Classement thématique série 1848–1945:
V. ÉMIGRATION
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 27
volume linkBern 1990
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#1392* | |
Old classification | CH-BAR E 2(-)1000/44 232 | |
Dossier title | Verschiedenes (1848–1854) | |
File reference archive | C.322.3.24 |
dodis.ch/41026
La Société suisse de bienfaisance à New York, dans son assemblée générale du 16 janvier 1849, après avoir entendu le rapport de son Comité d’administration sur les besoins croissants de Immigration suisse, et l’urgence de pourvoir d’une manière plus complète au soulagement de nos compatriotes, qui à divers titres recourent à cette institution, a nommé un comité composé des membres soussignés dans le but spécial d’adresser une requête respectueuse au Conseil fédéral, à l’effet de solliciter le concours de la commune patrie à cette œuvre chrétienne et patriotique.
Nous nous acquittons de la mission que nous avons reçue, en présentant à votre bienveillante appréciation, très honorables Messieurs, l’exposé et les considérations suivantes que nous avons chargé l’un de nous, M. S. Boiceau, de vous remettre, afin de pouvoir, si vous le jugiez à propos, les accompagner verbalement d’explications ultérieures.
Jusqu’en 1832, époque à laquelle remonte la fondation indépendante de la Société suisse de bienfaisance à New York, les Suisses établis en cette ville secouraient leurs compatriotes soit individuellement, soit par l’intermédiaire de la Société de bienfaisance française dont plusieurs d’entre eux faisaient partie. La centralisation de nos moyens de secours a permis dès lors de les distribuer avec plus de discernement et de fruits. Chaque membre du Comité d’administration y a apporté avec dévouement le tribut de son activité et de ses lumières et cette réunion philanthropique en présentant en ce pays le reflet de notre nationalité a dignement contribué pour sa part à resserrer le lien fédéral entre les enfants dispersés de la commune patrie.
Nous avons l’honneur de vous transmettre inclus, très honorables Messieurs, la Constitution de notre société et les comptes-rendus de sa comptabilité pendant les années 1845, 1846, 1847 et 1848. La perte des documents antérieurs dans le grand incendie en 1845 nous empêche de compléter ces renseignements, sauf pour l’année 1841, dont le trésorier d’alors a pu nous fournir un résumé que nous ajoutons aussi.2
Ces documents offrent la preuve d’un accroissement graduel des émigrants assistés de la Société. Comme on devait s’y attendre, la bienfaisance des Suisses résidant à New York, dont les souscriptions alimentent seules jusqu’à présent la caisse de notre Société, a répondu généreusement à ses appels réitérés, et nos souscriptions qui dans les premières années se limitaient à $ 5 à 600 se sont élevées l’an dernier à plus de mille dollars. Mais il n’en est pas moins évident que les sacrifices personnels que s’impose le nombre assez restreint des contributeurs actuels ne sont plus en rapport avec le champ sans cesse croissant de l’œuvre.
Jaloux cependant de ne pas l’abandonner, nous en appelons donc à Vous, très honorés Messieurs, pour obtenir de notre commune patrie le concours indispensable au soulagement et à la bonne direction de cette nombreuse, irrésistible émigration vers ce pays. A défaut de moyens de secours plus efficaces, la condition de nos compatriotes malheureux sur ce sol étranger refléterait, en définitive, d’une manière déplorable sur le nom suisse, qui par lui seul a été longtemps une recommandation aux Etats-Unis comme ailleurs. Tout au contraire de bons conseils donnés à temps, une protection paternelle et une assistance judicieuse, en prévenant bien des misères individuelles, aideront incontestablement au maintien précieux d’une bonne renommée dont nous devons être fiers; et la mère patrie en étendant sa sollicitude jusqu’à ses enfants émigrés en Amérique finirait sans doute par recueillir même quelques fruits matériels des services qu’elle leur aurait rendus, en étendant aussi le débouché de nos manufactures.
