Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 21, doc. 6
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#797* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 353 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 112 (1958–1958) |
dodis.ch/15131
sont déroulés à un rythme échevelé depuis mon dernier rapport2.
Nous avions laissé le Gouvernement Pflimlin assez bien en selle. A la faveur du réflexe républicain, qui lui avait rallié les socialistes et lui valait l’appui indésirable des communistes, il manœuvrait pour gagner du temps. Feignant de considérer le Général Salan comme le dépositaire légitime des pouvoirs de la République, le Gouvernement cherchait le répit nécessaire à renforcer l’exécutif, orienté vers un régime présidentiel collégial, grâce au vote accéléré de la révision des institutions et, qui sait, apte à soumettre le Comité d’Alger à l’épreuve de forces centrifuges.
Le 25 mai, le coup de force d’Ajaccio déchire le voile de la fiction. Le
Gouvernement se révèle impuissant à réduire une poignée d’aventuriers, appuyés par 200 parachutistes. Le chef d’Etat-major général avait donné sa démission. L’armée métropolitaine n’obéit plus. La police n’est pas sûre.
Le débat du lundi de Pentecôte sur la levée de l’immunité parlementaire du député de la Corse, M. Pascal Arrighi, entraîne la défection de la droite, divisée lors du vote de l’état d’urgence. L’insurrection menace de s’étendre au sud-ouest et au midi. M. Mollet adresse une lettre au Général de Gaulle pour qu’il enjoigne aux militaires de rentrer dans la légalité. M. Pflimlin le reçoit en grand mystère. Convaincu que seul de Gaulle peut épargner à la nation la guerre civile, il se résout à choir en abordant un obstacle – vote sur un projet de résolution de réforme institutionnelle, requérant la majorité absolue – qu’il a rendu infranchissable en rejetant d’avance les suffrages communistes. Le retrait des trois ministres indépendants fournit un motif supplémentaire de démission. Entre-temps, le Général de Gaulle avait annoncé qu’il avait «entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un Gouvernement républicain».
Le 28 mai, le Gouvernement autorise à l’instigation des socialistes, au mépris des dispositions sur l’état d’urgence, un défilé qui s’étendra sur quatre heures et groupera quelque 200’000 participants.
Ce rassemblement des forces républicaines, auquel les communistes n’ont pas été invités, mais dans lequel ils se sont infiltrés en masse, rend confiance aux députés socialistes, ébranlés par leur secrétaire général Guy Mollet, par les syndicalistes de Force Ouvrière opposés au Front populaire, par la menace de guerre civile. Radicaux valoisiens, avec Mendès France, UDSR avec Mitterrand, socialistes se sont coudoyés dans un grand défilé fraternel.
A l’aube du 30 mai, la journée la plus dramatique, le front de la gauche s’est donc durci. «Le fascisme ne passera pas». C’est dans ces dispositions qu’est accueillie la déclaration du Président de la République. L’heure est solennelle: de l’alternative qu’offre M. René Coty – appeler le Général de Gaulle ou démissionner – la gauche paraît choisir la deuxième éventualité. Témoin de la violence des passions sur les bancs de l’Assemblée, je sors très impressionné du
Palais Bourbon. Mais un fait nouveau se produit: la publication de l’échange de lettres entre M. Vincent Auriol, ancien Président de la République, socialiste, et le Général de Gaulle, révèle sans ambiguïté la volonté de celui-ci d’agir par la voie légale et de «rétablir la discipline dans l’Etat, notamment du côté militaire».
Cette profession de foi dans la légalité républicaine, plus que la menace d’anarchie et de guerre civile, entame la rigidité des socialistes qui rêvaient d’être dignes de Léon Blum et des 80 députés opposant leur non à Laval le
10 juillet 1940, à Vichy, et craignaient d’abandonner aux seuls communistes la palme de l’antifascisme. Dès lors, les contours d’un Gouvernement de Gaulle se dessinent. M. Coty engage la procédure extraordinaire réclamée par le Général, en déchargeant le Président du Conseil pressenti de l’accomplissement des rites auprès des groupes. Faisant preuve d’une souplesse qu’on ne lui soupçonnait pas, de Gaulle prend la relève en accueillant à son tour les porte-parole des groupes. Il se présente devant l’Assemblée, assuré de son investiture.
Peu de chaleur dans la salle, mais de la dignité. L’homme impressionne.
Il est écouté dans le plus grand silence. Après son départ, très conforme lui aux sentiments que le Général porte à l’Assemblée, le Parlement reprend son visage. Mendès France, Mitterrand, Pierre Cot déploient leur éloquence pour expliquer le vote négatif qu’ils vont déposer. Les partisans sont plus ternes.
