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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 22, doc. 49
volume linkZürich/Locarno/Genève 2009
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E5560D#1996/188#919* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 5560(D)1996/188 225 | |
Titre du dossier | Informations-Bulletin (1961–1970) | |
Référence archives | 320.1 |
dodis.ch/30353 Rapport du Service de l’Etat-Major général1 BULLETIN D’INFORMATION N O 2/62. NOTE CONCERNANT LES NÉGOCIATIONS FRANCO-FLN ET LA SITUATION EN FRANCE ET EN ALGÉRIE
1. Les représentants de Paris et du GPRA ont sensiblement rapproché leurs points de vue, mais l’accord préliminaire n’est pas encore signé, car le FLN exigerait l’ouverture des barrages aux frontières algéro-tunisiennes et algéromarocaines avant le référendum d’autodétermination, exigence à laquelle s’opposerait le haut-commandement de l’Armée française.
2. Le «cessez-le-feu» pourrait cependant intervenir au début de la semaine prochaine, précédé, bien entendu, d’une nouvelle rencontre mais cette fois officielle. Je pense toutefois que cette proclamation sera encore différée et qu’elle n’interviendra qu’en fin de mois, car le dispositif policier-militaire doit être renforcé, aussi bien en Algérie que dans la Métropole.
3. Il n’y a cependant plus de doute que le «grand tournant», avec toutes ses conséquences, aura lieu au cours de la deuxième moitié du mois de février.
4. Paris a encore cédé sur la durée de l’occupation par les forces d’armée française de la base navale de Mers-El-Kébir et d’autres bases et aérodromes algériens. La réaction va donc être très violente au sein de l’OAS qui contrôle la presque totalité des Européens et des Israélites d’Algérie.
5. Au sein de l’OAS, il y a deux groupes:
Le groupe Salan ne veut pas s’emparer immédiatement du pouvoir, mais dans une première phase, contrecarrer seulement toute action gouvernementale en vue d’appliquer l’accord sur le terrain. Le plan Salan, c’est donc tout d’abord «l’anarchie renforcée»; puis, selon les réactions de l’armée, on décidera si le moment est assez favorable pour, dans une deuxième phase, prendre le pouvoir en Algérie, la troisième phase devant être la prise du pouvoir en France. L’«ex-général» espère, non seulement s’appuyer dans la Métropole sur les activistes, mais aussi sur les socialistes de droite, en particulier, sur une coalition qui semble se former autour de M. Max Lejeune, ancien ministre SFIO (socialiste).
Le deuxième groupe de l’OAS, c’est celui des «extrémistes», véritables révolutionnaires. Dès la proclamation du cessez-le-feu et dès l’application des accords, ils déclencheraient un nouveau «putsch» et proclameraient une république franco-algérienne autonome, mais liée constitutionnellement à la France, c’est-à-dire faisant partie d’un système fédératif français.
Un «ultra» de passage en Suisse croit que, vu les dernières concessions faites par Paris, la réaction en Algérie sera le «putsch» immédiat. Je ne pense pas, cependant, que cela sera le cas, je crois plutôt au plan Salan, c’est-à-dire à la recrudescence de l’anarchie rendant impossible l’exécution des accords franco-FLN.
6. Quelles sont les chances de succès de l’OAS en Algérie?
L’organisation subversive peut réussir sans l’aide de l’armée. Il faut, par contre, que l’armée ne s’oppose pas à elle! En Algérie, le succès de l’OAS dépend donc de la neutralité de l’armée… Or, l’armée n’obéira pas à de Gaulle si les conditions des accords sont mauvaises pour la France; elle obéira, par contre, au Général si le FLN accepte une solution compatible avec l’honneur de l’armée.
7. Dans la Métropole, il n’existe en fait qu’une seule force politique pouvant agir sur le Gouvernement: ce sont 10 millions de travailleurs formant les différents syndicats et «centrifugés» par la peur de voir l’OAS prendre le pou voir, car la propagande de l’extrême-gauche, et en particulier du parti communiste, a remporté un succès total, et pour la majorité des petits bourgeois et ouvriers en France: OAS est égal à fascisme.
Ce nouveau front pour la défense de la République, auquel on pourrait donner le nom de «Frontpopulaire 1962» et qui n’est, en fait, que la répétition du Front populaire de 1936, peut tenir la rue et imposer sa volonté au Gouvernement si celui-ci ne dispose que des forces de police. Ce nouveau Front populaire n’exige pas seulement la paix en Algérie, mais aussi le renversement de l’ordre social actuel, et pour que cette action réussisse, c’est-à-dire pour que de Gaulle suive cette politique ou qu’il cède le pouvoir, il faut que l’armée reste neutre.
8. Nous arrivons à la constatation suivante:
Il y a deux mouvements révolutionnaires en présence, l’un en Algérie: l’OAS; l’autre en France: «le Front syndical»! Chacune de ces masses révolution naires a des chances sérieuses de remporter la victoire dans sa zone d’action respective au nord et au sud de la Méditerranée, mais la condition «sine qua non» de réussite est la neutralité de l’armée. C’est donc de celle que l’on avait coutume d’appeler «la grande muette» que dépend l’existence du pouvoir de de Gaulle et, en même temps, l’avenir de la France. Le journal «DerBund» voyait juste, lorsque dans un de ses derniers éditoriaux, il titrait son article de fond sur notre grande voisine: «Frankreich zwischen Armee und Volksfront»2.
9. Cependant, une dernière question se pose: Les troubles qui éclateront sans doute en France et en Algérie auront-ils des conséquences politiques dans notre pays et notre gouvernement aura-t-il des mesures particulières à prendre?
Je ne crois pas, même en cas de troubles très graves, à une incidence immédiate sur notre situation politique intérieure; mais le renversement du Général de Gaulle, renversement guère probable mais cependant pas exclu, et son remplacement par un régime socialiste national ou socialiste orienté vers le bloc Est, auraient sûrement, à la longue, pour nous des conséquences d’une certaine importance! En effet, ce changement pourrait provoquer l’éclatement de l’OTAN et la naissance en Europe d’un neutralisme s’orientant peu à peu vers l’Est.
Mais en cas de troubles graves en Algérie accompagnés de la multiplication des attentats en Métropole, la surveillance de notre frontière avec la France devrait être renforcée! Tout d’abord par des organes de la douane et des polices cantonales, puis, selon le développement de la situation, par des éléments de l’armée.
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Colonisation et décolonisation
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