Aujourd’hui que de nouvelles institutions dans notre patrie ont heureusement resserré le lien qui unit tous les cantons, nous croyons pouvoir réclamer avec une pleine confiance l’appui des hautes autorités fédérales dans une œuvre si éminemment patriotique. Mais nous n’aurions rempli qu’une portion de notre tâche, si en sollicitant une allocation pécuniaire en aide de nos compatriotes arrivés ou près d’arriver sur nos côtes, nous ne vous apportions pas aussi, très honorés Messieurs, le tribut de notre expérience et connaissance de ce pays, pour contribuer à éclairer les émigrants suisses sur les dangers qu’ils ont à affronter, aussi bien que sur les ressources véritables qui sont à leur disposition en venant se fixer aux Etats-Unis.
Les vastes territoires de l’Union offrent sans doute encore de longtemps assez de place pour les populations trop pressées de l’Europe et notamment d’excellentes perspectives à nos compatriotes laborieux, économes, probes et persévérants. Mais pour trouver désormais aux Etats-Unis une existence assurée, c’est à condition d’arriver avec des moyens suffisants pour acquérir des terres, pour faire les avances nécessaires jusqu’au moment d’en retirer quelque fruit, ou du moins assez pour se colloquer dans quelque province de l’intérieur. C’était de cette classe de citoyens indépendants et bien avisés que se composait antérieurement la majeure partie de l’émigration suisse. Depuis quelque temps au contraire un grand nombre de nos compatriotes arrivent dénués de tout, sans industrie spéciale, ou ouvriers médiocres, pour lesquels en outre le défaut de connaissance de la langue du pays est à lui seul un grand obstacle de placements dans nos Etats maritimes.
Ce n’est pas tout et nous devons la vérité toute entière. Nous sommes témoins de la coupable légèreté avec laquelle des communautés de notre patrie se débarrassent de leurs pauvres de paroisse, de leurs membres les plus incapables de gagner honnêtement leur pain, souvent même de familles nombreuses avec des enfants en bas âge, pour les jeter dès leur arrivée, dénués et misérables, sur les bras de la charité américaine ou de notre Société. Nous vous supplions, très honorés Messieurs, d’employer toute l’influence de votre autorité tant auprès des gouvernements cantonaux qu’auprès des agents consulaires en Europe pour empêcher le développement d’une tendance aussi fâcheuse.
Il est indispensable d’avertir nos compatriotes que le temps n’est plus où un travail facile et bien rétribué s’offrait en ce pays à tout venant. L’immigration qui fait affluer à New York où convergent les principaux arrivages, chaque année des Européens par centaines de mille, et cela dans une proportion toujours croissante, a fini par envahir les Etats du littoral de nuées de prolétaires qui s’arrachent le moindre gagne-pain avec presque autant d’acharnement que dans les pays dont ils voulaient fuir la misère. Les professions industrielles commencent aussi à être surabondamment fournies d’artisans habiles dans toutes les branches de sorte que ceux de nos compatriotes qui arrivent sans capacités transcendantes ou sans moyens de se rendre dans des parties du pays encore moins exploitées, courent grand risque de ne trouver dans nos rues que misère et désespoir. Car même les emplois subalternes et de domesticité sont envahis au détriment de tous autres Européens, par des masses d’irlandais auxquels la connaissance de la langue anglaise donne dès l’abord un avantage prépondérant.
Trop souvent aussi nos émigrants suisses tombent, victimes d’industriels perfides qui à divers titres d’agents d’émigration, de commissionnaires, d’aubergistes, etc., etc. s’attachent à leurs pas soit déjà en Suisse, soit en route et enfin ici pour ne les lâcher qu’après leur avoir soutiré tous leurs moyens de subsistance.