Mais les jeux sont faits.
Du scrutin, je retiendrai un élément troublant: une faible majorité de socialistes, et une forte minorité de radicaux valoisiens, se sont prononcés contre de Gaulle. Ils ont marqué leur position pour l’éventualité d’un futur
Front populaire.
La composition du Ministère est un compromis entre les nécessités du «système» et l’attachement du Général à ses fidèles. La présence de MM. Mollet et Pflimlin ne peut qu’indisposer Alger, de même que l’absence d’un Soustelle, d’un Bidault. Le Ministère de l’Algérie, position-clé, est en revanche attribué à un socialiste de la ligne Lacoste, Max Lejeune.
Trois Gaullistes connus aux Affaires étrangères, à la Justice et sans doute à l’Information: Couve de Murville, Debré, Malraux. Pinay aux Finances, antigaulliste rallié par nécessité, donne la mesure de la crise financière. Enfin, des techniciens à l’Intérieur – Pelletier, préfet de la Seine – et à la Défense nationale – Guillaumat, délégué du Gouvernement au Commissariat à l’Energie atomique.
Ce dernier choix recoupe un renseignement que j’ai recueilli: le Gouvernement de Gaulle observerait ses engagements envers les institutions atlantique et européennes, à une réserve près: Euratom, qui limite par trop la souveraineté de la France dans le domaine atomique, sur le plan militaire notamment.3
Les pleins pouvoirs accordés pour six mois, assortis de la mise en vacances du
Parlement, doivent permettre d’accomplir deux tâches: placer les relations entre la France et les territoires d’Outre-Mer, Algérie comprise, dans un contexte d’association, et réformer les institutions en vue d’une meilleure division des pouvoirs. Le pays sera appelé à se prononcer par voie de référendum. A cet effet, les Chambres sont appelées à se dessaisir des prérogatives que leur conférait l’art. 90 de la Constitution.
Dans l’immédiat, je bornerai mes réflexions au seul conflit franco-algérien.
De Gaulle a été appelé au pouvoir pour le régler. On préférerait dire pour l’arbitrer, si l’abus qu’Alger a fait de son nom, si l’équivoque de son attitude initiale et si la tiédeur du pays n’avaient pas fait obstacle à ce rôle supérieur.
Les parties au conflit sont le Parlement français, pouvoir légal mais momentanément impuissant, et le Comité de Salut public, pouvoir usurpé, mais incontesté dans les faits. Un témoin en apparence assez désintéressé: le pays, auquel on prête la volonté «que ça change», mais qui tout au long de la crise ne s’est pas départi de son calme. Cette attitude, selon l’observateur, sera qualifiée de maturité ou d’indifférence, comme si la crainte de l’aventure au vu du plein emploi et de la sécurité sociale s’était conjuguée avec le désintéressement de la chose publique.
Le Parlement si décrié, si honni, s’est tiré de l’épreuve mieux qu’on ne l’aurait imaginé. Une sorte de frisson républicain l’a parcouru, qui s’est propagé dans la nation. De l’autre côté de la Méditerranée, une province à régime paternaliste, rappelant un peu le sud des Etats-Unis avant la sécession, inclinant par goût et par besoin aux solutions d’autorité. Ce climat roboratif pour toute force de l’ordre allait procurer à l’armée française, massée en Algérie pour la lutte contre la rébellion, une cohésion et une unité de doctrine que les humiliations, les déboires, ainsi que le mécontentement des cadres n’auraient jamais suffi à lui donner. L’osmose entre le fer de lance de l’armée, Massu et ses parachutistes, et les ultras, s’opéra sans peine le 13 mai. L’«Algérie française» était devenue le catalyseur des adversaires de la IV e République. L’Algérie insurgée a projeté en de Gaulle toutes ses aspirations: balayer le régime parlementaire, constituer infliger vont faire crier à la trahison. Les réactions à un réveil brutal pourraient
être d’autant plus vives que l’euphorie a été plus complète. Voici ce qu’un compatriote de Bône écrit à M. Keller, qui avait eu l’occasion d’apprécier la pondération de son jugement: «L’impression que donne actuellement l’Algérie est magnifique et il semble que le mouvement qui s’est développé depuis une dizaine de jours ait réellement recréé une union quasi fraternelle entre les deux communautés française et musulmane, encore si divisées il y a seulement quinze jours.» «Chacun entrevoit avec joie la fin du cauchemar qui dure depuis plus de trois mois.»4
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