui serait un bénéfice raisonnable, et je dirai même équitable; mais généralement ils ne se contentent pas de ce bénéfice et demandent et obtiennent de nos émigrants ignorants, des prix beaucoup plus élevés, en un mot, ils traitent cela comme une marchandise et la vendent aussi cher qu’ils le peuvent faire; et à peu d’exceptions près tous ces Forwarders en agissent de même, faisant payer nos émigrants souvent 2 à 3 dollars par personne de plus qu’équitablement cela devrait avoir lieu. Or quand il arrive une famille nombreuse, cela fait une grande différence, surtout pour des gens souvent à petits moyens, et une fois l’affaire faite, il n’y a pas moyen d’obtenir justice et rembours de cette surcharge. Ces cas arrivent tous les jours, et tous les jours me donnent des ennuis et des vexations, sans que je puisse obtenir remboursement pour ces braves gens, qui viennent se plaindre au consulat suisse, au lieu d’y venir avant que d’avoir fait leur accord, pour demander les instructions nécessaires pour se garder contre cette conduite inhumaine des Forwarders.
Et c’est dans le but de m’aider à protéger nos compatriotes que je prends la liberté de vous adresser ces lignes; mais avant que d’indiquer un moyen à prendre à cet égard, je vous citerai quelques circonstances relatives à Immigration.
L’émigration depuis l’Europe aux Etats-Unis est immense, augmentant chaque année et on évalue que les surcharges payées à New York par les émigrants se montent par an à 4 à 500 000 dollars, disons deux millions de francs. J’estime que nos Suisses entrent dans cette surcharge pour au moins fr. 60 000.– annuellement et probablement davantage. Le Gouvernement de l’Etat de New York et de la ville de New York a à diverses occasions passé des lois pour protéger de ces fraudes nos émigrants, mais rarement avec succès complet. Les hommes qui exploitent les émigrants étant rusés et sachant jusqu’à quel point ils peuvent agir impunément, je pourrais écrire un volume à cet égard, mais je m’en dispense, de crainte de vous fatiguer. D’ailleurs j’ai eu l’honneur déjà d’écrire longuement à cet égard à l’honorable Commission des pauvres du canton d’Argovie, dont je soigne les affaires dans cette ville et, je sais, la copie de ma lettre a été envoyée à Berne, et probablement vous en avez eu connaissance.
Comme il existe un grand nombre de ces Forwarders à New York, naturellement il en résulte une grande rivalité, et afin d’engager les émigrants de se rendre à tel ou tel bureau, ils emploient des hommes, des espèces de courtiers, on les nomme Runners (coureurs) qui abordent les navires, tâchent d’obtenir la confiance des émigrants, les traitent à boire (je suppose), etc., pour les engager à se rendre à tel bureau, dont ils dépendent, et ces Runners obtiennent, à ce qu’on me dit, des Forwarders, souvent un salaire mensuel, et outre cela une commission de tant par tête; cela se nomme Kopfgeld.
Outre cela, les aubergistes chez qui les émigrants vont loger, obtiennent aussi un certain Kopfgeld des Forwarders pour chaque émigrant qu’ils leur amènent.
Eh bien, qui paie tout cela, en réalité, c’est le pauvre émigrant et c’est ce qui constitue la plus grande partie de la surcharge.
Indépendamment de cette surcharge, il est souvent arrivé qu’il y a eu des Forwarders qui ont reçu l’argent des émigrants et dont les billets n’ont rien valu, après qu’ils ont fait la moitié du voyage dans l’intérieur, et alors ils ont été obligés de payer une seconde fois, et faute de preuves légales dans plusieurs cas, je n’ai pas pu obtenir restitution et justice; en un mot, Messieurs, vous ne sauriez pas croire combien souvent ces circonstances m’ont vexé, de voir nos braves gens trompés, sans pouvoir leur aider convenablement, et souvent mon respectable ami, M. Auguste Gerber, président de la Société suisse de bienfaisance, et moi, avons raisonné ensemble relativement aux moyens à prendre pour déraciner ces infâmes abus.
Encore hier, une compagnie de Bernois se rendant d’ici à Cincinnati, ont payé 85 dollars de trop et nous n’avons pas pu obtenir justice.
Dernièrement un individu a joué le rôle de consul de Suisse pour aider à la fraude, et un autre celui de président de notre société de bienfaisance.
