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Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 20, doc. 105
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
▼ ▶ Segnatura | CH-BAR#E2300#1000/716#63* | |
Vecchia segnatura | CH-BAR E 2300(-)1000/716 37 | |
Titolo dossier | Beirut, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 6 (1957–1957) |
dodis.ch/12046 Le Ministre de Suisse à Beyrouth, E. von Graffenried, au Chef du Département politique, M. Petitpierre1
Ainsi qu’il est d’usage ici pour un nouveau chef de mission, j’ai sollicité, il y a quelques semaines, une audience auprès du Président de la République libanaise, M. Camille Chamoun. Cette entrevue, essentiellement de courtoisie, a eu lieu hier. Alors que le Gouvernement est remanié quasi automatiquement tous les six mois sans entraîner nécessairement un changement dans la politique générale, le Président de la République assure la continuité, prenant souvent une part directe aux affaires et aux pourparlers d’une certaine importance. Il tient ainsi à maintenir des contacts personnels et suivis avec les représentants étrangers. Aussi, des visites de ce genre sont-elles plus fréquentes peut-être qu’ailleurs.
1. Le Président se révéla bien informé de notre attitude générale, des relations courantes entre les deux pays, comme aussi de la situation prospère de notre colonie au Liban qui compte près de 300 personnes. A ce sujet, relevons que plusieurs fonctionnaires et experts de nationalité suisse sont détachés par les Nations Unies au Liban, que les ascenseurs Schindler et Schlieren y sont fort largement introduits et que l’usine locale de ciments du groupe Schmidheiny2 est bien connue dans ce pays. L’entreprise genevoise Juillard & Addor3, dont l’apparition à Beyrouth est plus récente, est particulièrement active. Cette maison est chargée de l’établissement des plans et de la construction d’un vaste immeuble d’affaires, très moderne, qui dominera le centre de la ville. La même maison participe aussi aux projets de construction d’un nouveau Palais présidentiel. Dans le commerce également, les produits suisses sont partout représentés et appréciés.
2. Quant à la politique du Liban, le Président Chamoun a fait, tout récemment, des déclarations de principe au plus important quotidien de langue arabe. Il a relevé notamment que «les Etats arabes se trouvent à une croisée de chemins et doivent choisir entre l’Est et l’Ouest», ajoutant que «quant à prétendre qu’on peut rester indéfiniment neutre, cela relève de l’utopie», les pays arabes s’exposant autrement «à être écrasés par l’un des deux camps». Le Président a ensuite proclamé que le Liban a déjà pris position contre le danger communiste, en souhaitant «que les autres Etats arabes définissent aussi nettement leur attitude». Quant à l’avenir, le Liban a accepté en principe la doctrine Eisenhower4, à condition que ce plan ne comporte aucune atteinte à la souveraineté «du Liban ou de l’un quelconque des pays arabes». Fait significatif, le Président déclara également «que le Liban partage le point de vue du Roi Séoud et suit la même voie que lui, en ayant pleine confiance dans le patriotisme et le bon sens du souverain d’Arabie Séoudite». (Dans la presse, il est actuellement question, soit d’une visite du Roi Séoud au Liban, soit d’une réunion des Rois Séoud, Faiçal et Hussein à Beyrouth, ou même encore d’une nouvelle Conférence des chefs d’Etats arabes.)
Reprenant notamment la thèse du danger communiste, le Président Chamoun me parla sans ambages de ses préoccupations à l’égard de la Syrie. Selon lui, le Gouvernement syrien, bien que composé en majorité d’éléments modérés («populistes» et «nationaux»), se trouve complètement dominé par un petit nombre d’éléments extrémistes se prévalant de l’appui soviétique et ayant écarté toute influence modératrice. Les grandes masses sont amorphes et, du fait de conditions sociales surannées – notamment dans les régions où les grands propriétaires fonciers dominent – accessibles à toute influence extrémiste. Ainsi, un petit groupe d’hommes à la fois fanatiques et ambitieux détient en réalité actuellement le pouvoir. De plus, l’Islam a comporté de tout temps le risque d’un fanatisme à la fois religieux et nationaliste. Dans cet état de choses – où le communisme proprement dit ne représente qu’un des aspects du tableau – le Liban, voisin immédiat de la Syrie, est menacé, toujours selon M. Chamoun, d’être soumis à des infiltrations et à des influences de tout genre. Et ceci d’autant plus que l’économie libanaise est interdépendante de celles des autres Etats, tout particulièrement de ses voisins, pour lesquels il constitue un pays de transit. Le Liban ne peut ainsi plus se cantonner dans une «neutralité» qui risque de le pousser dans l’isolement, mais a dû prendre position.
Le Président, dont l’intégrité absolue est bien connue, se montra assez inquiet et incertain encore quant à l’évolution des prochains mois; il compte apparemment sur le bon sens du Roi Séoud et suit également de près les efforts du Roi Hussein pour se libérer de l’emprise de gauche sur son Gouvernement. Les prochaines semaines pourraient ainsi être décisives, notamment en ce qui concerne la Syrie dont le régime actuel indispose fortement le Liban. La grande activité de M. Chamoun est également influencée par la bataille électorale pour la nouvelle Chambre des députés, surtout depuis que son prédécesseur, Béchara-el-Khoury, a réapparu sur la scène politique, avec un programme essentiellement «arabe» comportant avant tout une nouvelle collaboration avec la Syrie.
