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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 21, doc. 28
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2300#1000/716#798* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2300(-)1000/716 353 | |
Titolo dossier | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 113 (1959–1959) |
dodis.ch/15032 Entretien avec M. Michel Debré, Premier Ministre
Lorsque le Général de Gaulle reçut pour la première fois le Corps diplomatique à l’Elysée, le 22 janvier, j’eus l’occasion de bavarder un moment avec le Premier Ministre, M. Michel Debré. Celui-ci m’avait parlé de ses amis suisses, entre autres du Ministre Olivier Long, avec lequel il est lié depuis longtemps, et du Ministre Gérard Bauer, pour qui il a beaucoup d’estime. Je lui avais demandé quand je pourrais lui rendre visite. Il m’avait répondu que dans les prochaines semaines il avait un programme très chargé, mais qu’après le
15 février il me ferait signe. Effectivement, quelque temps après, il me donna rendez-vous pour le 20 février.
Vous connaissez assez le curriculum vitae du chef du Gouvernement français pour que je ne vous rappelle pas longuement ses antécédents. Il est encore jeune, à peine 47 ans. Son aspect grave, réfléchi et doux cache une grande passion, qui s’est exprimée souvent d’une façon violente lorsqu’il était dans l’opposition. Sa fidélité au Général de Gaulle est absolue, dit-on, et lui a valu d’être choisi comme Premier Ministre. Il a joué un rôle important dans les événements du 13 mai 1958. La nouvelle constitution gaulliste est en grande partie son œuvre. Même ses adversaires reconnaissent sa probité intellectuelle et son patriotisme.
La puissance de travail de M. Debré est grande. Le système actuel, qui fait converger toutes les questions importantes vers le sommet de la pyramide gouvernementale, amène sur sa table – son conseiller diplomatique me l’avait confirmé avant que je ne sois introduit chez son chef – un nombre considérable d’affaires. En quelques mots, le Premier Ministre commença par me décrire l’ampleur des réformes entreprises: celles-ci touchent à la structure de l’Etat, à l’administration, aux finances, à l’économie, à la promotion sociale et, naturellement, au problème algérien. Il fit aussi allusion aux difficultés de sa tâche, non seulement à cause de l’étendue des réformes en cours, mais parce qu’il doit en quelque sorte interpréter et exécuter la pensée du Général de Gaulle. Bien qu’il ne l’ait pas dit expressément, il me laissa entendre – ce dont nous avions déjà l’impression – que sur certains points sa propre pensée ne coïncidait pas exactement avec celle du Général.
Comme nous parlions de la situation économique, j’abordai le sujet de la à une solution multilatérale du problème de l’association au Marché commun des pays tiers membres de l’OECE. Je lui dis que même si on parvenait à établir un modus vivendi provisoire par des pourparlers bilatéraux – qui devraient d’ailleurs s’inscrire dans un cadre multilatéral –, une telle voie nous paraissait sans issue si l’on voulait arriver à un arrangement définitif. Je lui expliquai que pour éliminer les discriminations dont nous étions l’objet et contre lesquelles nous nous élevions, il fallait qu’un régime préférentiel fût également reconnu aux membres de l’OECE ne faisant pas partie du Marché commun. Or, dans le domaine tarifaire les règles du GATT ne prévoyaient de régime préférentiel que dans les deux cas déterminés d’une union douanière et d’une zone de libre échange. Si le gouvernement français écartait la zone de libre échange, comment concevait-il dans ces conditions l’octroi d’une préférence tarifaire à des pays comme la Suisse? Le Général de Gaulle, ajoutai-je, m’avait déclaré que cela pourrait se faire par des accords bilatéraux. Mais quant à nous, abstraction faite des inconvénients que présentait à nos yeux une méthode qui porterait atteinte aux principes ayant gouverné pendant dix ans les relations entre les pays au sein de l’OECE, nous ne voyions pas comment de tels accords seraient possibles puisqu’ils se heurteraient non seulement aux dispositions du GATT, mais encore à celles du Marché commun.
