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L’Ambassadeur de Suisse à Accra, R. Keller, au Chef de la Division des Affaires politiques du Département politique, P. Micheli1

Arrestation du Père Paul Voisard

Dès avant mon arrivée à Conakry le 22 mars, M. le Consul Joss avait formulé une demande d’audience pour moi auprès du Président Sékou Touré et du Ministre des Affaires étrangères.

Si j’ai pu échanger quelques mots avec le Président lors d’une réception en l’honneur du Premier Ministre de Bulgarie2, je n’ai pas été reçu dans son cabinet. Ce matin en revanche, j’ai eu un entretien avec deux des meilleurs cerveaux du Gouvernement, le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Diallo Alpha, et le Ministre des Télécommunications, Alassane Diop (que le Ministre des Affaires étrangères3 se fût fait excuser n’a guère d’importance car il est une simple figure de proue).

Ma position quant au Père Voisard était en ce sens différente de mes démarches pour Francis Fritschy4 que cette fois la Guinée est solliciteur. En effet, une délégation se propose de se rendre en Europe occidentale pour examiner diverses possibilités de coopération. J’eus donc beau jeu à évoquer le climat de confiance qui devrait régner entre nos deux pays, puisque la Suisse est sur l’itinéraire. Si la libération de Fritschy, la coopération technique5, l’appréciation favorable par la Guinée de nos bons offices dans le règlement du problème algérien6 ont contribué à éclaircir l’atmosphère, il est très regrettable qu’une ombre nouvelle ait surgi. Un Père blanc, de nationalité suisse, connu pour son dévouement de tous les instants, est arrêté début février. Deux mois plus tard, on en est encore à ignorer les chefs d’accusation. Comparée au détachement que les grandes puissances observent souvent à l’endroit de leurs nationaux, par raison d’Etat, la ténacité que nous apportons à faire rendre justice à nos ressortissants peut étonner. C’est pourtant un fait que cet esprit de solidarité. Il est inscrit dans notre devise nationale et il importe d’en tenir compte. A défaut, la réserve qu’observera la Suisse ne devra pas surprendre.

M. Diop a remarqué qu’il savait depuis la veille qu’une décision imminente allait être prise. Sur quoi, M. Diallo Alpha s’est lancé dans une longue explication. Les régions frontières sont le théâtre de manœuvres subversives, fomentées par ceux des Français qui n’ont pas pardonné à la Guinée son indépendance, et destinées à mettre en doute, voire à ébranler, la solidité du régime. Or, le Père Voisard appartient à une «organisation» qui fut un instrument de la colonisation, laquelle n’eut pas que des aspects positifs. La vigilance du Gouvernement a été alertée. Sans qu’il puisse me fournir de précisions lui, Diallo Alpha, peut m’affirmer que les quatre Pères ont été privés de leur liberté pour des motifs sérieux. Autant il est regrettable que la mesure eût touché un Suisse, autant faut-il comprendre qu’un Etat souverain doit se protéger contre l’influence de certains éléments.

Cela posé, une solution est pourtant en vue.

Je n’ai pu savoir ce qu’elle sera (j’incline pour l’expulsion). Afin de maintenir la pression, j’ai annoncé que je reviendrais de Bamako le 5 avril, et que je me représenterais au Ministère le 6.

Quelques heures plus tard, j’ai aussi entretenu du sujet le Ministre-Gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée7. Comme il dirigera sans doute la délégation précitée, j’ai relevé combien il serait souhaitable qu’une solution intervienne avant d’éventuelles conversations. Ce membre du Bureau politique, connu pour sa rigidité doctrinale, juge que les deux questions se situent sur des plans différents. Je l’ai détrompé, sans être sûr de l’avoir convaincu.

Au moins un sujet de satisfaction, c’est le Père Voisard lui-même qui nous le donne. Je l’avais vu le lendemain de mon arrivée, et l’ai revu tout à l’heure, sans difficultés. Lui et ses compagnons de captivité se meuvent dans le préau du Commissariat central, sont bien nourris, bien traités. Nous avons pu leur remettre une bouteille de Whisky et des cigarettes, et deviser assez longuement. Le moral du Père est bon. S’il n’a pas été libéré ou expulsé entre-temps, je compte le revoir le 6 avril8.