Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 22, doc. 163
volume linkZürich/Locarno/Genève 2009
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#242* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 122 | |
Dossier title | Dakar, Politische Berichte und Briefe, Band 3 (1963–1963) |
dodis.ch/30618 Politique du Sénégal vis-à-vis du Portugal et de la Guinée
Au moment où notre pays va assumer la sauvegarde des intérêts portugais au Sénégal2, il vous intéressera sans doute de savoir l’opinion que le Président du Conseil des Ministres ad interim, M. Fofana, vient de m’exprimer au sujet de la position de son pays envers le Portugal d’une part et envers le seul territoire colonial portugais se trouvant aux confins du Sénégal, la Guinée, d’autre part.
La presse sénégalaise a fait récemment état d’un voyage accompli à Lisbonne par un ressortissant portugais habitant Dakar, M. Pinto-Bull. Ce dernier aurait agi en tant que porte-parole des aspirations guinéennes à l’émancipation et, toujours d’après la presse, il serait regardé avec une certaine faveur aussi bien par les autorités sénégalaises que, semble-t-il, par le Gouvernement portugais lui-même, puisque c’est le Ministre des Affaires étrangères en personne, M. Nogueira qui l’a reçu.
M. Fofana m’a déclaré à ce sujet que M. Pinto-Bull est aussi bien inconnu de lui que de la totalité des membres du Gouvernement sénégalais. Ce dernier observe pour le moment une prudente réserve vis-à-vis de M. Pinto-Bull qui prétend être revenu de Lisbonne chargé d’un pli pour le Gouverne ment sénégalais. Pour l’instant M. Fofana ne désire pas recevoir ce pli ni en prendre connaissance. L’accueil bienveillant que M. Pinto-Bull a reçu à Lisbonne est justement la raison pourquoi les milieux gouvernementaux sénégalais é prouvent de la méfiance vis-à-vis de lui.
Pour le Sénégal, le mouvement pour le moment encore le plus représentatif des aspirations guinéennes est le FLING (Front de Libération pour l’Indépendance nationale de la Guinée) dont les adeptes sont d’authentiques Guinéens de race Diola et Mandeng, c’est-à-dire deux tribus dont les populations chevauchent la frontière guinéo-sénégalaise.
Le Gouvernement sénégalais ferme les yeux sur l’activité de ces gens à condition qu’ils ne se fassent pas remarquer et que lorsqu’ils prennent la décision de franchir la frontière guinéenne ils ne reviennent plus en arrière. Autrement dit, le Sénégal interdit l’usage de son territoire comme base d’opération pour des éléments mobiles armés qui iraient frapper en Guinée pour se réfugier ensuite en territoire sénégalais. Lorsque de tels révolutionnaires sont connus, on les fait arrêter et on les désarme.
M. Fofana m’a confirmé que du côté de la Guinée ex-française les nationalistes guinéens se sont groupés autour d’un troisième leader, M. Cabral. Ce dernier s’appuie sur des formations armées et, semble-t-il, bien entraînées, opérant dans le Sud de la Guinée portugaise à partir du territoire guinéen. On peut donc dire que ou bien le Gouvernement de M. Sékou Touré ne possède pas une police aussi effective que celle du Sénégal ou bien sa tolérance a des limites plus larges que celles de ce dernier pays. A la faveur de cette situation les commandos de M. Cabral se seraient rendus maîtres d’à peu près un tiers du territoire de la Guinée portugaise.
M. Fofana m’a confirmé aussi que l’Organisation de l’Unité africaine et, tout particulièrement le Comité de Dar-es-Salam, n’a pas seulement en vue d’apporter un appui d’abord diplomatique, puis s’il le fallait, militaire, aux territoires africains administrés par le Portugal, mais également de venir en assistance aux différents mouvements nationalistes surgis de ces territoires afin que les rivalités de clans qui se manifestent au détriment de la campagne de libération soient résolues par la fusion des organisations nationalistes en compétition.
C’est ainsi qu’en marge de la réunion des Ministres des Affaires étrangères de l’Organisation de l’Unité africaine qui s’ouvrira à Dakar le 1er août, un comité ad hoc cherchera le contact avec les porte-parole des mouvements nationalistes anti-portugais en vue de les persuader de se rallier à une doctrine politique et à un programme d’action uniques.
J’ai tenu à obtenir à ce propos la précision suivante que M. Fofana m’a volontiers fournie. La Suisse, puissance protectrice des intérêts portugais au Sénégal, peut admettre que ce dernier pays ne consentira à la reprise de relations normales entre lui et le Portugal que lorsque le problème des colonies portugaises en Afrique aura été résolu dans son ensemble. En d’autres termes, même si le cas particulier de la Guinée portugaise devait bientôt s’engager sur la voie d’une solution satisfaisante pour l’Afrique, cela ne voudrait pas dire encore que nous serions à la veille de voir des rapports normaux se rétablir entre le Sénégal et le Portugal.
Il y a une année encore nous aurions pu nous demander si le Président Sékou Touré ne jouait pas dans cette affaire un jeu quelque peu équivoque. En effet, entre 1958 et 1963 on a vu des périodes durant lesquelles des armes étaient clandestinement envoyées du Sénégal aux adversaires politiques du régime Touré tandis qu’en sens inverse les nationalistes casamançais recevaient des encouragements à fomenter des troubles séparatistes.
M. Fofana m’a assuré qu’aujourd’hui la réconciliation de la Guinée et du Sénégal exclut toute manœuvre de ce genre. La Guinée et le Sénégal sont entièrement d’accord pour coopérer avec les autres Etats africains à l’élaboration commune d’une solution des différents problèmes nationaux découlant de la domination coloniale en Afrique. Ce qui se passera donc probablement, c’est qu’à un moment donné, quand les événements auront mûri, on verra l’Afrique reconnaître un mouvement ou un parti politique considéré comme représentant seul le nationalisme et la souveraineté guinéens. Quand cette dernière aura été acceptée et reconnue par le Portugal, la Guinée portugaise se trouvera dans une situation comparable à celle qu’occupera bientôt la Gambie à laquelle le Gouvernement britannique est sur le point d’accorder sa complète indépendance. Il appartiendra alors aux Guinéens seuls de décider s’ils veulent vivre indépendants ou s’ils désirent se rattacher par des liens plus ou moins étroits soit à la Guinée soit au Sénégal. Cette question d’ailleurs ne revêt qu’une importance relative si on l’examine à la lumière de la politique qui a inspiré la charte d’AddisAbeba, charte qui voudrait mener le continent vers un effacement toujours plus grand des frontières nationales des Etats africains.
Il y a peu de temps j’avais abordé le même sujet avec l’Ambassadeur de France3 dont l’avis m’intéressait du fait que les liens de la Communauté et un accord d’assistance militaire pourraient selon les circonstances engager une responsabilité française dans un conflit plus ou moins localisé entre troupes portugaises et troupes sénégalaises à la frontière guinéenne. L’Ambassadeur de France a écarté cette éventualité avec un sourire rempli d’assurance en m’affirmant qu’il n’y a rien au monde dont les Sénégalais soient plus effrayés qu’un incident militaire sénégalo-portugais. Je suis convaincu, m’a-t-il dit, que le Sénégal aura bien soin de l’éviter. Vu les traités franco-sénégalais et les responsabilités spéciales qui en résultent pour l’Ambassadeur de France, j’ose penser que celui-ci savait de quoi il parlait en annonçant une opinion aussi catégorique.
Tags
Good offices Senegal (Politics) Portugal (Politics) Colonization and Decolonization Guinea-Bissau (Politics)