M. Debré me fit une réponse qui me surprit. Il me dit avec une grande franchise: «Vous connaissez la position personnelle que j’avais prise à l’égard de la CECA et du Marché commun. Vous savez que j’ai combattu ces institutions. Mon opinion n’a pas changé. Je n’y ai jamais cru et n’y crois pas plus maintenant. De deux choses l’une: ou ces institutions prendront vraiment corps et conduiront à une étroite fusion de leurs membres, ou elles ne parviendront pas à ce but et chacun des membres conservera sa personnalité politique et économique. Dans le premier cas, j’en conviens, se posera le problème qui vous inquiète. Dans le second cas – et M. Debré paraissait croire que c’est ce qui se produirait – tout serait remis en question et les relations avec les pays tiers seraient reprises sur une autre base. Pour le moment, ne considérons donc que l’arrangement provisoire».
Cette déclaration m’étonna. Elle est en effet en contradiction avec ce qui a été affirmé du côté français après les entrevues entre le Général de Gaulle et le
Chancelier Adenauer. On avait alors souligné le ralliement complet du Général à l’intégration européenne. Les idées du Premier Ministre et du Président de la République sont-elles donc divergentes sur ce point?
Le Premier Ministre continua en me disant qu’il désirait prochainement m’entretenir de deux questions dans les détails desquelles il n’était pas encore prêt d’entrer, mais dont néanmoins il voulait me faire part: l’investissement de capitaux suisses en France et les opérations financières faites en Suisse par le FLN2.
Sur le premier point il m’expliqua que le développement économique de la France nécessitait des capitaux considérables, entre autres pour améliorer l’équipement industriel. Il songeait à faire appel au marché suisse, soit pour des emprunts d’entreprises privées, soit éventuellement pour un emprunt d’Etat. Je lui demandai si dans son idée il s’agissait d’investissements en France même ou aussi dans les territoires d’outre-mer. Il précisa qu’il s’agissait principalement de la France métropolitaine et peut-être, le cas échéant, de l’Algérie et du Sahara.
Je m’abstins de tout commentaire, mais pensai à part moi que nous aurions peut-être là un moyen de pression pour nos pourparlers économiques.
Sur le second point, M. Debré me déclara qu’il voulait mener la lutte contre le FLN sur tous les fronts et qu’il cherchait aussi à entraver ses achats à l’étranger. Il savait que le FLN avait des fonds importants dans des banques suisses
– il mentionna l’Union de Banques Suisses – et qu’avec ces fonds les rebelles effectuaient de nombreux paiements. Il se demandait comment de semblables opérations pourraient être empêchées. Je répliquai de suite qu’une interdiction aux banques suisses d’effectuer des opérations financières pour le compte du
FLN était sans doute exclue. Même si certains banquiers, par sympathie pour la France, se laissaient persuader de ne pas accepter des dépôts du FLN, jamais l’ensemble des banques suisses ne prendrait des mesures générales dans le sens désiré par lui.
Comme il est probable qu’au cours des prochaines semaines M. Debré reprendra la conversation avec moi sur ces deux questions, je vous serais reconnaissant de me dire dans quel sens je devrai lui répondre.
A la fin de mon entrevue et conformément à vos instructions, j’entretins
M. Debré de l’engagement des mineurs dans la Légion étrangère3. L’affaire manifestement ne lui était pas connue et ne semblait pas retenir son attention.
J’insistai donc en lui disant que j’en avais parlé au Général de Gaulle4 parce qu’elle pesait sur les relations franco-suisses et que nous y attachions beaucoup d’importance. M. Debré me dit alors qu’une modification du règlement de la Légion serait sans doute impossible, mais que nous pourrions peut-être obtenir satisfaction dans des cas particuliers si nous en saisissions les autorités compétentes. Je lui répondis que c’est ce que nous faisions toujours, malheureusement sans succès jusqu’à présent. M. Debré fit une notice à ce sujet sur ses papiers.
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