Le gouvernement de l’Union, celui de l’Etat de New York en particulier, ont bien pris quelques sages mesures pour protéger l’émigrant contre ces dangers et pour venir en aide aux malades et aux nécessiteux. Mais ces mesures sont insuffisantes en regard de la masse qui arrive. Les hôpitaux, les dépôts de mendicité en sont encombrés, et les secours qu’on leur accorde de ce côté-là les sortent rarement de la misère.
Après vous avoir ainsi exposé, très honorables Messieurs, le véritable état des choses, il nous reste à soumettre à votre considération les moyens d’assistance que nous croirions devoir adopter en faveur de nos compatriotes qui émigrent ici. A cet égard, l’expérience nous semble indiquer comme premier besoin de l’émigrant en débarquant en notre port l’établissement d’un rendez-vous sûr et facile à trouver, où il puisse se présenter en toute confiance pour y obtenir gratuitement les renseignements dont il a besoin, de bons conseils, quelques facilités pour se rendre à sa destination ultérieure, ou pour trouver de l’emploi, enfin aussi, le cas échéant, protection et secours dans une juste mesure. En établissant une agence de ce genre, nous ne ferons que suivre l’exemple des ressortissants d’autres nationalités européennes, tels qu’Allemands, Anglais, Irlandais, etc., dont les institutions à cet effet fonctionnent avec succès. La Société suisse de bienfaisance s’est appliquée à rendre des services en ce sens autant que cela a dépendu d’elle, et aidée de votre appui elle pourra en rendre davantage. Du moment où ses ressources le permettraient elle se proposerait de s’adjoindre des membres honoraires en particulier parmi nos compatriotes établis sur les points principaux de l’intérieur des Etats-Unis, afin d’acquérir par leur coopération des informations utiles, des appuis, et autant que possible des chances d’emploi au profit des arrivants. A l’aide d’une organisation convenable, dont l’un des éléments essentiels serait une correspondance bien établie soit avec l’intérieur, soit avec les personnes préposées à l’émigration suisse en Europe l’on ne manquerait pas d’arriver successivement à des résultats capables de donner satisfaction. La Société, fidèle à son origine, continuerait à rendre des services gratuitement, les frais ne seraient par conséquent augmentés que des débours indispensables de bureau, de correspondance, de publications et de salaire à quelques employés subalternes. C’est ainsi que placée sur une base plus large, et administrée par des hommes désintéressés et déjà expérimentés, la Société suisse de bienfaisance à New York se flatterait de s’acquitter, de la manière la plus complète et la moins onéreuse des obligations qu’imposent à tous les Suisses cette émigration nationale.
Si cependant, très honorés Messieurs, il était jugé plus convenable de nommer à New York, comme point central aux Etats-Unis, un agent fédéral salarié pour la direction spéciale de rémigration suisse, la Société suisse de bienfaisance de cette ville, accueillerait avec une égale reconnaissance cette mesure et s’empresserait de mettre à la disposition de l’agent fédéral ses moyens d’information et son concours le plus libéral pour le soulagement de nos compatriotes nécessiteux.3
- 1
- Lettre: E 2/1392.↩
- 2
- Non reproduits.↩
- 3
- La lettre est signée par L.-Ph. de Luze (Neuchâtel), Consul de Suisse à New York et président de la Société; J. Dozier (Saint-Gall), Vice-président; A. Guerber (Berne), trésorier et secrétaire; H. C. de Rham (Vaud); L. Prélaz (Vaud); G. Merle (Genève); J. G. Escher (Zurich); J. Isler (Argovie); J. Droz (Neuchâtel); Ch. Irminger (Argovie); O. Oth(Bâle); H. Mairet (Neuchâtel); E. Burckhardt (Bâle); L. Delmonico (Tessin); Ch. Pichonnaz (Vaud); S. Guillaume (Vaud) et O. Zollikofer (Saint-Gall). Par décision du 21 août 1849 (E 1004 1/3, no 2388), le Conseil fédéral accordera à la Société suisse de bienfaisance de New York un subside annuel de 1’000 francs.↩