Je me suis plaint aux magistrats de notre ville; on a chargé un officier de police de découvrir le faux consul de Suisse; naturellement on ne l’a pas découvert, ces coquins étant très rusés. De plus ces Forwarders ont souvent des arrangements avec des personnes en Suisse qui sont leurs agents, et qui souvent déjà en Suisse, font des arrangements avec les émigrants pour leur voyage depuis New York dans l’intérieur du pays et obtiennent de l’émigrant un acompte ad hoc; et alors le pauvre émigrant est lié d’avance et sûr d’être trompé. Je viens donc vous prier, Messieurs, et même vous supplier, dans l’intérêt de nos émigrants, qui souvent sont des gens à petits moyens, de vouloir bien faire publier dans les gazettes des divers cantons, en un mot de donner toute la publicité possible, des abus que j’ai eu l’honneur de vous relater et surtout peser sur les points suivants:
1° de recommander aux émigrants de prendre aussi rarement que possible la route de la Nouvelle Orléans, vu les fièvres et souvent le choléra qui régnent sur les bateaux à vapeur du Mississipi, sans compter les dangers de la navigation sur ces bateaux à vapeur, ce qui est prouvé par les nombreux accidents mentionnés journellement dans nos gazettes.
2° de recommander aux émigrants de ne faire leurs accords pour le voyage dans l’intérieur du pays depuis New York, seulement après leur arrivée à New York et jamais en Europe.
3° de ne pas prendre la route des ports d’Angleterre, mais de s’embarquer à Amsterdam, Rotterdam, Anvers et de préférence au Havre.
Dernièrement est arrivé ici beaucoup de Suisses par des navires venant de Liverpool, sur lesquels ils ont généralement été maltraités, souvent battus par les passagers irlandais, et peu protégés par les capitaines et officiers de bord, qui ne pouvaient pas comprendre leurs plaintes, ne parlant pas l’allemand. D’ailleurs étant sur ces navires et surtout avec ces malheureux Irlandais, souvent à moitié affamés, et qui nous arrivent souvent ayant la mine de spectres, ils peuvent y prendre des fièvres typhoïdes, etc.; et sur un de ces navires, les émigrants suisses ont perdu 12 enfants (disent-ils) de faim; j’ai lieu d’en douter, mais sans doute ces enfants sont morts [par]manque de soins dans un navire trop encombré de passagers.
4° de recommander aux émigrants suisses, et ceci est important, de ne jamais faire un accord à New York pour leur route dans l’intérieur du pays, sans être venu auparavant au bureau du consulat suisse à New York, chez leur vieux consul, L.P. De Luze, No 43, New Street, ou au bureau de M. Auguste Gerber, Président de la Société suisse de bienfaisance à New York, No 8, Cedar Street, où tous les renseignements leur seront donnés, et cela gratis, pour les mettre à même de n’être pas trompés; leur recommandant surtout dans aucun cas, de n’avoir rien à faire avec les Runners et aubergistes qui viennent à leur rencontre sur les navires, sauf pour ce qui a rapport pour se procurer un logement, en un mot, de ne pas se laisser influencer par ces gens pour leur route; s’ils les croient, ils sont perdus, et je ne puis pas les aider et les protéger.
Et naturellement en venant à mon bureau et à celui de M. Gerber, il faut qu’ils voient que nos noms sont bien sur la porte pour éviter d’être conduits dans des faux bureaux, ce que ces rusés renards pourraient bien faire.
J’espère, Messieurs, que vous voudrez bien prendre ma demande en considération, et d’avoir la bonté de m’accuser réception de cette lettre pour m’assurer de son arrivée auprès de vous. J’espère, Messieurs, que la mesure que je vous propose aura un bon effet, pour diminuer, sinon de déraciner entièrement ces fraudes; et si plus tard je n’y puis pas parvenir, je serai tenté d’ouvrir moi-même, comme consul, et naturellement avec votre approbation, un bureau d’expédition pour nos braves concitoyens, mode auquel M. Gerber et moi, avons souvent pensé, mais qui occasionnant des frais, ne pourrait réussir qu’en étant appuyé pécuniairement depuis la Suisse, et déjà le gouvernement ou plutôt la Commission des pauvres du canton d’Argovie m’a écrit à cet égard mais cela demande de mûres réflexions, d’autant qu’il me faudrait abandonner mes affaires particulières, pour pouvoir donner tout mon temps h cette nouvelle besogne. Mais coûte que coûte il faut détruire les moyens de tromper nos gens.2