Classement thématique série 1848–1945:
I. RELATIONS BILATÉRALES
I.9. France
I.9.3. Réfugiés
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 51
volume linkBern 1990
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#688* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 326 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 2 (1849–1849) |
dodis.ch/41050 Le Chargé d’affaires de Suisse à Paris, J. Barman, au Conseil fédéral1
Depuis quelques jours, les journaux réactionnaires ainsi que vous l’aurez remarqué, ont redoublé de calomnies, d’insinuations perfides et de menaces envers la Suisse, dont ils représentent l’occupation comme imminente. Une partie de la presse française se plaint en outre des menées révolutionnaires qui se poursuivraient à Genève par les réfugiés avec le concours du gouvernement de ce canton. J’ai cru que c’était le cas de voir M. de Tocqueville, soit pour le rassurer autant que possible sous ce dernier rapport, soit pour savoir s’il avait quelques données de nature à accréditer les bruits mis en circulation avec tant d’assurance.
M. de Tocqueville m’a dit être fort aise de s’entretenir avec moi, et la conférence a été assez importante pour que je m’empresse de vous en faire part.
M. le Ministre m’a appris qu’il recevait de tous côtés, de Varsovie, Vienne et Berlin, des rapports peu rassurants sur les dispositions qu’on y manifeste en ce moment envers la Suisse. A la satisfaction qu’avaient fait naître les mesures adoptées par le Conseil fédéral2 et sanctionnées par le pouvoir législatif3, a succédé un mécontentement non équivoque causé par la complète inexécution de ces mesures, soit au sujet du matériel retenu, soit surtout à l’égard des chefs des insurgés qui continuent à habiter la Suisse. L’arrêté est pris depuis deux mois; il y a donc à ce qu’on prétend mauvaise volonté ou impuissance pour l’exécuter; M. de Tocqueville craint que dans l’ardeur née du succès complet et général de la réaction, on ne songe sérieusement à molester la Suisse, qu’on envisage comme un foyer de révolution (c’est le terme consacré) et le dernier refuge des démagogues. Les puissances veulent à tout prix le maintien de la tranquillité et se prémunir contre de nouveaux bouleversements dont elles tiennent à déraciner les causes.
M. le Ministre se plaint que, malgré ses instances auprès du Conseil fédéral, M. Reinhard n’ait rien obtenu. Il dit que jusqu’à présent il a cherché à excuser ce retard auprès des gouvernements étrangers, mais qu’il est actuellement à bout de motifs à mettre en avant: il trouve surtout étrange que le Conseil fédéral laisse la question s’envenimer par la retenue du matériel. Il m’a itérativement déclaré que ces observations étaient dictées par un sincère intérêt pour la Suisse et aussi par le désir d’éviter à la France de nouvelles complications.
J’ai répondu que, d’après votre dernière dépêche4, plusieurs chefs étaient partis, que les autres allaient suivre; que le retard provenait de la difficulté d’obtenir les visas, qu’en tout cas l’arrêté du 16 juillet recevrait son entière exécution; que, d’après ce que je venais d’apprendre, le Conseil fédéral avait fixé aux chefs renvoyés un dernier délai de trois jours; que la Suisse avait de son plein gré donné satisfaction à tout ce qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elle; qu’on ne réfléchissait pas assez à la position qui lui est faite par les mouvements révolutionnaires qui ont lieu dans les Etats voisins sans aucune participation de sa part; qu’il ne s’agissait que d’une question de temps, le Conseil fédéral ayant la volonté et le pouvoir d’assurer l’exécution de l’arrêté, etc., etc.
En ce qui concerne les réfugiés français qui sont à Genève, j’ai cherché à rectifier les calomnies répandues à ce sujet.
Le Ministre m’a répondu qu’il ne croyait pas à une organisation militaire, à un dépôt d’armes à Genève, dans le but de faire une tentative en France; mais le Gouvernement fédéral doit comprendre, a-t-il ajouté, que de nombreux réfugiés réunis à quelques pas de la frontière française et au nombre desquels se trouvent des gens tels que Felix Pyat, Boichot, etc., doivent être pour la France un sujet d’inquiétude; qu’il est d’usage constamment pratiqué de ne pas tolérer à la frontière des réfugiés dangereux et cela d’autant moins que le Gouvernement de Genève sympathise avec eux. Il m’a dit en termes exprès qu’il envisageait ce gouvernement comme hostile au gouvernement actuel de la France. J’ai vainement cherché à le détromper à ce sujet, son opinion s’étant sans doute formée sur les rapports des agents envoyés sur les lieux. J’ai au reste ajouté que, si j’en croyais les journaux de ce matin, le Conseil fédéral avait ordonné d’interner les réfugiés français5, mais j’ai compris que le Ministre craignait des entraves de la part du Conseil d’Etat de Genève et que ces manifestations d’aujourd’hui se ressentaient de la mauvaise humeur causée par la présence des réfugiés français à Genève.
Pour prouver au ministre que les gouvernements étrangers n’étaient pas aussi mécontents de la Suisse qu’il m’avait fait l’honneur de me l’annoncer, je lui ai dit qu’au rapport d’un des mes amis venant de Londres, Lord Palmerston s’en serait expliqué dans un sens tout opposé. A quoi M. de Tocqueville a répondu qu’il était assez dans les habitudes de ce ministre d’encourager ses amis dans une certaine voie et de les lâcher ensuite.
M. de Tocqueville m’a aussi parlé de Mazzini6 et des entraves qu’à son grand regret le journal de celui-ci allait encore apporter à la pacification de l’Italie.
L’arrivée de Mazzini en Suisse ne pouvait être, il faut en convenir, plus inopportune; elle contribuera certainement à aggraver la situation, car il est considéré, par rapport à l’Italie, comme l’homme le plus dangereux, mais cela le touchera sans doute fort peu; des gens comme lui ne cherchent au contraire qu’à pêcher en eau trouble. Quant à moi j’attribue en majeure partie à ses menées, ainsi que je le disais hier au Chargé d’affaires d’Autriche, l’insuccès des tentatives d’indépendance faites en Italie. A ce titre, j’ai peu de sympathie pour lui surtout quand je me rappelle la manière avec laquelle il a traité la Suisse en retour de l’hospitalité qu’il y a reçue.
On m’a d’ailleurs fait observer qu’impuissant à fonder, Mazzini ne l’était pas pour agiter et bouleverser; qu’en fondant un journal dans un but de propagande il perdait le caractère de réfugié inoffensif.
M. le Ministre a du reste promis de m’avertir s’il apprenait quelques nouvelles importantes relativement à nos affaires, qui sont pour le moment, à ce qu’il m’a assuré, le sujet de ses plus graves préoccupations.