3. J’ai profité de l’occasion pour faire allusion à la demande de visa de M. Elian5, ancien Ministre des Affaires étrangères syrien, M. Chamoun manifesta sa pleine compréhension à l’égard de notre attitude, réalisant le fait que je suis également accrédité à Damas. J’ai aussi effleuré la question de notre disposition constitutionnelle en matière de remise de décorations, une nouvelle proposition venant d’être faite pour un citoyen suisse auprès de la Présidence même. («L’Ordre du Cèdre» compte 40’000 membres et il ne se passe guère un jour sans qu’une nouvelle décoration ne soit décernée à un Libanais ou une personnalité étrangère, même simplement de passage!)
4. De son côté, le Président, qui avait été documenté visiblement par ses services, me parla à nouveau du déséquilibre considérable dans nos échanges commerciaux; nos exportations en 1956 se sont élevées en effet à frs. s. 17,6 millions, nos importations à frs. s. 0,8 million seulement contre frs. s. 2,7 millions en 1955. (Pour la Syrie, nos exportations se sont élevées pour la même période à frs. s. 14,5 millions, les importations, grâce à des achats d’orge surtout, à frs. s. 10,5 millions.) Bien que cette situation ne reflète que les efforts de la libre concurrence – les deux pays pratiquant une politique de la porte ouverte – l’optique des chiffres n’est pas sans risques pour nous, notamment au moment où de nombreux intérêts suisses se manifestent dans le cadre de concours et d’adjudications officielles, et alors qu’on prévoit une plus forte orientation du Liban vers les Etats-Unis et l’octroi par ceux-ci de nouveaux crédits. Je ne manquerai pas de faire rapport à nouveau à ce sujet à la Divison du Commerce. A mon avis, une visite de «good-will» de la part d’un délégué de cette administration ou d’autres personnalités constituerait un geste utile, les Arabes étant extrêmement sensibles à de telles visites, comme aussi à des invitations à visiter les pays partenaires. D’autre part, l’escale prévue à Beyrouth pour la future ligne de la «Swissair» sur Tokyo constitue un apport fort précieux pour le Liban. Peut-être, un effort pourrait être fait également dans le cadre de notre assistance technique ou dans celui de nos échanges culturels? Pour maintenir, et si possible développer, notre position commerciale, il me paraît en effet nécessaire, devant un écart aussi prononcé, de placer les échanges commerciaux dans le cadre plus vaste des relations générales6.
5. Un sujet que le Président n’a pas abordé directement cette fois-ci, mais qui le préoccupe néanmoins – je tiens ce renseignement de la meilleure source – est celui des fournitures de matériel de guerre. L’armée revient en effet constamment à la charge pour reprendre ses achats en Suisse. Si je suis bien informé, la Belgique a levé son propre embargo, et de nouvelles possibilités s’offrent aux Etats-Unis; cette situation n’est pas sans conséquence pour notre propre industrie en général. Le Président, lors d’une occasion antérieure, comme aussi le commandant en chef de l’armée, ainsi que les services de l’armée lors des visites de notre attaché militaire, ont plusieurs fois marqué leur déception à l’égard de l’attitude suisse, en faisant valoir la situation malgré tout quelque peu différente du Liban7.
6. A l’issue de l’audience, j’ai remis au Président Chamoun plusieurs ouvrages sur notre pays mis à notre disposition par «ProHelvetia», geste auquel le Président se montra fort sensible. Lors du prochain passage du professeur en médecine Hubert de Watteville (Genève), président de la Fédération internationale de Gynécologie, se rendant à un congrès à Tokyo, j’aurai l’occasion d’accueillir chez moi à dîner le Premier Ministre Sami Solh, qui, du temps de son activité à Constantinople pour le chemin de fer de Bagdad, comptait de nombreux amis parmi des ingénieurs et hommes d’affaires suisses.
7. Quant au récent voyage au Caire de M. Dimetchkié, Ministre du Liban à Berne, celui-ci a donné lieu à de nombreuses spéculations dans la presse, suivies d’un communiqué du Ministère relevant que cette visite avait un caractère purement privé. M. Dimetchkié était venu me trouver à son arrivée ici, en me disant vous avoir mis au courant des contacts qu’il espérait avoir au Caire8, mais je ne l’ai plus revu avant son retour en Suisse. Selon les uns, il serait prochainement nommé Ambassadeur au Caire; selon les autres, il compterait démissionner et se présenter aux prochaines élections, mais ce ne sont que des suppositions.
8. Pour être complet, je vous signale que dans les milieux officiels on a, à plusieurs reprises déjà, fait allusion à l’attitude «peu compréhensive» de la presse suisse. Des récits dans plusieurs journaux suisses, émanant de journalistes guère connus et souvent étrangers, témoignent en effet parfois d’une superficialité et d’un sensationnalisme flagrants. Cela est également le cas pour la Syrie, particulièrement susceptible dans l’atmosphère actuelle, et où les réactions sont moins mesurées qu’au Liban.
- 1
- Lettre: E 2300(-)-/9001/37.↩
- 2
- Il s’agit de la Société des Ciments Libanais, cf. E 2001(E)-/1/33 et E 2001(E)1967/113/785.↩
- 3
- Cf. E 2200.14(-)1985/73/10.↩
- 4
- Cf. DDS, vol. 20, doc. 131, note 6.↩
- 5
- Non retrouvée.↩
- 6
- Sur les échanges commerciaux avec le Liban et la Syrie pour la période, cf. les dossiers du DFEP, E 7110(-)1967/32/1350; E 7110(-)1967/32/1351; E 7110(-)1970/112/185; E 7110(-) 1970/113/182.↩
- 8
- Cf. le DDS, vol. 20, doc. 100.↩